Intervention orale de la FIDH sur la situation des droits des femmes en Afrique

55ème Session ordinaire de la Commission africaine des droits de l’Homme et des Peuples - 28 avril au 12 mai 2014, Luanda, Angola

Intervention de la FIDH sur la situation des droits des femmes : Droit de la famille et Violences sexuelles

Mabassa FALL, Représentant de la FIDH auprès de l’Union africaine

Madame la Présidente,
Mesdames et Messieurs les Commissaires
,

Le début de l’année 2014 a été marquée par un grave recul pour les droits des femmes dans le domaine du droit de la famille : l’adoption le 20 mars dernier par le parlement kényan d’une loi consacrant la pratique coutumière de la polygamie en droit civil. Cette loi, en permettant aux hommes d’épouser plusieurs femmes, de surcroît sans le consentement préalable de leurs épouses contrairement à ce que prévoit le droit coutumier, constitue une régression majeure pour les femmes kényanes en particulier et pour l’ensemble du continent africain en général. Le droit civil kényan, qui ne reconnaissait jusqu’ici que les mariages monogames, connaît une dérive inquiétante.

En instaurant une nouvelle discrimination envers les femmes, cette loi viole la constitution kényane ainsi que les engagements régionaux et internationaux du Kenya et notamment le Protocole à la Charte africaine sur les droits des femmes en Afrique (le Protocole de Maputo) et la Convention sur l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW).

De plus, en cas de divorce ou de décès de leur mari, le texte de loi prévoit que les femmes kényanes n’ont droit qu’à 30 % des biens acquis conjointement par les époux.

Le Président Uhuru Kennyatta n’a pas encore promulgué cette loi. La FIDH et la Campagne « l’Afrique des droits des femmes » l’appelle à se conformer à la constitution kényane et aux obligations internationales du Kenya, en refusant la promulgation de cette loi.

Cette régression est emblématique de la dégradation actuelle des droits des femmes dans le domaine du droit de la famille sur le continent africain. Au Kenya, le Matrimonial Property Act adopté le 10 janvier dernier avait déjà limité les droits des femmes à la terre et à la propriété.

En Ouganda, la réforme de la loi sur le mariage et le divorce, qui accorde davantage de droits aux femmes, essuie depuis cinquante ans de manière répétée des rejets de la part du parlement. Ce texte n’est pourtant pas révolutionnaire. Il reconnaît les mariages coutumiers polygamiques. Il n’interdit pas la pratique de la dot. Mais chaque fois qu’il est présenté aux députés, il se confronte au patriarcat qui domine la société ougandaise, et qui constitue l’obstacle principal à son adoption. Le texte consolide le droit existant tout en fournissant un certain nombre de garanties aux femmes. Il fixe l’âge du mariage à 18 ans, requiert le consentement des deux époux pour que le mariage soit valide, interdit la pratique du lévirat, accorde aux époux des droits égaux sur les biens matrimoniaux, mais aussi en matière de divorce et reconnaît certains droits aux couples cohabitants. La réforme introduit notamment la notion de contribution non financière à l’entretien des biens, qui permet aux femmes dotées de peu de moyens financiers d’acquérir ainsi certains droits en matière de propriété. L’adoption de ce projet de loi permettrait à l’Ouganda de progresser vers le respect de sa constitution et de ses engagements régionaux et internationaux en matière de protection des droits des femmes. Il est cependant important de souligner que ce projet de loi exclut toute une partie de la population : elle ne s’applique pas à la population musulmane. Or, quand les lois ne sont pas les mêmes selon les communautés ethniques ou religieuses, cela ancre davantage des inégalités. La FIDH et ses organisations membres et partenaires continueront à souligner le principe de l’égalité des citoyens et citoyennes devant la loi, fondement de la démocratie, et à plaider pour que toutes les femmes puissent bénéficier de leurs droits.

L’absence de volonté politique pour améliorer l’égalité entre les femmes et les hommes, tout comme l’adoption récente de la loi renforçant la criminalisation de l’homosexualité, relèvent du même mouvement de dégradation des droits des personnes, en raison de leur sexe et de leur orientation sexuelle, faisant rage actuellement sur le continent.

Rappelons nous qu’il y a moins de trois ans, le 2 décembre 2011, l’Assemblée nationale malienne adoptait un nouveau Code de la famille entérinant de multiples discriminations à l’égard des femmes. Malgré la mobilisation de la société civile, les forces conservatrices du pays et notamment les institutions religieuses avaient fini par obtenir gain de cause. Ce texte consacre des concepts moyenâgeux tels que « l’obéissance de la femme à son mari », ou encore la « puissance paternelle » et autorise le mariage des filles dès 16 ans contre 18 ans pour les garçons. L’adoption de ce texte était intervenue sans égard pour la CEDAW ni le Protocole de Maputo auxquels le Mali est partie depuis, respectivement, 1985 et 2005.

Madame la Présidente,
Mesdames et Messieurs les Commissaires
,

Les législations discriminatoires à l’égard des femmes en vigueur dans la plupart des pays africains, auxquelles s’ajoutent dans certaines régions des conflits armés au cours desquels le corps des femmes est utilisé comme champ de bataille, favorisent l’expansion dramatique des violences sexuelles à travers le continent.

Dans plusieurs pays où la FIDH a récemment mené des actions, en Tunisie, en Egypte, en Libye, en RDC, la loi ne protège pas les femmes contre les violences sexuelles. C’est pourtant son rôle. La loi doit définir toutes les formes de violences sexuelles et les punir de manière adéquate. Elle ne doit pas définir les violences sexuelles en tant que crimes contre la moralité et l’honneur, mais comme des crimes commis contre l’intégrité physique des victimes. Elle ne doit pas requérir le témoignage de tiers empêchant dans la pratique les femmes de prouver qu’elles ont été victimes. Elle ne doit pas alléger les sanctions encourues par l’auteur des violences lorsque celui-ci épouse sa victime. Et lorsque des crimes dits « d’honneur » sont commis à l’encontre des victimes de violences sexuelles, la loi ne doit pas alléger les sanctions parce qu’il serait estimé que les auteurs auraient agi dans l’intérêt de « l’honneur de la famille ». Enfin, la loi doit protéger les victimes de violences sexuelles contre d’éventuelles poursuites pour atteinte à la pudeur ou aux bonnes mœurs dont l’absurdité fait honte aux Etats sous la compétence desquels ces poursuites sont initiées.

Les victimes de violences sexuelles doivent avoir accès à la justice, ce qui implique le renforcement des capacités du personnel travaillant au contact de ces dernières, de manière à mener des enquêtes et poursuites efficaces. L’accès à la justice de toutes les femmes, y compris les plus pauvres doit être garanti. Le coût des procédures ne doit pas les dissuader d’agir. Ni le risque de représailles. Les auteurs de violences sexuelles doivent être condamnés de manière effective. Dans cette perspective, la lutte contre la porosité des prisons et contre la corruption est essentielle. Enfin, les victimes doivent recevoir une réparation effective des préjudices qu’elles ont subis, cette réparation ne se limitant pas à des avantages pécuniaires et ne devant pas être subordonnée à la solvabilité, ni même à l’identification, à l’arrestation ou à la condamnation des auteurs des violences.

La propagation de ces crimes est alimentée par les discriminations ancrées dans la loi et dans la pratique. La FIDH exhorte par conséquent les Etats africains à s’attaquer à ces discriminations, en abolissant les lois discriminatoires et en renforçant la protection de tous les droits des femmes.

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