Le harcèlement de l’opposition continue

07/04/2017
Communiqué

Paris, 3 avril 2017 – La FIDH s’inquiète de la vague d’arrestations opérée par les services de sécurité djiboutiens depuis la mi-mars parmi les membres de l’opposition et les défenseurs des droits humains et demande leur libération immédiate et inconditionnelle.

Depuis le 13 mars 2017, au moins 20 militants politiques et défenseurs des droits humains ont été arrêtés et détenus sur la base de motivation politique. Ainsi, sur les 19 militants et dirigeants du Mouvement pour le Renouveau démocratique et le Développement (MRD) arrêtés par la Section de recherche et de documentation (SRD) de la gendarmerie de Djibouti depuis le 13 mars, 9 ont été présentés au procureur de la République le 23 mars 2017 et 10 ont été relâchés mais sommés de se tenir à la disposition des services de la gendarmerie.

« La répression politique s’abat encore une fois à Djibouti où les arrestations d’opposants politiques constitue dorénavant la norme. La dégradation continue des droits humains demeure préoccupante pour la stabilité du pays »

Me Drissa Traoré, vice-président de la FIDH

Les 9 militants du MRD déférés au parquet [1] avaient été arrêtés sur la base d’accusations d’ « exercice illégal d’une activité bancaire ». Selon les informations recueillies, c’est l’action sociale du MRD, et en particulier le microcrédit distribué à une trentaine de personnes - pour l’essentiel des mères de famille démunies - pour les aider dans leurs petites activités génératrices de revenus, qui est dans le viseur du régime. Si 5 militants du MRD ont été relâchés, les 4 autres (Naguib Ali Gouradi, Farah Abadid Hildid, Mohamoud Mohamed Daher et Ibrahim Abdi Indayareh) ont été poursuivis pour « activités politiques illégales » et ont été placés le jour même sous mandat de dépôt à Gabode, la prison centrale de Djibouti. L’un d’entre eux, Farah Abadid Hildid, député élu USN, est également membre de la Ligue djiboutienne des droits de l’Homme (LDDH) et régulièrement poursuivi pour ses engagements. La FIDH s’inquiète de leurs conditions de détention, pour leur intégrité physique et dénonce une incarcération sans droit de visite y compris de leur famille. Aucune des personnes arrêtées n’a pu être assistée de leur avocat, Me Zakaria Abdillahi, lequel a été éjecté manu militari du bureau du Procureur de la République et menacé d’arrestation.

De même, au titre des détenus d’opinion, M. Mohamed Ahmed dit Jabha, 39 ans, militant du Front pour la Restauration de l’Unité et la Démocratie (FRUD), reste détenu incommunicado depuis le 30 juin 2010 et alors que toute la procédure à son encontre avait été annulée le 6 octobre 2016 par la Chambre d’accusation de la Cour d’appel de Djibouti pour non-respect des règles du Code de procédure pénale djiboutien. Le 1er mai 2010, alors qu’il essayait de défendre une femme enceinte que des soldats tentaient de violer, près de Moussa Ali (Nord Ouest du district de Tadjourah), M. Mohamed Ahmed a été arrêté par des membres de l’Armée Nationale Djiboutienne (AND). Détenu au secret dans plusieurs lieux de détention, il aurait subi de nombreux actes de torture, entre autres, des simulations d’exécution, dans les locaux des Services de Sécurité puis à la caserne militaire de Gal Eila. Son avocat et défenseur des droits humains, Me Zakaria Abdillahi, lui-même incarcéré à plusieurs reprises et qui consacre sa vie à défendre les opposants politiques face à la justice, avait interpellé le 20 octobre 2016 le Premier ministre de Djibouti sur la détention arbitraire de M. Mohamed Ahmed dit Jabha. Abdoulkader Kamil Mohamed, le Premier ministre de Djibouti avait alors répondu « tant que je serai aux affaires, je ne laisserai pas sortir ce criminel de sa prison ». [2] Au cour de cette séance à l’Assemblée nationale, Me Zakaria Abdillahi également député, avait été accusé par le ministre de l’intérieur, M. Hassan Omar Mohamed Bourhan, d’être « un défenseur des terroristes ». [3]

Cette vague d’arrestation a également touché la société civile, les syndicalistes et les défenseurs des droits humains. Ainsi, Omar Ali Ewado et Ahmed-Kadar Nour, respectivement Secrétaire général adjoint et secrétaire général du Syndicat des enseignants du primaire (SEP) ont été arrêtés les 19 et 20 mars 2017 par les services de sécurité de Djibouti [4]. Interrogés et libérés le 27 mars au matin, la raison de leur arrestation serait le courrier adressé au président turc Erdogan et à l’ambassade turque à Djibouti dans le cadre de la campagne internationale initiée par l’Internationale de l’éducation (IE) pour manifester la solidarité avec le syndicat turc de l’éducation Egitim-Sen et protester contre les licenciements et arrestations d’enseignants en Turquie depuis le coup d’état manqué de juillet 2016. Ils seraient accusés de diffamation et d’offense au chef de l’État turc. Parallèlement, le ministère de l’Éducation djiboutien a instruit une procédure disciplinaire pour « abandon de poste » contre les deux syndicalistes qui risquent la radiation.

« Il est temps que les organes des droits humains de l’Union africaine et des Nations unies se penchent sur la dégradation de la situation des droits humains et des violations à caractère politique à Djibouti dans ce qui ressemble de plus en en plus à un potentat »

Paul Nsapu, secrétaire général adjoint de la FIDH

Contexte

Djibouti traverse une crise politique profonde depuis les élections législatives de février 2013 qui constituaient le premier scrutin auquel l’opposition participait depuis 10 ans. Les résultats avaient été largement contestés par l’opposition et violemment réprimés par le pouvoir. Fin 2014, un accord-cadre avait été signé entre l’UMP (Union pour la Majorité présidentielle), coalition au pouvoir et l’USN (Union pour le salut national), coalition de partis d’opposition pour amorcer un dialogue politique notamment en vue de l’organisation de l’élection résidentielle de 2016. Pourtant, 2015 et 2016 ont été marqué par l’intensification de répression politique et le « massacre de Buldugo » où au moins 27 personnes ont été tuées par les forces de sécurité djiboutiennes le 21 décembre 2015. [5] En avril 2016, le président djiboutien, Ismaël Omar Guelleh a ainsi été « réélu » pour un 4ème mandat au cours d’un scrutin pourtant marqué par d’importantes fraudes et dénoncé par l’opposition comme une violation de la constitution. Il est au pouvoir depuis 1999 et cumule 18 ans de pouvoir sans partage à Djibouti. Le 24 février 2017 se sont tenues les élections régionales et communales, remportées par la coalition au pouvoir et décriée par l’opposition. Le 28 février, Ismaël Omar Guelleh effectuait sa première visite en France depuis 10 ans, marquée par l’importance stratégique grandissante des bases militaires de plusieurs pays à Djibouti.
Lire la suite