La Cour Européenne des Droits de l’Homme appelée à trouver le point d’équilibre entre liberté d’expression et lutte contre les discours de haine

La FIDH intervient dans l’affaire Perinçek c. Suisse devant la Grand Chambre de la Cour Européenne des droits de l’Homme et appelle la Cour à trouver le point d’équilibre entre liberté d’expression et lutte contre les discours de haine.

Paris-Strasbourg, 28 janvier 2015. Dans un contexte international où la liberté d’expression est de plus en plus menacée, l’affaire Perinçek c. Suisse offre à la Cour Européenne des Droits de l’Homme une occasion rare de trancher le dilemme entre la liberté d’expression et la lutte contre les discours de haine, notamment lorsque ceux-ci prennent la forme du négationnisme. Compte tenu de l’importance de cette question, la FIDH est intervenue dans l’affaire en soumettant des observations écrites en tant que tierce intervenante, argumentant que les discours négationnistes sur le génocide arménien et la rhétorique de haine qui les accompagne constituent un risque avéré de violence et peuvent ainsi justifier une restriction à la liberté d’expression.

« À l’aune d’une jurisprudence européenne fluctuante qui est à la source d’une incertitude menaçant la libre formation des idées et le débat démocratique, la Cour est appelée à préciser solennellement les principes qui devraient les encadrer et à fournir des critères d’interprétation qui protègent la liberté d’expression et de discussion historique sans permettre que les discours négationnistes ou haineux puissent impunément prospérer » a affirmé Karim Lahidji, Président de la FIDH.

Saisie par M. Perinçek, un ressortissant turc condamné pénalement par les tribunaux suisses pour discrimination raciale après avoir publiquement nié, lors de diverses conférences, l’existence de tout génocide perpétré par l’Empire Ottoman contre le peuple arménien en 1915, la Cour européenne s’était prononcée en faveur du requérant, en concluant que celui-ci avait subi une violation de sa liberté d’expression, liberté protégée par la Convention. Pour écarter l’abus de droit - qui seul pourrait justifier une limitation des droits et des libertés protégés par la Convention Européenne des Droits de l’Homme - et conclure à une violation de la liberté d’expression, telle que garantie par la Convention (article 10), la Cour a jugé que les propos tenus par le requérant n’étaient ni de nature à transmettre la haine ni à inciter à la violence contre le peuple arménien, au motif que la négation du génocide arménien n’est pas un « moteur » de haine raciale. À l’occasion du réexamen de l’affaire par la Grande Chambre de la Cour, la FIDH a soumis une tierce intervention proposant des pistes de raisonnement à la Cour pour garantir au mieux l’équilibre entre protection de la liberté d’expression et interdiction des discours de haine.

« En suggérant que les propos niant le génocide arménien ne sont pas de nature à véhiculer la haine et inciter à la violence contre le peuple arménien, la décision de la Chambre nie l’existence d’une rhétorique de haine employée par des médias et autorités turcs contre les Arméniens, dans laquelle ces propos se situent, et qui constitue la principale cause des menaces contre leur vie et des violences à leur encontre » affirme Patrick Baudouin, Président d’honneur et Coordinateur du Groupe d’action judiciaire de la FIDH. « De nombreuses affaires devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme ont démontré la connexion entre ces discours et le risque avéré de violences ».

En outre, en liant la possibilité d’une répression pénale de propos négationnistes à la reconnaissance du génocide en question par une juridiction internationale, comme il en est de l’Holocauste, la Cour fonde ses conclusions sur un critère fallacieux qui non seulement contredit sa jurisprudence précédente - consacrant l’existence de faits clairement établis et non la reconnaissance judiciaire -, mais risque de créer une différence de traitement dangereuse entre deux catégories de discours négationnistes, et d’instaurer une « hiérarchie des génocides ».

« La reconnaissance judiciaire d’un génocide est dépendante des aléas historiques et peut être nuancée par d’autres formes de reconnaissances internationales », assure Karim Lahidji. « L’intention haineuse et discriminatoire sous-tendant la démarche négationniste justifierait une restriction à la liberté d’expression ».

La FIDH, dans sa tierce intervention, met en avant une série d’éléments pouvant servir la Cour dans la mise en balance de la liberté d’expression et de l’interdiction de l’incitation à la haine. Ces éléments à prendre en compte comprennent la teneur des propos litigieux, la personne du locuteur et le contexte d’énonciation des propos en question. Une telle approche clarifierait les exigences relatives aux exceptions à la liberté d’expression, ce qui en permettrait une meilleure garantie, tout en renforçant l’efficacité des dispositifs de lutte contre les discours de haine.

Télécharger la tierce intervention de la FIDH

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