Intervention de la FIDH sur les DESC

Madame la Présidente,
Mesdames et Messieurs les Commissaires,

Le 10 décembre 2008, soixante ans après la proclamation de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, la communauté internationale adoptait le Protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, créant ainsi une voie de recours pour les victimes de violations des droits économiques, sociaux et culturels, garantis par le Pacte. Ce protocole qui entrera en vigueur après la dixième ratification a été à ce jour ratifié par 8 Etats (Espagne, Mongolie, Salvador, Bolivie, Equateur, Argentine, Bosnie-Herzegovine, Slovaquie) mais par aucun pays africain.

Pourtant, l’expérience africaine de protection des droits économiques, sociaux et culturels a été au cœur des discussions lors des négociations de cet instrument, et l’Afrique parmi les soutiens les plus actifs à cet instrument. Le contenu novateur de la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples, la jurisprudence du système africain de protection des droits de l’Homme en matière de DESC, ainsi que les jurisprudences de nombreux pays africains dans la protection des droits sociaux en particulier des plus marginalisés ont été étudiées et ont permis de dépasser les débats stériles sur la nature de ces droits et leur non-justiciabilité supposée. De nombreuses expériences nationales le démontrent : les recours judiciaires sont un des moyens de réaliser les DESC.

La Charte africaine le rappelle d’ailleurs dans son article 7 : les individus dont les droits fondamentaux ont été violés ont le droit de saisir les juridictions nationales compétentes.

L’adoption de ce Protocole a une haute valeur symbolique en ce qu’elle a commencé à corriger le déséquilibre historique dans l’attention portée aux droits civils et politiques d’une part et aux droits économiques, sociaux et culturels d’autre part, depuis l’adoption de deux Pactes internationaux distincts en 1966. A cet égard, il serait fort dommageable que l’universalité de la protection des DESC soit mis à mal par l’absence de ratifications du Protocole par des pays africains, ceux-là mêmes qui ont su parmi les premiers affirmer dans la Charte africaine l’interdépendance, et l’indivisibilité de tous les droits de l’Homme.

Ce protocole n’a évidemment pas qu’une portée symbolique. Une fois entré en vigueur, il permettra aux individus et groupes d’individus dont les droits ont été violés et qui n’ont pas reçu justice dans leur pays d’accéder à une voie de recours auprès du Comité DESC des Nations unies. Il est prévisible que la possibilité pour les individus de saisir un mécanisme international en dernière instance et après épuisement des recours internes, l’incitera les Etats Parties à garantir une plus grande protection juridictionnelle des DESC. Ainsi, le protocole devrait encourager les Etats africains qui le ratifieront à garantir l’accès à des recours effectifs au niveau national. Les Etats seront incités à prendre des mesures visant à la réalisation progressive des DESC.

Bien sûr, la question des ressources permettant aux Etats de réaliser les droits économiques, sociaux et culturels pour tous se pose avec acuité pour nombre de pays africains. Notons cependant que le Pacte prévoit que les Etats agiront au maximum de leurs ressources disponibles et ce tant par leur effort propre que par la coopération et l’assistance internationale. Dans l’examen des cas qui lui seront soumis, le Comité DESC devra pendre en compte non seulement les ressources dont dispose l’Etat mais également les obstacles et contraintes qui pèsent sur lui. Aussi, le Comité devra-t-il juger de l’aspect raisonnable des mesures prises par l’Etat dans un contexte donné. Il pourra également estimer que l’Etat n’était pas en mesure de mettre en œuvre ses obligations et demander le cas échéant aux institutions spécialisées, fonds et programmes des Nations unies de soutenir l’Etat en question.

L’établissement d’une jurisprudence internationale sur les DESC viendra sans aucun doute renforcer les Etats souhaitant affirmer leurs obligations internationales face à des investisseurs internationaux, dont les activités mettent en péril la jouissance des droits économiques et sociaux des populations ou dans le cadre de négociations commerciales internationales. Alors que de nombreux Etats africains ont l’impression de ne pas pouvoir résister aux pressions économiques dont il font l’objet, il est souhaitable que les DESC soient renforcés au niveau international.

Enfin, dans des cas de violations sérieuses et systématiques telles que des expulsions forcées massives, des famines orchestrées à des fins politiques ou des discriminations dans l’accès aux droits de groupes entiers, comme en a connu l’Afrique à travers ces dernières décennies, la procédure d’enquête pourra être activée. Le comité pourra également recommander des mesures urgentes de protection dans des cas où des dommages irrémédiables pourraient être causés.

Mesdames et messieurs les Commissaires,

La Coalition internationale des ONG pour le Protocole, à laquelle est associée la FIDH, et de nombreuses organisations de la société civile africaine et internationale ont lancé un appel à la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples afin qu’elle encourage les Etats africains à faire preuve de leadership en ratifiant dans les meilleurs délais le Protocole. Les Etats africains enverraient ainsi un signal au reste du monde en affirmant l’importance de l’accès à la justice pour les plus pauvres et les marginalisés, et pour un développement basé sur les droits de l’Homme.

Nous le savons, les violations des droits économique, sociaux et culturels, la marginalisation de populations et de groupes alimentent les conflits sociaux et l’instabilité de nos pays. En ratifiant le Protocole PIDESC, l’Afrique réalisera un pas de plus en faveur de la justice sociale.

La FIDH demande à la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples d’adopter une résolution appelant les Etats parties :
 à prendre des mesures immédiates en vue de réaliser progressivement les droits économiques, sociaux et culturels en Afrique ;
 à ratifier le Protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

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