Spirale de violence au Burkina Faso : la FIDH demande la fin de l’impunité

05/03/2024
Communiqué
Sia Kambou / AFP

Le week-end du 25 février 2024, plusieurs attaques contre des civil·es ont eu lieu au nord et à l’est du Burkina Faso. Elles ont fait plusieurs dizaines de victimes. La Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) appelle urgemment à la mise en place d’une commission d’enquête indépendante et à la nomination d’un⋅e expert⋅e indépendant⋅e des Nations unies sur la situation des droits humains au Burkina Faso.

Paris, Dakar, le 5 mars 2024. Au moins une église et une mosquée attaquées, des civil·es pris·es pour cibles, plusieurs autres attaques ont fait des dizaines de victimes dans plusieurs localités. Dans la matinée du 25 février 2024, l’église catholique d’Essakane, village situé à Diori au nord du Burkina Faso, a été le théâtre de l’horreur. Des individus non identifiés appartenant à des groupes armés djihadistes ont massacré au moins 15 civil·es, des fidèles, venu·es se recueillir et prier.

Le même jour, 14 autres civil·es dont un imam ont été tué·es par des individus appartenant également à des groupes armés djihadistes suite à l’attaque d’une mosquée à Natiaboani, dans la région de l’Est. Pour l’heure, il n’est pas possible de confirmer que ces deux tueries sont liées, ou qu’elles ont été commises par le même groupe.

Dans le nord du pays, au moins trois autres villages ont connu des attaques. Dans un communiqué en date du 1er mars 2024, Aly Benjamin Coulibaly, Procureur du Faso près le Tribunal de grande instance de Ouahigouya, a déclaré que « le bilan provisoire d’ensemble s’établissait à environ 170 personnes exécutées, outre les personnes blessées et les divers autres dégâts matériels connexes  ». Une enquête a été ouverte le lendemain, 26 février 2024, suivie d’un transport judiciaire sur les lieux concernés, le 29 février. Le 4 mars, ce même Procureur a déclaré dans un deuxième communiqué qu’à l’étape actuelle de l’enquête ouverte, aucun élément ne permet de confirmer ce chiffre de « 170 personnes exécutées ou tuées » et a appelé « à la prudence dans l’attente des résultats de l’enquête. »

« Il n’est pas anodin que des chrétien·nes et des musulman·es ont été tué·es le même jour au Burkina Faso. Au-delà de l’horreur indicible de ces attentats, c’est la coexistence pacifique et harmonieuse des communautés et des religions qui est visée. Les auteurs de telles atrocités ne supportent pas la paix. Ils ne veulent que la violence, le chaos et la désolation », a déclaré Me Drissa Traoré, secrétaire général de la FIDH. « Ces attaques intentionnellement dirigées contre la population civile et des bâtiments consacrés à la religion constituent aux termes du Statut de Rome des crimes de guerre. À cet effet, des enquêtes sérieuses doivent être menées pour faire toute la lumière sur les circonstances de ces événements en vue de punir leurs auteur·es et rendre justice aux victimes. »

Recrudescence des attaques, inaction des autorités

La FIDH dénonce la recrudescence des attaques contre les civil·es qui continuent à payer un lourd tribut dans le conflit qui sévit au Burkina Faso depuis 2015. Les réponses judiciaires jusque-là apportées se sont avérées insuffisantes car aucune enquête sur les dossiers de violations graves des droits humains n’a abouti à un procès.

« Il est urgent pour les autorités burkinabè d’apporter des réponses judiciaires adéquates aux massacres de civil⋅es perpétrés en toute impunité. La justice doit être au cœur des stratégies pour arrêter la spirale de la violence », a déclaré Alice Mogwe, présidente de la FIDH. «  En l’absence de volonté ou de capacité de la part des autorités nationales, nous appelons le Bureau du Procureur de la Cour pénale internationale à ouvrir une enquête au Burkina, conformément aux dispositions prévues par le Statut de Rome dont l’État du Burkina Faso est partie. »

La FIDH exhorte l’Union africaine et les Nations unies à renforcer leur action en faveur de la protection des populations civiles et de la lutte contre l’impunité des auteur·es de violations des droits humains, y compris en appuyant les autorités burkinabè dans la conduite d’enquêtes approfondies et indépendantes. Face aux restrictions de l’espace civique et démocratique, ainsi qu’aux attaques récurrentes subies par les défenseur·es des droits humains, la FIDH appelle à la nomination d’un⋅e expert⋅e indépendant⋅e des Nations unies sur la situation des droits humains au Burkina Faso.

En détail : un contexte de violences endémiques

La dégradation de la situation des droits humains au Burkina Faso est le fait de toutes les parties au conflit. Groupes djihadistes : Jama’at Nasr al-Islam wal Muslimin (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, JNIM), l’État islamique du Grand Sahara (EIGS) ; forces de défense et de sécurité nationales ; groupes paramilitaires des Volontaires de défense pour la patrie (VDP).

Cette situation a été dénoncée à de nombreuses reprises par les organisations de défense des droits humains burkinabè. Le 20 avril 2023, plusieurs dizaines de civil·es ont été tué·es par des hommes en tenue de l’armée nationale du Burkina Faso à Karma, dans la province de Yatenga, au nord du Burkina Faso. Le procureur du tribunal de grande instance de Ouahigouya, chef de lieu de région, Lamine Kaboré, a annoncé l’ouverture d’une enquête dimanche 3 mars 2024. Le bilan humain exact de ce massacre n’est toujours pas connu à ce jour. Le procureur a évoqué une soixantaine de victimes mais selon les informations disponibles et les sources locales, il semblerait qu’au moins 150 civil·es ont été tué·es et beaucoup d’autres blessé.es. Ces meurtres sont intervenus à la suite d’une attaque contre une base de Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) — des supplétifs de l’armée dont le statut a été créé en 2020 pour lutter contre les jihadistes - le 15 avril 2023, au cours de laquelle, selon le gouverneur de la province, huit soldats et 32 VDP ont été tué·es et plus de 30 blessé·es.

Depuis deux ans, la situation des droits humains n’a eu de cesse de se dégrader, les mêmes schémas de violence se répétant.

 Le 9 novembre 2022, au moins 50 civil⋅es ont été tué⋅es lorsque des membres présumé·es du 14e régiment de l’armée burkinabè ont attaqué quatre villages près de la ville de Djibo, dans la province de Soum.
 Le 6 janvier 2023, le Haut commissaire aux droits de l’homme des Nations unies, Volker Türk, a appelé les autorités de transition du Burkina Faso à diligenter les enquêtes sur le meurtre de 28 personnes sommairement exécutées à Nouna les 30 et 31 décembre 2022.
 Le 14 février 2023, une vidéo d’enfant·es et d’adolescent·es exécuté·es dans un camp militaire à Ouahigouya, dans le nord du pays, a été diffusée. Au moins, un soldat de l’armée burkinabè a été identifié. Tout en démentant l’information, les autorités burkinabè avaient expulsé deux journalistes français qui couvraient l’événement.
 Le 11 mai dernier, une attaque djihadiste menée par des assaillants lourdement armés a fait 33 mort·es dans le village de Youlou, département de Tchériba, dans la province de Mouhoun.

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