Un chef anti-balaka transféré à la CPI : un nouveau souffle pour la lutte contre l’impunité ?

@FIDH

Nos organisations se félicitent du transfèrement aujourd’hui vers la Cour Pénale Internationale (CPI) d’Alfred Yekatom alias « Rombhot » ou « Rambo ». Avec ce transfert s’ouvre le premier dossier de l’enquête de la CPI sur les crimes commis depuis 2012 en Centrafrique par les selekas et les anti-balakas. Nos organisations ont enquêté sur les crimes et exactions perpétrées par ce chef de guerre et sa milice, actifs depuis 2013 dans l’ouest et le sud du pays.

« Le transfert de Yekatom de Bangui à la CPI confirme l’engagement des autorités à coopérer avec la CPI lorsqu’elle n’est pas en mesure de poursuivre les principaux responsables des crimes de guerre. En janvier, la justice centrafricaine condamnait le milicien Andjilo à la prison à perpétuité. Fin octobre, la Cour pénale spéciale était inaugurée. Aujourd’hui le transfert de Yekatom vers la CPI vient confirmer cet engagement des autorités centrafricaines à lutter contre l’impunité des principaux auteurs de crimes les plus graves »

Me Drissa Traore, vice président de la FIDH.

Le transfert d’Alfred Yekatom intervient quinze jours après qu’il eût été arrêté par les forces armées centrafricaines, après avoir tiré deux coups de feu dans l’hémicycle de l’Assemblée Nationale, lors de l’élection du nouveau Président de l’Assemblée.

Un leader anti-balaka reconverti dans la politique et le business de la sécurité

Placé sous sanctions (1) par le conseil de sécurité des Nations-Unies depuis 2015, Yekatom contrôlait une dizaine de points stratégiques lors du conflit entre 2013 et 2014. Ancien caporal-chef des forces armées centrafricaines (FACA), il disposait alors d’une centaine de miliciens équipés d’armes de guerre. Ces derniers sévissaient principalement dans le sud-ouest de Bangui et dans la ville de Bimbo, située à 9 km de la capitale. Il était également à la tête des anti-balaka contrôlant les très lucratifs checkpoints de la route commerciale allant de Bangui à Mbaiki, une ville au sud-ouest du pays. Ses éléments imposaient également des taxes illégales entre Pissa et Batalimo (2).

Soucieux de s’assurer une vitrine légale, Alfred Yekatom avait ensuite créé une société de sécurité privée appelée « Koya », active dans les quartiers ou ses milices étaient déployées. En 2017, cette société assurait la sécurité des entreprises Palmex et Palme d’Or, spécialisées dans la production d’huile de palme dans la Lobaye.

Nos organisations suspectent Yekatom (3) et sa milice d’avoir commis des viols et des meurtres sur les civils des localités sous leur contrôle, notamment des exécutions dans le 6ème arrondissement de Bangui. Par ailleurs, Yekatom a recruté des enfants soldats et les a fait combattre au sein de son groupe armé. En août 2014, plus de 150 d’entre eux avaient été pris en charge avec le soutien de l’UNICEF.

Après l’acquittement de Jean-Pierre Bemba, un test crucial pour la CPI en Centrafrique

Il s’agit du premier mandat d’arrêt et transfert très rapide vers la CPI dans le cadre de ses enquêtes ouvertes, en septembre 2014, sur les crimes commis par les Selekas et les anti-balaka depuis 2012, suite à la saisine de l’État centrafricain.

« Ce premier mandat d’arrêt contre un ex chef balaka devrait être suivi dans les meilleurs délais d’autres poursuites, notamment contre les anciens chefs seleka. Ceci permettrait à la CPI de poursuivre ensemble les auteurs de ces crimes et mieux refléter ainsi la réalité de l’ensemble des crimes subis par les victimes »

Me Drissa Traore, vice président de la FIDH.

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Le 8 juin 2018, la chambre d’appel de la CPI acquittait le chef de guerre congolais Jean-Pierre Bemba des crimes de meurtres, viols et pillages, commis entre 2002 et 2003 par ses troupes en Centrafrique. Elle provoquait ainsi notamment l’incompréhension des 5229 victimes centrafricaines ayant participé à la procédure (4).

« Quatre mois après son incapacité à condamner JP Bemba, la CPI doit montrer qu’elle peut être un acteur fort dans la lutte contre l’impunité en RCA »

Albert Panda, vice président de l'OCDH.

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Le dialogue politique ne doit plus se faire au prix de l’impunité

Alors qu’un dialogue politique avec les groupes armés est annoncé dans les prochaines semaines, d’autres signes encourageants montrent que la justice pénale est en train de se redéployer en RCA. Une nouvelle session criminelle débutera à Bangui le 19 novembre, alors que les premières enquêtes effectives de la Cour pénale spéciale sont annoncées dans les prochains jours. Si les chefs de guerre du pays avaient pris pour habitude de s’arroger des amnisties et/ou un pouvoir politique à chaque table de négociation (5), la pratique ne semble plus acquise.

« Le transfèrement de Yekatom à l’approche du dialogue politique entre les groupes armés et l’Union Africaine doit être perçu comme un signal fort. En Centrafrique, le pouvoir politique ne doit plus pouvoir s’octroyer par les armes. Les auteurs de crimes de masse ne sont pas à l’abri de la justice et seront appelés à rendre des comptes à leurs victimes »

Alain Kizinguere, vice président de la LCDH.

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La CPI a annoncé qu’un mandat d’arrêt avait été émis à l’encontre de Yekatom le 11 novembre pour crime de guerre et crime contre l’humanité notamment pour meurtre, torture, persécution, transfert forcé de population, destruction d’édifice religieux et recrutement d’enfants-soldats.

(1) https://www.un.org/sc/suborg/fr/sanctions/2127/materials/summaries/individual
(2) Près de la frontière avec la RDC
(3) Dont le nom était d’ailleurs mentionné dans notre rapport « Centrafrique : il doivent tous partir ou mourrir », 2014, p. 64. https://www.fidh.org/IMG/pdf/rapport_rca_2014-fr-ld.pdf
(4) https://www.fidh.org/fr/regions/afrique/republique-centrafricaine/la-condamnation-definitive-de-jean-pierre-bemba-ouvre-enfin-la-voie-a
(5) https://www.fidh.org/fr/regions/afrique/republique-centrafricaine/ne-pas-octroyer-des-amnisties-pour-les-atrocites-commises-le-dialogue

Contacts presse :
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Florent Geel (directeur du bureau Afrique FIDH)
fgeel@fidh.org +33648059223
Pierre Brunisso (coordonnateur de projet FIDH en RCA)
pbrunisso@fidh.org +23672591850 / +23672206539

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