Xénophobie rampante

19/06/2008
Communiqué


Tribune de Michel Tubiana, président d’Honneur de la
LDH
publiée dans Libération mercredi 18 juin

Les faits sont graves dans leur simplicité : une ressortissante
ougandaise demande l’asile en Grande-Bretagne qui rejette cette demande.
Atteinte du sida et de deux affections opportunistes d’importance, elle
soutient que la renvoyer en Ouganda mettrait sa vie en péril car elle ne
pourrait avoir accès au traitement qui la stabilisait. Le gouvernement anglais
s’obstinant dans sa volonté d’expulsion, l’affaire se retrouve devant la grande
chambre de la Cour européenne des droits de l’homme qui entérine la position
des autorités britanniques. Renvoyer cette femme, dont « la Cour admet que la
qualité et l’espérance de vie de la requérante auraient à pâtir de son
expulsion », ne constitue donc pas un traitement inhumain et dégradant au sens
de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (arrêt du 27
mai 2008).

Pour justifier que cette femme soit ainsi exposée à une mort rapprochée
parce qu’étrangère, la Cour européenne n’hésite pas à mettre en avant la
« charge trop lourde » qui pèserait ainsi sur les Etats membres du Conseil de
l’Europe. En clair, les étrangers gravement malades, qui n’ont pas le droit de
séjourner dans un des pays membres du Conseil de l’Europe, peuvent être
expulsés, au risque de mourir dans des conditions dégradantes, si cela grève
trop les caisses des Etats. On croyait que les dispositions de l’article 3 de
la Convention européenne des droits de l’homme prohibaient absolument les
traitements inhumains et dégradants et la torture. Il n’en est rien : une
autorité publique peut prendre sciemment la décision d’infliger un traitement
inhumain ou dégradant à un étranger pour des considérations d’ordre
économique.

Dire qu’un étranger ne bénéficie pas d’un droit aussi élémentaire que celui
de recevoir les soins appropriés, c’est lui dénier une partie de son humanité.
C’est dire que l’étranger n’est pas un homme comme les autres, n’ayant pas les
mêmes droits fondamentaux que les autres. Soumettre le droit absolu de ne pas
subir des traitements inhumains et dégradants à une condition quelle qu’elle
soit, c’est aussi entrer dans la même logique que celle de George Bush
lorsqu’il justifie la torture. Dans un cas ce sont des considérations
économiques qui justifieraient cette violation de la dignité de l’homme, dans
l’autre cas ce serait la sécurité des populations civiles. En rendant cette
décision à une majorité écrasante, avec l’approbation du juge français, la Cour
européenne fait sienne, au mépris des principes les plus essentiels, au mépris
de la déclaration universelle des droits de l’homme, cette xénophobie rampante
qui dévore l’Europe.

On savait les politiques atteints de cette maladie, voici que les juges les
plus prestigieux de notre continent en sont aussi atteints.

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