Lettre ouverte à l’occasion du Conseil d’association UE-Tunisie

29/04/2010
Communiqué

A l’attention :

Des Ministres des Affaires étrangères des Etats Membres de l’Union européenne

De la Haute Représentante de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, Catherine Ashton

Du Commissaire européen à l’Élargissement et à la Politique Européenne de Voisinage, Štefan Füle

Madame la Ministre,

Monsieur le Ministre,

Madame la Haute Représentante,

Monsieur le Commissaire,

A l’occasion du Conseil d’association UE-Tunisie, prévu le 11 mai à Luxembourg, le REMDH, la FIDH et
l’OMCT appellent l’UE à affirmer expressément que toute discussion sur un éventuel renforcement des
relations UE-Tunisie doit inclure de manière prioritaire la question des droits de l’Homme et des réformes
démocratiques et rappeler que la Politique européenne de voisinage (PEV)est « basée sur un engagement
mutuel en faveur de valeurs communes, incluant la démocratie, le respect des droits de l’Homme, l’État de droit et la bonne gouvernance » (1) qui sont également la base du renforcement de ces relations sous la forme
d’un statut avancé.

Cinq ans après son adoption, aucun des engagements relatifs aux réformes démocratiques et aux droits de
l’Homme du Plan d’action conjointement adopté dans le cadre de la PEV par la Tunisie et l’UE, n’a été mis
en œuvre. En particulier, la Commission européenne estimait en 2009 dans son rapport de suivi sur la
Tunisie que « les objectifs fixés, notamment en matière des libertés d’association et d’expression, n’ont pas
été atteints. » et constatait la persistance d’ « entraves au travail des défenseurs des droits de l’Homme » (2).

Outre le manquement aux engagements du Plan d’action, la situation des droits de l’Homme s’est dégradée
de manière sensible ces derniers mois en Tunisie comme le constatent de manière unanime les ONG de
défense des droits de l’Homme internationales et tunisiennes ainsi que des experts onusiens indépendants.
De nombreux rapports ont fait état de la multiplication des violations graves et systématiques des droits de
l’Homme et des libertés notamment les libertés d’expression et d’association. En contradiction avec les
engagements internationaux de la Tunisie, la politique répressive menée par le pouvoir tunisien s’intensifie
contre les défenseurs des droits de l’Homme, les associations autonomes tunisiennes et les journalistes
indépendants. Les procès marqués de graves violations des standards internationaux du procès équitable,
les arrestations arbitraires, les agressions physiques, les menaces, les confiscations de matériels, les
campagnes diffamatoires se sont multipliées. Les rares ONG indépendantes en Tunisie sont toujours empêchées de fonctionner, à l’image de la Ligue Tunisienne de défense des Droits de l’Homme (LTDH) et
l’Union Générale des Etudiants de Tunisie (UGET) qui sont empêchées de tenir leurs congrès.

Le degré d’approfondissement des relations de l’UE avec ses pays partenaires a pour objectif, et condition,
de promouvoir et de respecter les droits de l’Homme et les principes démocratiques. Si la Tunisie a exprimé

dès 2008 à l’occasion de la 7 ème session du Conseil d’association son intérêt à rehausser ses relations avec
l’UE, nos organisations estiment que la détérioration de la situation des libertés et des droits fondamentaux
ne permet pas le renforcement des relations UE-Tunisie au regard des principes fondateurs de la PEV.

Lors du prochain Conseil d’association, le REMDH, la FIDH et l’OMCT appellent l’UE à exiger du
gouvernement tunisien les mesures urgentes suivantes pour la protection des défenseurs des droits de
l’Homme :

- la libération immédiate des défenseurs des droits de l’Homme, des syndicalistes et des étudiants de l’UGET emprisonnés suite à des procès inéquitables, à l’image du militant syndical Hassan Benabdallah ;

- le recouvrement intégral des droits de ces militants notamment ceux du bassin minier ;

- la cessation du harcèlement des défenseurs de droits de l’Homme et notamment l’arrêt des menaces judiciaires, notamment contre le journaliste Fahem Boukadous ;

- la garantie de la liberté d’association pour les ONG, les syndicats et les organisations professionnelles, notamment les magistrats et les journalistes en permettant entre autres l’organisation des congrès de ces organisations, en levant le siège devant les locaux des organisations indépendantes de la société
civile et en garantissant la liberté de réunion ;

- l’engagement d’un processus effectif de sortie de crise entre l’Etat et la LTDH qui paralyse l’activité de cette dernière depuis des années ;

- la cessation de mesures arbitraires de gel et d’interdiction des virements au profit des ONG indépendantes dans le cadre de programmes d’appui légaux et transparents. Après la LTDH et l’AFTURD, l’ATFD a récemment et une fois de plus été la victime de cet arbitraire qui la prive notamment du bénéfice d’un appui par des fonds émanant de l’UE via une ONG euro- méditerranéenne ;

- la garantie des libertés de mouvement et de communication de la société civile indépendante ;

- la garantie des libertés d’information et des médias.

En vue de futures discussions sur un éventuel rapprochement entre l’UE et la Tunisie, nos organisations demandent à l’UE de poser les droits de l’Homme comme un élément essentiel d’un renforcement des relations UE-Tunisie. Dans ce contexte, nos organisations recommandent à l’UE de :

- Conditionner tout renforcement des relations à un progrès notable en matière de respect des normes internationales des droits de l’Homme ;

- Mettre enfin en œuvre les Lignes directrices de l’UE sur les défenseurs des droits de l’Homme, qui figure parmi les priorités de la Présidence espagnole et apporter un soutien urgent et visible aux défenseurs des droits de l’Homme en Tunisie ;

- Mettre en œuvre les Lignes directrice de l’UE sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;

- Définir un calendrier précis de réformes relatives aux droits de l’Homme devant être engagées à court terme par la Tunisie, en particulier pour la réalisation des objectifs du Plan d’action PEV actuel ;

- Engager prioritairement des réformes relatives aux garanties de l’indépendance du judiciaire et de la liberté de la presse comme exprimé par le Commission européenne et d’entreprendre comme préalable à tout programme dans ces domaines, une évaluation du programme d’appui à la modernisation de la justice dont les conditions de mise en œuvre sont peu transparentes ;

- Etablir des indicateurs clairs permettant une évaluation objective et régulière de la mise en œuvre des objectifs relatifs aux droits de l’Homme et aux réformes démocratiques ;

- Consulter régulièrement les ONG de défense des droits de l’Homme sur leur évaluation de la situation des droits de l’Homme en Tunisie.

Nos organisations considèrent qu’une telle position s’inscrit dans le respect des obligations propres et internationales de l’UE et de la Tunisie en faveur de la démocratie et des droits de l’Homme, en particulier l’Article 2 de l’Accord d’Association ainsi que les principes fondateurs et objectifs de la PEV.

Dans l’espoir que la présente lettre retiendra toute votre attention, nous vous prions d’agréer, Madame, Monsieur, l’expression de notre haute considération.

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  • Co-signataires

    1 Conseil de l’Union Européenne « Affaires générales et relations extérieures », Conclusion, Bruxelles, 13-14 décembre 2004, p.9

    2 « La réforme de la Justice reste un défi à relever pour asseoir durablement l’Etat de droit, élément essentiel d’un véritable
    rapprochement avec l’UE » Rapport de suivi Tunisie-mise en œuvre de la politique européenne de voisinage en 2008. (Commission
    des Communautés Européennes, « Document de Travail des services de la Commission accompagnant la Communication de la
    Commission au Parlement Européenne et au Conseil », Bruxelles, le 23/04/2009) ; p.12

    3 Ibid.


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