Camal Bekta ?, militant kurde en sursis

03/09/2009
Communiqué

Une enfance marquée le réveil kurde

Camal Bekta ? voit le jour en 1964 dans le village de Gülveren, près de
Midyat, non loin de la frontière avec la Syrie. A la maison, on ne parle que le
kurde. Camal et ses cinq frères et soeurs n’apprennent le turque qu’à l’âge de
9 ans. "A cette époque, nous avions une bonne situation, avec des
terres.
" Son père les a élevés seul, après la disparition de leur mère en
1973. Lui qui voulait devenir avocat ou homme politique ne sera pourtant pas
libre de son orientation.

Sa vie bascule à l’âge de 16 ans, lorsque les services de renseignement de
la gendarmerie, le Jitem, s’invitent dans la localité pour traquer des
partisans du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), alors en pleine
création. Comme la majorité du village, la famille de Camal Bekta ? est kurde,
et donc soupçonnée de sympathiser avec le parti autonomiste.

"C’était les débuts du PKK, j’étais enfant, je ne savais même pas ce que
c’était
". Le samedi 12 septembre 1981, l’armée l’arrête avec une centaine
d’autres personnes "à 2 heures de l’après-midi". Le sillon de sa vie
sera désormais tracé par d’autres que lui.

Lorsque la prison devient une habitude

La lecture est la principale passion de Camal Bekta ?, une habitude qu’il a
prise au fil de ses séjours en prison. Passionné par les figures de Rosa
Luxembourg, Socrate et Spartacus, il a passé assez de temps en détention pour
lire l’intégrale de Marx.

Son périple carcéral débute donc après son arrestation à 16 ans par un
séjour à la prison de Mardin, dans le sud-est du pays, sans qu’aucun procès ne
soit ouvert.

Il est condamné deux ans plus tard pour lien avec le PKK, même s’il nie son
appartenance à l’organisation. "Il n’y a eu aucun débat, nous n’avons pu
dire un seul mot
".

"Nous étions 80 dans une cellule de 35m², raconte-t-il avec
retenue. Forcément, certains sont devenus fous ou handicapés". Il n’en
ressort que huit ans plus tard, ne pèse "que 35 kg" après plusieurs
grèves de la faim, son corps marqué par les multiples séances
d’interrogatoire.

Ses passages au parloir sont un moment de réconfort au goût amer. "Les
visites de mon père n’était que visuelles, car en prison on ne peut parler que
turc...alors que mon père ne connait que le kurde
". Récupérer la dépouille
de son frère

Libéré en 1988, il retourne rapidement derrière les barreaux. Son petit
frère subit le même harcèlement, mais choisit une réponse plus radicale, en
s’engageant aux côtés du PKK. Il connaîtra un sort plus tragique. En 1994, il
disparaît dans les montagnes frontalières de l’Irak avec 14 autres combattants
du PKK, lors d’affrontements contre l’armée.

Sa famille tente en vain de récupérer le corps ; " la dépouille de mon frère
est quelque part dans les environs de Van", souffle-t-il. Camal part alors
vivre à Istanbul où il milite pour le parti politique DeP (devenu depuis le
HaDep), porte-voix des Kurdes en Turquie. Sur place, il découvre les
manifestations hebdomadaires des mères de disparus devant l’université de
Galatasaray, une démarche qui le marque profondément.

Après deux années passés à tenter de récupérer la dépouille de son frère, il
décide de pousser la logique au bout et part en 1998 à Küçükcekmece, dans le
sud-est du pays, pour ouvrir un centre sur les disparus. Ce choix le
rapprochera à nouveau de la case prison.

Le combat pour les disparus

Cet engagement n’est pas sans risque. En 1999, à l’occasion d’une conférence
à Istanbul, il demande que "les responsables des 17 000 disparitions soient
jugés
". Dans la salle, tous songent au rôle de l’armée dans cette affaire.
Trois jours plus tard, Camal est arrêté et son association fermée par
l’administration. L’ONG Yakay-der prend la suite en 2001, Camal en devient
président en 2005.

Yakay-Der estime à 17 000 le nombre de disparus au cours des années 90.
Chiffre invérifiable, même si les disparitions ont bien été massives.
Aujourd’hui forte de 12 000 membres dans le pays, l’ONG espère ouvrir deux
nouveaux centres, l’un à Batman, l’autre à Mersin.

Demander le corps de son frère lui a valu d’être accusé de diffamation et de
propagande contre l’Etat. Ces manoeuvres d’intimidation répétées ont brisé son
optimisme : "il y a un Etat dans l’Etat qui freine les avancées de la
démocratie. Les militaires jouent un grand rôle là-dedans
."

L’espoir d’une "égalité de droit en Turquie"

A ses yeux, la Turquie a encore du chemin à parcourir pour devenir "une
démocratie, sans torture ni injustice". Mais il ne rejette pas ce pays qui a
encore du mal avec sa minorité kurde. Lorsqu’on lui demande s’il espère un
Kurdistan autonome, il répond que "le plus important est avant tout l’égalité
de droit en Turquie".

A quelques jours de son retour au pays, où il sera peut-être placé en
détention, Camal Bekta ? ne peut qu’être anxieux. Mais il tient à se montrer
calme : "peu importe la peine, je continuerai ma lutte et marcherai debout."

Mais à la fin de l’entretien, il concède : "Si je n’avais pas connu la
prison à 16 ans, ma vie aurait été complètement différente
". Il n’éprouve
pourtant aucun regret. Et ce même si son combat pourrait le renvoyer, une fois
encore, en prison.

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Plus d’info : voir l’appel urgent de
l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme
(en
anglais)

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