Décisions mixtes de la Cour internationale de justice sur la responsabilité de la Russie dans les crimes commis en Ukraine

Nikos Oikonomou / ANADOLU / Anadolu via AFP

Le 2 février 2024, la Cour Internationale de Justice (CIJ) a rendu des décisions importantes dans deux affaires contre la Russie initiées par l’Ukraine, le 16 janvier 2017 concernant le financement du terrorisme et la discrimination raciale, et le 26 février 2022 concernant des allégations de génocide. La Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) et ses organisations membres ukrainiennes et russes saluent le rejet unanime des exceptions préliminaires de la Russie dans l’affaire portant sur l’interprétation de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (CPRCG). Les organisations regrettent toutefois que la CIJ n’ait pas considéré que les fausses allégations de génocide de la Russie pour justifier son invasion à grande échelle de l’Ukraine relèvent du cadre de la Convention, et expriment leur déception quant à l’échec de la Cour à aborder les implications plus larges des actions de la Russie depuis le début du conflit.

Paris, Bruxelles, Kyiv, Kharkiv, 6 février 2024. La Cour internationale de justice (CIJ) a rendu sa décision, le 2 février 2024, sur les exceptions préliminaires soulevées par la Russie dans l’affaire concernant les allégations de génocide sous la Convention pour la prévention et la punition du crime de génocide (CPRCG) -Ukraine c. Fédération de Russie-, avec l’intervention de 32 États. Dans son arrêt, la CIJ a rejeté à l’unanimité les exceptions préliminaires de la Russie, statuant que la Cour peut décider sur le fond si l’Ukraine est responsable de génocide dans les régions de Donetsk et de Louhansk, en violation de la CPRCG. La FIDH, le Centre pour les libertés civiles (CCL), le Groupe de protection des droits humains de Kharkiv (KHRG) et le Centre anti-discrimination Mémorial (ADC Mémorial) saluent cette décision et soulignent l’importance de l’admissibilité de telles revendications de conformité inverse à la lumière de la propagande anti-ukrainienne et des discours de haine diffusés par les responsables et les médias d’État russes.

Toutefois, la CIJ retient l’exception préliminaire de la Russie concernant la compétence matérielle de la Cour par un vote de douze contre quatre, statuant que les fausses allégations de génocide et le recours à la force subséquent ne relèvent pas du champs d’application de la CPRCG. Cette décision soulève des préoccupations significatives quant à l’interprétation et l’application du droit international dans des contextes géopolitiques complexes.

« Bien que nous respections le processus juridique de la CIJ, cette décision réduit potentiellement la portée de la Convention sur le génocide et met au défi la capacité de la communauté internationale à aborder les violations graves des droits humains. Elle souligne la nécessité d’une évolution et d’une adaptation constantes du droit international pour protéger efficacement les droits humains dans un paysage mondial de plus en plus complexe », déclare Pavel Sapelka, vice-président par intérim de la FIDH.

« Cette décision de la CIJ du 2 février 2024 souligne la nécessité d’une évaluation et d’une adaptation continues du droit international, y compris l’interprétation de la Convention sur le génocide, pour répondre efficacement aux défis mondiaux évolutifs et ne pas limiter les moyens disponibles pour lutter contre les crimes internationaux. La société civile continuera de suivre de près les développements dans cette affaire et de plaider pour la protection et la promotion des droits humains », souligne Yevgeniy Zakharov, directeur du Groupe de protection des droits humains de Kharkiv (KHRG).

Le 31 janvier 2024, la CIJ a rendu un jugement important dans l’affaire Ukraine c. Russie concernant l’application de la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme (ICSFT) et la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Cerd). Bien que la Cour ait rejeté la plupart des allégations présentées par la partie ukrainienne, la FIDH et ses organisations membres saluent la reconnaissance par la CIJ des violations graves et continues commises par la Fédération de Russie, y compris le manquement à enquêter sur le financement du terrorisme, et la suppression de la langue et de la culture ukrainiennes en Crimée. La Cour a constaté que la Fédération de Russie n’avait pas rempli ses obligations en vertu de l’ICSFT en ne prenant pas de mesures adéquates pour enquêter sur le financement du terrorisme. De plus, le jugement de la Cour que la Fédération de Russie a violé certaines obligations en vertu de la CERD, en particulier en ce qui concerne les droits éducatifs de la communauté ukrainophone en Crimée, bien que limité, est une reconnaissance significative de l’importance de la protection des droits des minorités et de l’identité culturelle.

« Le Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination raciale a souligné la violation des droits des Tatars de Crimée, y compris les aspects culturels, linguistiques et politiques, ainsi que les répressions ciblées. Cependant, ces problèmes n’ont été que partiellement considérés par la CIJ », note Stefania Kulaeva, responsable du Centre anti-discrimination Memorial. « La Cour a également reconnu des violations des droits éducatifs des Ukrainien·nes en Crimée, similaires aux violations subies par la communauté tatare de Crimée, comme la fermeture des écoles et des écoles maternelles, ce qui montre un schéma de discrimination raciale que la Cour n’a pas pleinement abordé. »

« Il n’y a pas de conséquences négatives évidentes de cette décision mixte de la Cour internationale de justice du 31 janvier », déclare Oleksandra Matviichuk, responsable du Centre pour les Libertés Civiles (CCL), vice-présidente de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH). « L’Ukraine n’a rien perdu. Ce sont plutôt nos attentes qui n’ont pas été satisfaites. L’Ukraine devrait continuer son combat juridique, en se concentrant sur une préparation plus approfondie et une meilleure collecte de preuves des violations des droits humains et des crimes commis par la Fédération de Russie en Ukraine. Cette approche ouvrira la voie à de futures victoires juridiques et maintiendra la justice.  »

Par conséquent, la FIDH et ses organisations membres appellent la Russie à agir conformément à ses obligations internationales et exhortent les États du monde entier à prendre des mesures immédiates et concrètes pour tenir les auteur·es de crimes internationaux pour responsables et empêcher la commission ultérieure de violations graves des droits humains en Ukraine, y compris celles liées au financement du terrorisme et à la discrimination raciale.

Lire la suite