Al Hassan à la CPI : une étape importante pour la justice

03/04/2018
Communiqué
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ICC launches commemorations for 17 July – International Criminal Justice Day © ICC-CPI

(Bamako, Paris) Le transfèrement d’Al Hassan, commissaire islamique de Tombouctou durant l’occupation de la ville par les groupes djihadistes en 2012 et 2013, à la Cour pénale internationale (CPI) à la Haye, est une nouvelle étape importante dans le traitement par la justice des crimes commis durant cette période. Il s’agit des premières poursuites pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité contre les personnes physiques devant la CPI, et notamment pour des charges de violences sexuelles et basées sur le genre, à savoir le viol, l’esclavage sexuel et, pour la première fois, devant la Cour les persécutions pour des motifs sexistes. Les victimes et nos organisations qui avaient déposé plainte contre lui en mars 2015 devant la justice malienne se félicitent de ces poursuites qui interviennent au moment où les procédures judiciaires nationales semblent au point mort en dépit des engagements des autorités maliennes.

En mars 2015, à l’issue de nombreuses enquêtes, la FIDH, l’AMDH, WILDAF, AJM, DEMESO, Collectif Cri de Coeur et 33 victimes, avaient déposé plainte, devant le tribunal de la Commune III de Bamako, contre 15 auteurs présumés de crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis dans la région de Tombouctou, y compris Al Hassan Ag Abdoul Aziz Ag Mohamed Ag Mahmoud, qui a occupé les fonctions de commissaire islamique durant l’occupation de la ville. Al Hassan serait ainsi directement impliqué, selon les informations recueillies par nos organisations, dans les violences sexuelles commises contre plusieurs dizaines de femmes, en particulier des viols et de l’esclavage sexuel.

Alors qu’Al Mahdi avait été condamné à 9 années de prison par la CPI pour son seul rôle dans la destruction des bâtiments à caractère religieux et historiques à Tombouctou, le mandat d’arrêt émis par la CPI à l’encontre d’Al Hassan vise, outre ces même charges, des crimes de guerre et contre l’humanité commis contre des personnes physiques, notamment de torture ainsi que des crimes de violences sexuelles et basées sur le genre, le viol, l’esclavage sexuel et, pour la première fois, devant la CPI les persécutions pour des motifs sexistes.

L’arrestation et le transfert d’Al Hassan représentent une avancée significative dans les enquêtes et poursuites de la CPI, en particulier pour les victimes de Tombouctou qui continuent d’attendre que justice soit faite.

« Nous sommes satisfaits que la Cour nous ait entendus et ait élargi le champ de ces poursuites au Mali aux crimes contre les personnes et en particulier aux crimes de violences sexuelles et basées sur le genre. Pour les victimes, le transfèrement d’Al Hassan à La Haye est un soulagement, surtout au moment où la situation au centre et au nord, y compris à Tombouctou, se dégrade avec la recrudescence d’actes de violences imputés à des groupes armés terroristes. Gageons que cette décision de la CPI enverra un signal fort aux différents acteurs de la violence dans la région. »

Me Moctar Mariko, président de l'AMDH et avocat des victimes au Mali

Si nos organisations se félicitent de cette avancée, elles soulignent néanmoins qu’une instruction ayant été ouverte par la justice malienne en 2015, à la suite de la plainte déposée par nos organisations, Al Hassan aurait pu être jugé par la juridiction nationale, comme l’a été Aliou Mahamane Touré, ancien commissaire islamique de Gao, en août 2017. Nos organisations rappellent également que Ag Alfousseyni Houka Houka, qui était le juge islamique de Tombouctou pendant l’occupation de la ville de Tombouctou et, à ce titre, ordonnait des décisions appliquées par la police islamique d’Al Hassan, se trouve aujourd’hui, depuis sa libération en août 2014, dans la commune d’Essakane située dans la région de Tombouctou, où il apparaît régulièrement. Houka Houka demeure inculpé par la justice malienne pour les crimes commis à Tombouctou, et l’impunité dont il bénéficie de fait est une violation des droits des victimes à la justice.

Cette décision intervient dans un contexte peu favorable à la lutte contre l’impunité au Mali. À quelques mois de l’élection présidentielle de juillet, un avant projet de loi d’entente nationale, annoncée par le président le 31 décembre 2017, a été remis par le Médiateur de la République au Premier ministre le 5 mars, sans qu’aucun acteur de la société civile n’ait été associé. Ce projet pourrait prévoir des amnisties pour « tous ceux impliqués dans une rébellion armée » qui n’auraient « pas de sang sur les mains ». Alors que les procédures judiciaires n’avancent plus, que la Commission Vérité Justice et Réconciliation (CVJR) n’a pas terminé son travail et que la Commission d’enquête internationale vient à peine de commencer sa mission,nos organisations appellent les autorités maliennes à suspendre ce processus, en attendant que les enquêtes nécessaires aient pu être menées. Dans le cas contraire, une telle loi pourrait consacrer l’impunité et l’arbitraire, bien loin des engagements pris par les autorités nationales depuis 2013.

« Nous espérons que cette décision va permettre de relancer les procédures en cours devant la justice malienne. La coopération avec la CPI du Mali est un signe positif. Mais elle doit être accompagnée d’une volonté politique forte de poursuivre les autres auteurs de ces crimes sur le plan national, sans quoi elle ne permettra pas de répondre aux attentes des victimes. »

Me Drissa Traore, vice président de la FIDH

Outre la reprise toujours attendue du procès Sanogo, suspendu depuis novembre 2016, plusieurs procédures judiciaires sont à l’arrêt. Nos organisations ont publié en décembre 2017 un rapport formulant des recommandations concrètes pour renforcer le système judiciaire malien afin de répondre aux engagement pris en faveur de la justice.

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