Crimes commis par Wagner en Syrie : plainte déposée auprès de la CEDH suite au classement de l’affaire en Russie

09/06/2022
Communiqué
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Louai Beshara / AFP

Paris, le 9 juin 2022 — Après plusieurs tentatives infructueuses d’obtenir l’ouverture d’une enquête judiciaire par le Comité d’enquête de la Fédération de Russie suite au meurtre, par les membres du Groupe Wagner, d’un ressortissant syrien en 2017, les avocat·es de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), du Memorial Human Rights Center (HRC) et du Syrian Center for Media and Freedom of Expression (SCM) ont déposé une requête devant la Cour européenne des droits de l’Homme.

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Cette plainte s’inscrit dans la continuité d’une longue bataille judiciairemenée en Russie par Abdullah Elismail, le frère de la victime, et les trois organisations mobilisées sur le dossier, la FIDH, SCM et Memorial — pour établir les circonstances du meurtre de Mohammed Elismail, en Syrie en 2017 aux mains de membres de l’entreprise militaire privée Wagner.

Alexander Cherkasov, Président de Memorial a déclaré : « Cette affaire cristallise l’urgente nécessité de tenir pour responsables de leurs actions des groupes militaires privés tels que Wagner et, plus généralement, d’établir la responsabilité de l’État dans de tels cas. Elle permet également de mettre en lumière les exactions commise par les membres du groupe Wagner qui n’ont jamais été inquiétés pour les crimes qu’ils ont commis entre autres en Syrie, en Ukraine, au Mali, en RCA ou encore en Libye ».

Comme l’explique Clémence Bectarte, avocate et coordinatrice du Groupe d’action judiciaire de la FIDH : « Si notre requête est déclarée recevable, la CEDH devra se pencher sur une question majeure, et dont la réponse est attendue depuis longtemps, concernant les atrocités perpétrées par le groupe Wagner : celle des liens que ce groupe entretient avec l’Etat russe et de la responsabilité de ce dernier dans les atrocités commises par le groupe ».

La torture, le meurtre et la mutilation du corps de la victime par plusieurs hommes russophones ont été filmés et largement diffusés en ligne. Plusieurs ONG ont identifié avec quasi-certitude l’un des hommes du groupe comme étant Stanislav Dychko, un membre avéré du groupe Wagner.

Cependant, malgré ces preuves accablantes et l’implication établie d’au moins un citoyen russe dans ce meurtre, le Tribunal de district de Basmanny et le Tribunal municipal de Moscou ont estimé que l’inaction du Comité d’enquête (CI) de la Fédération de Russie était légale, en ce que la réalité de la mort de Mohammed n’était pas établie et que la fiabilité de la séquence vidéo n’était pas confirmée.

« Le refus renouvelé des tribunaux russes d’enquêter sur la torture et la mort de Mohammed constitue une grave violation des droits de l’individu à la vie, à la protection contre la torture et à un recours effectif protégés respectivement par les articles 2, 3 et 13 de la Convention européenne des droits de l’Homme » indique Mazen Darwish, directeur de SCM. « Les victimes syriennes et leurs proches méritent que leurs bourreaux soient tenus responsables de leurs actes ».

Même si la Russie a été exclue du Conseil de l’Europe le 16 mars 2022, l’État reste soumis à la Convention européenne des droits de l’Homme jusqu’au 16 septembre 2022 et peut donc être condamné pour toute violation survenue avant cette date.

Contexte :
 Le 30 juin 2017, une vidéo relatant une scène de meurtre apparaissait sur YouTube. La vidéo montrait plusieurs hommes russophones, armés, vêtus de ce qui ressemble à des uniformes militaires, torturant et tuant un homme tout en rigolant.
 En novembre 2019, deux autres vidéos de la même scène apparaissaient sur YouTube et Mohammed Elismail était identifié comme étant la victime de ces exactions.
 Le 11 mars 2021, Abdullah Elismail, le frère de Mohammed Elismail, déposait une plainte auprès du Comité d’enquête de la Fédération de Russie, avec l’assistance directe de SCM, sollicitant l’ouverture d’une procédure pénale pour meurtre commis avec une particulière cruauté, contre les auteurs présumés du meurtre de son frère. Il demandait également au Comité d’enquête de vérifier si les actions de ces individus pouvaient répondre à d’autres qualifications, notamment à celle de crimes de guerre. 
 À la suite de cette plainte, ses avocats demandaient, à deux reprises — le 26 mars et le 13 octobre — au Comité d’enquête des informations sur l’enregistrement de la plainte, sur le déroulement et les résultats de l’enquête préliminaire, ainsi que des copies des documents de procédure, en vain.
 Trois plaintes étaient ensuite déposées auprès du Tribunal de district de Basmanny : le 19 avril, le 4 mai et le 19 juillet. Elles étaient renvoyées à deux reprises pour des raisons procédurales douteuses ; ce qui contraignait les avocats à déployer d’importants efforts pour obtenir des informations sur le sort de ces plaintes et les décisions justifiant leur renvoi. 
 Le 1er octobre 2021, l’avocat Piotr Zaikin déposait une requête auprès du président du Tribunal de district de Basmanny pour lui demander de l’informer par écrit de la décision concernant la troisième plainte.
 Le 18 janvier 2022, le Tribunal de district de Basmanny répondait qu’il n’y avait pas lieu d’ouvrir une enquête en ce que la réalité de la mort de Mohammed n’avait pas été établie et que la fiabilité des séquences vidéo présentées n’avait pas été confirmée.
 Le 28 janvier 2022, le requérant faisait appel de cette décision.
 Le 9 février 2022, le Tribunal municipal de Moscou rejetait l’appel pour les mêmes motifs que le Tribunal de district de Basmanny.
 Le 12 mars 2022, un pourvoi en cassation était formé.

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