Chili : Des ONG et membres de la communauté de Quintero Puchuncavi poursuivent l’entreprise AES Gener (devenue AES Andes) et l’État Chilien pour négligence et inaction face aux graves impacts environnementaux des centrales thermiques à charbon

L’Observatorio Ciudadano, membre chilien de la FIDH, la Fundación Terram et des membres des communautés de Quintero et de Puchuncaví, ont lancé une action constitutionnelle “de protection” en réponse aux infractions environnementales liées à l’exploitation des centrales à charbon par AES Gener, et à l’échec des autorités environnementales de correctement contrôler le respect de la licence environnementale de l’entreprise.

Les Faits

Près d’un quart de l’électricité au Chili est produite par des centrales à charbon, qui émettent de fortes quantités de gaz à effets de serre et autres émissions polluantes. AES Gener (devenue récemment AES Andes) au Chili est le géant de la production d’électricité à partir du charbon, avec une capacité installée représentant 54% (2 754 MW/h) du total national. Après avoir acquis les générateurs d’électricité chiliens qui avaient été privatisés dans les années 80, AES Gener, une société transnationale dont la maison mère est basée aux États-Unis, a construit 10 centrales thermoélectriques dans différentes régions du Chili, dont les émissions atmosphériques contribuent notamment à la pollution de l’air, parmi les multiples problèmes environnementaux qu’elles posent. Deux des zones où elle opère ont déjà été déclarés comme étant saturés à cause des niveaux de pollution de l’air. En août et septembre 2018, les centrales thermoélectriques Ventanas II, Nueva Ventanas et Campiche d’AES Gener ont été impliquées dans des épisodes d’intoxication massive dans les villes de Quintero et Puchuncaví, situées dans le centre du Chili.

En 2020, la Fundación Terram dépose une plainte devant la Surintendance de l’Environnement (SMA) mettant en cause que les centrales d’AES Gener (aujourd’hui AES Andes) ont plusieurs fois dépassé la puissance brute maximale autorisée par leurs licences environnementales lors de ces épisodes. Mais l’autorité environnementale s’est contentée d’accuser réception de la plainte et d’indiquer qu’elle serait analysée, sans encore communiquer les résultats de son analyse. A notre connaissance, les autorités n’ont pas développé d‘activités d’inspection environnementale, adopté de sanctions ou, à défaut, du classement sans suite de cette plainte, alors que le délai légal pour le traitement de cette plainte était de 60 jours. L’inaction de l’autorité environnementale de l’État du Chili face à son obligation légale de traiter la plainte est aggravée, étant donné que le Ministère de l’Environnement a promu en 2018 un Plan de prévention et de décontamination atmosphérique des communes de Concón, Quintero et Puchuncaví, qui vise à prévenir la dispersion de particules et d’autres polluants et le dépassement des seuils d’émission du dioxyde de soufre tels que ceux émis par les centrales thermoélectriques d’AES Gener.

Il faut noter que, selon les informations officielles, la centrale de Nueva Ventanas de l’entreprise a continué à fonctionner au-dessus des niveaux de puissance brute maximale autorisée durant 48 % de ses heures de fonctionnement en 2021. Ces manquements de l’autorité environnementale et d’AES Gener affectent directement les droits constitutionnels de la population vivant dans la zone de Quintero-Puchuncavi, notamment le droit à la vie et à l’intégrité physique et mentale, l’égalité devant la loi et le droit de vivre dans un environnement exempt de pollution, reconnus dans la Constitution, ainsi que dans les traités internationaux relatifs aux droits humains signés et ratifiés par le Chili.

L’action intentée

En septembre 2021, nos organisations ont saisi la cour d’appel de Valparaíso d’une action constitutionnelle de protection encontre à la Surintendance de l’Environnement en raison de l’illégalité et l’arbitraire résultant du temps de traitement excessif de la plainte déposée en 2020 concernant le dépassement de la puissance maximale autorisée dans le fonctionnement des centrales thermoélectriques de Nueva Ventanas et Campiche pendant les années 2017 à 2020. L’action a été également dirigée contre la compagnie d’électricité AES Gener et sa filiale Empresa Eléctrica Ventanas, pour le dépassement continu et répété des niveaux autorisés de puissance maximale brute autorisée lors du fonctionnement de la centrale thermoélectrique Nueva Ventanas et, par conséquent, pour le manquement à leurs devoirs de vigilance en matière des droits humains, impactant gravement les droits constitutionnels de la population de Quintero-Puchuncavi, notamment le droit à la vie et à l’intégrité physique et psychologique, l’égalité devant la loi et le droit de vivre dans un environnement exempt de pollution.

Ce que nous avons demandé

L’objectif de cette action constitutionnelle était d’exiger que la Surintendance de l’environnement respecte ses obligations légales en répondant à la plainte déposée par Terram en 2020 et en adoptant les mesures d’inspection et, éventuellement, de sanction que la loi prévoit pour protéger le droit à un environnement sain et le droit à la vie et à l’intégrité physique et psychologique des habitants affectés par le fonctionnement de la centrale thermoélectrique de Nueva Ventanas, consacrés dans la Constitution et les traités internationaux relatifs aux droits humains signés et ratifiés par le Chili. En même temps, nous avons exigé que l’entreprise AES Gener (aujourd’hui AES Andes), propriétaire de la centrale thermoélectrique susmentionnée, respecte les obligations et les conditions d’exploitation établies par sa licence environnementale relatives à la puissance maximale brute autorisée, évitant ainsi que des événements de pollution comme ceux qui se sont produits en 2018 ne se reproduisent.

Appel devant la Cour suprême

Le 27 décembre 2021, la Cour d’appel de Valparaíso a accepté le recours concernant le retard de la SMA à répondre à la plainte de Terram, mais lui a accordé un délai supplémentaire de 90 jours ouvrables pour répondre. En ce qui concerne le dépassement de la production d’énergie d’AES Andes et d’Empresa Eléctrica Ventanas, la Cour a décidé que : "... il s’agit de questions de fond qui dépassent le champ de connaissance de cet arbitrage, [et] elles seront donc rejetées". 

Compte tenu du caractère insatisfaisant de la décision du tribunal de Valparaiso, un recours a été introduit en janvier 2022 auprès de la Cour suprême. Le 22 juillet, la Cour suprême a décidé de rejeter le recours, annulant la décision du tribunal de Valparaiso qui avait partiellement fait droit au recours.

La Cour suprême a fondé sa décision sur le fait qu’en 2019, la SMA a engagé une procédure de sanction à l’encontre d’AES Andes S.A., qui est actuellement suspendue, après que le programme de conformité présenté par les entreprises concernées a été approuvé par la SMA. Cette procédure de sanction a été engagée par cette dernière en octobre 2019, après avoir constaté un excès de production d’électricité par rapport à la puissance brute légalement autorisée par la centrale de Nueva Ventanas.

En décembre 2021, la SMA a approuvé le plan de conformité, en vertu duquel AES Andes S.A. s’est engagée à adopter des mesures pour respecter la production maximale d’électricité autorisée. En outre, elle s’est engagée à réduire ses émissions au cours du premier semestre 2022 d’un montant équivalent aux émissions excédentaires enregistrées entre 2016 et 2018 et entre avril 2018 et décembre 2019.

En raison de cette procédure déjà engagée par la SMA, la Cour a considéré que le recours a "perdu sa chance".

Malgré ce qui précède, il est important de noter que la Cour suprême reconnaît la négligence de la SMA dans le traitement de la plainte déposée par Terram sur l’excès de puissance autorisé. Par conséquent, il a décidé de transmettre cette information au Procureur général de la République afin qu’un dossier disciplinaire soit ouvert et que les responsabilités découlant de l’omission soient poursuivies, étant donné la passivité dans l’exercice des attributions légales du SMA dans cette affaire.

Les résultats

En résumé, malgré le fait que le recours en protection n’ait pas abouti, le procès a contribué en partie à l’engagement de l’entreprise à réduire ses émissions polluantes en raison de l’excès de sa puissance de production et pour la même raison. Elle a également réussi à attirer l’attention du pouvoir judiciaire sur la nécessité pour l’autorité environnementale (SMA) de faire preuve de la diligence nécessaire dans le contrôle des entreprises polluantes telles que AES Andes, anciennement AES Gener.

La décision a également eu un impact politique ultérieur. D’une part, l’usine Nueva Ventanas d’AES Andes étant l’une des près de 20 industries polluantes de la baie de Quintero-Puchuncaví dans la région de Valparaiso, et après un nouvel épisode de pollution ces derniers mois qui a une fois de plus affecté la santé de la population, le gouvernement du président Boric a annoncé la fermeture en 2025 de lafonderie de cuivre de CODELCO, une entreprise publique, qui opère dans la même zone. La ministre de l’environnement, Maisa Rojas, a ensuite annoncé devant le Congrès national la fermeture prochaine de toutes les industries polluantes de la Bahía.

En outre, AES Andes a annoncé la fermeture anticipée de son autre centrale thermoélectrique en activité dans la région, Ventanas 1, dans le cadre du plan de décarbonisation du pays. Bien que cette centrale soit la plus petite des quatre qui composent le complexe thermoélectrique de Ventanas, elle avait déjà cessé de produire de l’électricité après près de 60 ans d’exploitation, faisant ainsi écho, d’une certaine manière, à la nécessité de réduire ses émissions polluantes. Cette annonce s’inscrit dans le cadre de la fermeture totale des entreprises thermoélectriques prévue pour 2040.

Pour en savoir plus

Institut National des Droits Humains (2018) Rapport de mission d’observation Quintero Puchuncavi

Mujeres de Zona de Sacrificio Quintero Puchuncavi, Fundación Terram et Obseervatorio Ciudadano (2020). AES Gener et l’affectation du droit à l’environnement au Chili.

Terram (2021). Décarbonisation : beaucoup de bruit pour rien.

Diario Financiaro (2021). AES Gener change de nom : la transformation ne se limite pas à la fermeture d’usines.

Environmemtal Justice Atlas (n/d) Complexe industriel de Ventanas, Chili.
 

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