Guatemala : des opérateur·es de justice indépendant·es davantage criminalisé·es

Shalom de León via Unsplash

26 octobre 2022. L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains, un programme conjoint de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) et de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), sollicite votre intervention urgente face à la situation suivante au Guatemala.

Description de la situation

L’Observatoire a reçu avec inquiétude des informations de la Unidad de protección a defensoras y defensores de derechos humanos en Guatemala (Udefegua) concernant de nouveaux actes de criminalisation à l’encontre de M. Juan Francisco Sandoval, ancien responsable de la Fiscalía Especial Contra la Impunidad (Feci) et référent en matière de lutte contre la corruption au Guatemala, et de Mme Leily Santizo, l’avocate de M. Sandoval et ancienne responsable de la Comisión Internacional contra la Impunidad en Guatemala (Cicig). L’Observatoire a également reçu des informations indiquant que la criminalisation de l’ancienne procureure Mme Virginia Laparra se poursuit.

Le 19 octobre 2022, l’actuel directeur de la Feci, M. Rafael Curruchiche, a signalé sur les réseaux sociaux du Ministerio público (MP) du Guatemala, l’émission par le juge Víctor Hugo Herrera Ríos de deux mandats d’arrêt contre Mme Santizo et M. Sandoval, respectivement, pour le délit présumé d’« entrave à la poursuite pénale » (article 458 Bis de la loi contre l’enrichissement illicite) dans le cadre de l’affaire judiciaire connue sous le nom de « Caso cooptación y corrupción judicial », actuellement en délibéré.

Le mandat d’arrêt contre M. Sandoval, le quatrième depuis novembre 2021, est de caractère national et international, étant donné que l’ancien procureur est en exil depuis juillet 2021, craignant une détention arbitraire suite à sa destitution illégale à la tête de la Feci. Le jour où les mandats d’arrêt ont été émis, des agent·es de la Feci, en coordination avec la Policía nacional civil (PNC), ont perquisitionné le domicile de Leily Santizo à Guatemala City alors qu’il était absent.

L’accusation se fonde sur un échange qu’auraient eu Mme Santizo et M. Sandoval, via une application de messagerie instantanée en janvier 2022, au sujet d’une affaire judiciaire en délibéré contre M. Sandoval. Selon la Feci, il y aurait des indices d’« obstacles à l’action judiciaire » dès lors que M. Sandoval aurait obtenu un accès privilégié à des informations supposées sous devoir de réserve, et ce malgré le fait qu’en tant qu’accusé il avait le droit de disposer de ces informations.

Le 19 octobre 2022, alors que Mme Laparra, détenue arbitrairement depuis le 23 février 2022, attendait le début d’une audience de révision de sa mesure de détention préventive devant un tribunal pénal de première instance de la ville de Guatemala, la Fundación contra el terrorismo et des comptes anonymes sur les réseaux sociaux ont divulgué des informations selon lesquelles un nouveau mandat d’arrêt aurait été émis contre elle. À la fin de l’audience, au cours de laquelle sa demande d’assignation à résidence a été rejetée, Mme Laparra a été informée officiellement qu’un juge des procédures d’urgence avait ordonné son arrestation pour le délit présumé de «  divulgation d’informations confidentielles  » dans le cadre de ses plaintes administratives contre le juge Lesther Castellanos, alors compétent à Quetzaltenango, dans le cadre du procès contre les responsables de diverses structures de corruption dans la municipalité de Quetzaltenango. Au moment de la publication de cet appel urgent, Mme Laparra est détenue arbitrairement dans l’Unidad militar de Matomoros.

Les nouveaux actes de criminalisation à l’encontre de Juan Francisco Sandoval, Leily Santizo et Virginia Laparra s’inscrivent dans un climat hostile instauré par le gouvernement d’Alejandro Giammattei contre les acteur⋅ices de la justice qui œuvrent pour une justice indépendante capable d’agir contre l’impunité et la corruption au Guatemala.

Ces actes s’inscrivent dans un contexte d’érosion et d’affaiblissement délibérés de l’état de droit au Guatemala, visant à inspirer la peur, ainsi qu’à coopter le système judiciaire pour assurer l’impunité des réseaux criminels opérant dans le pays.

Depuis avril 2021, au moins 24 opérateur⋅ices de justice indépendant⋅es ont été contraint⋅es de quitter le pays pour protéger leur intégrité et celle de leur famille. Selon les chiffres documentés par l’Udefegua, les opérateur⋅ices de justice indépendant⋅es ont été le groupe de défenseur⋅es des droits humains le plus ciblé, avec un total de 211 attaques, dont diffamation, des discours de haine, des plaintes judiciaires infondées et des détentions arbitraires.

Parmi les opérateur⋅ices de justice harcelé⋅es figurent Erika Aifán, juge de première instance du Juzgado primero de primera instancia plena, narcoactividad y delitos contra el ambiente de mayor riesgo D ; Xiomara Sosa et Amy Girón, ancienne procureure de la Feci ; Aliss Morán et Samari Carolina Gómez Díaz, toutes deux anciennes assistantes de la Feci ; Elena Sut Ren, procureure de l’Agencia de casos especiales del conflicto armado interno de la fiscalía de derechos humanos ; l’ancienne procureure générale du Guatemala Claudia Paz y Paz, ainsi que Miguel Ángel Gálvez, juge du Juzgado B de mayor riesgo del organismo judicial de Guatemala.

L’Observatoire condamne fermement les nouveaux actes de criminalisation contre Juan Francisco Sandoval, Leily Santizo et Virginia Laparra, ainsi que le harcèlement continu contre tou⋅tes les opérateur⋅ices judiciaires qui veillent à l’indépendance du système guatémaltèque.

L’Observatoire exhorte les autorités compétentes à mettre fin au harcèlement judiciaire dont ces personnes font l’objet et à prendre immédiatement les mesures nécessaires pour garantir leur sécurité ainsi que leur intégrité physique et psychologique.

Appel à l’action

Veuillez écrire aux autorités guatémaltèques pour leur demander instamment de :
 libérer immédiatement Virginia Laparra et adopter immédiatement les mesures les plus appropriées pour garantir son intégrité physique et psychologique ainsi que celle de Leily Santizo, Juan Francisco Sandoval, et de tous les acteur⋅ices de la justice et défenseur⋅es des droits de humains ;
 mettre fin à tous les actes de harcèlement, y compris au niveau judiciaire, contre Leily Santizo, Juan Francisco Sandoval, Virginia Laparra, ainsi que contre tous les acteur⋅ices de la justice et les défenseur⋅es des droits humains au Guatemala ;
 mettre fin à toutes les menaces, attaques et actes de harcèlement et de criminalisation, et d’assurer des garanties pour les personnes qui travaillent à mettre fin à la corruption et à l’impunité et à défendre les droits humains au Guatemala ;
 inverser immédiatement la politique de persécution et de criminalisation des acteur⋅ices de la justice indépendante et des défenseur⋅es des droits humains au Guatemala ;
 promouvoir une politique publique globale pour la protection des défenseur⋅es des droits humains, comprenant des éléments de protection, de prévention et de lutte contre l’impunité, par le biais d’un processus large et participatif.

Contacts

 M. Alejandro Giammattei, Président de la République du Guatemala. Twitter : @DrGiammattei
 M. Guillermo Castilla, Vice-Président de la République du Guatemala. E-mail : guillermo.castillo@vicepresidencia.gob.gt
 M. David Napoleón Barrientos, Primer Viceministro de Gobernación encargado de la Seguridad. E-mail : gachavarria@mingob.gob.gt
 Mme l’Ambassadeure Carla María Rodríguez Mancia, Mission permanente du Guatemala auprès des Nations unies à Genève. E-mail : mission.guatemala@ties.itu.int, onusuiza@minex.gob.gt
 M. l’Ambassadeur Luis Raúl Estevez, Mission permanente du Guatemala auprès de l’Organisation des États américains à Washington, D.C. E-mail : oea@minex.gob.gt, guatemala@oas.org
 M. l’Ambassadeur Jorge Skinner-Klée Arenales, Ambassade du Guatemala à Bruxelles. E-mail : embaguate.belgica@skynet.be

Veuillez également écrire aux représentations diplomatiques du Guatemala dans vos pays respectifs.

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