En RDC, élections ne doit pas rimer avec levée des sanctions

29/11/2018
Tribune
RDC
Congo-Kinshasa
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Président de la Ligue des électeurs en RDC, et Secrétaire général adjoint de la FIDH

Cette tribune signé par Paul Nsapu, président de la Ligue des électeurs en RDC, et secrétaire général adjoint de la FIDH, avec Jean Claude Katende, Président de l’ASADHO et Dismas Kitenge, président du Groupe Lotus, a été publié dans Jeune Afrique.

À quelques semaines des élections présidentielle, législatives et provinciales du 23 décembre en RDC, l’Union européenne discute de la reconduction des sanctions – gel des avoirs et des visas – qui visent une quinzaine de membres du régime, dont le candidat désigné par Joseph Kabila pour lui succéder : Emmanuel Ramazani Shadary.

Depuis le terme officiel du mandat présidentiel de Kabila, il y a deux ans, ces hauts responsables ont été les principaux piliers de l’appareil sécuritaire congolais qui a organisé la répression de l’opposition tout en attisant les tensions dans plusieurs régions du pays. C’est pourquoi nous appelons l’Union européenne à ne pas lever ces sanctions.
Pour beaucoup, le candidat désigné par le Front commun pour le Congo (FCC) pour mener la campagne de la présidentielle n’est qu’un pion entre les mains de l’actuel président Joseph Kabila.

Coincé par la Constitution, qui lui interdisait de briguer un troisième mandat, et pressé par la communauté internationale de mettre en place des élections au plus tôt – l’échéance initialement prévue datant de 2016 -, celui-ci s’est en effet résolu à désigner un « dauphin », pour la présidentielle du 23 décembre, et son choix s’est porté sur Emmanuel Ramazani Shadary.

Shadary est, de longue date, un cadre du PPRD, le parti au pouvoir. Peu connu du grand public, il pourrait permettre à Joseph Kabila de conserver dans l’ombre les rênes du pouvoir, en bénéficiant en outre de l’appui du parti présidentiel et des divisions de l’opposition. Pour le plus grand bénéfice de son clan.

Le passif en question

Pourtant, la personnalité et le passif de Shadary posent question. Le fait que l’ancien ministre de l’Intérieur ait été en fonction lors des massacres au Kasaï au début de l’année 2017 lui a valu des sanctions de l’Union européenne.

Selon l’Église catholique congolaise, au moins 3 000 personnes sont mortes depuis 2016 au Kasaï, la plupart tuées par des forces de sécurité. La place qu’occupait Shadary dans la chaîne de commandement et ses menaces contre l’opposition ou les populations, en font l’un des potentiels responsables de ces crimes.

Il était également en poste le 12 mars 2017, lorsque deux experts de l’ONU, Zaida Catalan et Michael Sharp, ont été assassinés dans des circonstances floues et très suspectes. Loin d’avoir fait profil bas depuis, il fut également à la manœuvre lors de la répression meurtrière des marches pacifistes de janvier 2018 à Kinshasa. Les forces de sécurité y firent usage de tirs à balles réelles, tuant au moins huit personnes et en blessant des dizaines d’autres.

Fidèle parmi les fidèles du président Kabila, ce « dauphin » nageant dans les eaux troubles du pouvoir depuis si longtemps, ne doit pas pouvoir espérer gagner une quelconque tranquillité grâce à l’élection qui se profile. Ainsi, il nous est inconcevable qu’il puisse accéder au plus haut poste de l’État sans avoir répondu de ses actes, ou qu’il puisse être blanchi par l’Union européenne à travers une levée de ses sanctions. Leur reconduction doit être décidée au plus tard le 10 décembre prochain, soit moins de deux semaines avant le scrutin.

Quatorze autres personnalités dans le collimateur européen

Et il n’est pas le seul dans ce cas. Parmi la quinzaine de fidèles du régime visés figure l’intransigeant ministre de la Communication et des Médias, Lambert Mende, connu pour ses messages de haine et les restrictions qu’il impose aux médias et journalistes indépendants.

Ou encore John Numbi Banze, Inspecteur général des Forces armées congolaises (FARDC). Très actif au Katanga durant la répression des manifestations anti-Kabila, nous le soupçonnons d’être impliqué dans la mort de notre ami et confrère, le défenseur des droits humains Floribert Chebeya.

On peut également citer Alex Kande Mupompa, gouverneur du Kasaï oriental, épinglé pour sa responsabilité dans les massacres commis dans sa province (exécutions sommaires, répression de manifestations).

Ou encore Kalev Mutondo, directeur de l’Agence nationale de renseignements (ANR), véritable police politique à la solde du régime de Kabila, menant à la fois des activités de surveillance et de répression de l’opposition et de défenseur.es des droits humains.

Un message de l’UE à Kabila

Lorsque ces sanctions furent adoptées, la RDC se caractérisait par sa violence extrême et la tentative d’étouffement de sa société civile. Presque deux ans après, ce contexte n’a malheureusement guère évolué. Les médias sont toujours muselés, des défenseurs des droits humains sont emprisonnés et les manifestations interdites. L’impunité règne en maître. Le scrutin s’annonce des plus tendus.

Beaucoup des responsables politiques et militaires touchés par les sanctions ont été directement promus ces derniers mois par Joseph Kabila. Leur sort est désormais inextricablement lié à celui de leur mentor, et au résultat du scrutin du 23 décembre.

En décidant de maintenir les sanctions contre ces individus haut-placés dans l’appareil répressif et sécuritaire congolais, l’Union européenne et ses États membres enverraient deux messages clairs aux caciques du régime.

Le premier est qu’elle sera extrêmement vigilante sur la manière dont seront organisées les élections de décembre, et donc la manière dont seront gérés les rassemblements et manifestations.

Le second est qu’elle continuera de sanctionner les responsables de crimes gravitant dans l’entourage du président Kabila, y compris lorsque celui-ci aura (officiellement) quitté ses fonctions.

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