« Avec l’ouverture officielle de ces enquêtes et en acceptant ainsi de se pencher sur les violences politiques du passé, même récent, la justice guinéenne envoie un signal fort et positif » a déclaré Me Patrick Baudouin, Président d’honneur de la FIDH et responsable du Groupe d’action judiciaire de la FIDH. « La rapidité avec laquelle l’institution judiciaire a réagi à ces dépôts de plaintes paraît démontrer aussi sa volonté de faire œuvre de vérité et de justice en regardant en face un passé douloureux » a ajouté Thierno Maadjou Sow, président de l’OGDH.
Nos organisations considèrent que l’ouverture de ces instructions, sur des fondements identiques à ceux exposés par les plaignants dans leurs plaintes, constitue un acte supplémentaire en faveur de la lutte contre l’impunité des auteurs des crimes les plus graves en Guinée. La justice guinéenne doit maintenant travailler sereinement et en toute indépendance afin d’avancer sur les trois grands dossiers concernant des violations graves et symptomatiques des droits humains et dans lesquels la FIDH et l’OGDH sont parties civiles aux côtés des victimes (voir lien internet) : la répression de 2007, des cas de tortures en 2010 et, bien sûr, le massacre du 28 septembre 2009.
« La justice doit maintenant aller jusqu’au bout pour que les victimes soient rétablies dans leurs droits et que la Guinée puisse avancer » a déclaré Souhayr Belhassen, présidente de la FIDH. « Mais quelque chose semble être en train de changer en Guinée : la possibilité que la justice ne soit plus un instrument et un attribut du pouvoir mais un pouvoir indépendant devant lequel tous les citoyens sont redevables de leurs actes, quel que soit leur rang ou leur position » a-t-elle ajoutée.
Rappel des faits
Le 18 mai 2012, la FIDH et l’OGDH, déjà parties civiles dans l’affaire du 28 septembre 2009, avaient déposé, devant la justice guinéenne, deux plaintes avec constitution de parties civiles aux côtés de 65 victimes de violations graves des droits de l’Homme perpétrées en 2007 et 2010 par des agents de l’État guinéen. Ces deux actions judiciaires distinctes visaient à établir les faits et les responsabilités des violences politiques qui se sont déroulées respectivement en janvier et février 2007 au cours de manifestations pacifiques, et en octobre 2010 lorsque 15 personnes ont été arbitrairement arrêtées, détenues et soumises à des actes de torture à Conakry. Dans cette dernière procédure, plusieurs responsables politiques et militaires en fonction en 2010 sont directement visés, notamment l’actuel Gouverneur de la ville de Conakry et Commandant de l’armée guinéenne, M. Sékou Resco Camara ; l’ancien chef d’état-major du régime de transition, le général Nouhou Thiam ; et l’ancien chef de la garde présidentielle sous la transition, le Commandant Sidiki Camara dit De Gaulle.
En janvier et février 2007, se sont déroulées des manifestations pacifiques d’importance sur l’ensemble du territoire menées par les syndicats et la société civile en faveur du pouvoir d’achat et de l’État de droit. Brutalement réprimées par les forces de sécurité du pouvoir déclinant du président Lansana Conté, le bilan de la répression s’établirait à des centaines de morts et de blessés, des viols, et des pillages. Ces graves violations des droits de l’Homme n’ont fait l’objet d’aucune enquête officielle aboutie, ni d’aucune procédure judiciaire, qui auraient permis de faire la lumière sur l’une des plus violentes répressions politiques de ces dernières années en Guinée.
En octobre 2010, selon les informations transmises à la justice, des éléments de la garde présidentielle du président par interim de la transition auraient arrêté et détenu arbitrairement plusieurs individus et les auraient soumis à des actes de torture en présence et suivant les instructions de M. Sékou Resco Camara, du Général Nouhou Thiam, et du Commandant Sidiki Camara dit De Gaulle. Ces crimes perpétrés par des personnes en charge de l’autorité publique se sont déroulés en marge de la campagne présidentielle du deuxième tour et sans lien direct avec celle-ci. Ces violations demeurent cependant symptomatiques de pratiques arbitraires, héritages de violences politiques et d’un demi-siècle d’impunité en Guinée.
L’ouverture de ces deux procédures fait suite à plusieurs actes importants déjà posés par la justice guinéenne ces derniers mois en faveur de la lutte contre l’impunité et l’État de droit, notamment l’inculpation le 1er février 2012 du Lieutenant-Colonel Moussa Tiegboro Camara pour son implication présumée dans le massacre du 28 septembre 2009 (voir : http://www.fidh.org/Guinee-Avancee-majeure-dans-l) ; et la condamnation à une amende symbolique du Commandant Sékou Resco Camara, le 30 novembre 2011, pour avoir ordonné la détention arbitraire de cinq défenseurs des droits de l’Homme (voir : http://www.fidh.org/Une-decision-judiciaire-contre-l).