Russie – Géorgie : sortir des clichés

09/10/2008
Communiqué

D’ailleurs, ce ne sont pas seulement les autorités russes qui sont visées
par ces déclarations, mais aussi l’Union européenne dont les ONG pointent les
graves insuffisances quant à son action dans le Caucase. Alors que ses
rencontres récentes avec les officiels russes ont surement flatté l’ego de
Nicolas Sarkozy, président en exercice de l’Union européenne, les ONG
soulignent que « la relative négligence de l’Europe à l’égard d’un conflit
qui dure depuis plusieurs années a contribué au dénouement tragique des
évènements ». Le texte des ONG russes ne trouvera sans doute guère d’écho
en Russie. Il mérite par contre d’être relayé en Europe occidentale.

Un rééquilibrage similaire s’impose vis-à-vis de la position géorgienne. Si
les autorités géorgiennes présentent leur pays comme la principale victime de
l’agression russe, il convient de ne pas leur donner carte blanche au nom de
l’aide apportée à David contre Goliath. Le soutien inconditionnel au
gouvernement de Tbilissi dessert la société et le potentiel démocratique de ce
pays. Comme tentent de le rappeler de nombreuses ONG géorgiennes, les pratiques
politiques du président Mikhail Saakachvili sont souvent éloignées de la bonne
gouvernance démocratique. Depuis la révolution des Roses, de nombreuses dérives
politiques (trucage des élections, contrôle des médias, corruption…) ont terni
le vernis libéral-démocratique du nouveau régime géorgien. Le 5 septembre 2008,
16 ONG géorgiennes ont publié un questionnaire embarrassant pour le
gouvernement de Tbilissi. Elles y demandaient une discussion publique sur les
évènements du mois d’août ainsi qu’une libéralisation du régime de la presse
(notamment de la télévision). De nombreux militants des droits de l’Homme en
Géorgie rappellent les atteintes aux droits fondamentaux de la personne commis
dans le pays avant le mois d’août et craignent une extension de ces pratiques
aujourd’hui, au nom de l’union sacrée contre la Russie.

Ces quelques exemples montrent qu’il convient aujourd’hui de sortir des
clichés est-ouest et d’être attentif aux voix dissidentes, qu’elles émanent de
Russie ou de Géorgie. Au-delà de calculs géostratégiques aux conséquences
parfois douteuses, l’Union européenne et ses citoyens doivent rester fidèles
aux principes démocratiques qu’ils défendent. La guerre a toujours des effets
corrupteurs sur les régimes politiques. Elle favorise, à l’intérieur même des
Etats, les discours d’exclusion (« qui n’est pas pour le gouvernement est
un traître »). Les relations entre la Russie et la Géorgie sont le fruit
d’une longue histoire d’échanges économiques et sociaux. Les populations, loin
d’être clairement séparées en deux clans rivaux, sont fortement imbriquées.
Officiellement, selon les données du recensement général de la population,
environ 200 000 Géorgiens vivaient sur le territoire de la Russie en 2002. La
Russie, qui connaît à la fois une crise démographique et un fort développement
économique, est un pôle d’attraction pour les migrants, notamment caucasiens.
En dépit des difficultés qu’ils rencontrent, beaucoup de Géorgiens n’envisagent
pas de quitter ce pays. Les Géorgiens de Russie ont été fortement stigmatisés
en 2006, lors d’une autre phase aigüe des tensions diplomatiques
russo-géorgiennes et vivent à nouveau aujourd’hui sous la menace de violences
xénophobes. Des groupes ultra nationalistes, comme le Mouvement contre les
migrations illégales (DPNI), ont par exemple menacé de s’en prendre aux
Géorgiens installés illégalement en Russie.

Loin du manichéisme des propos entendus ça et là dans les médias, l’analyse
du conflit russo-géorgien impose de conserver un prudent recul sur les
événements, et surtout, d’entendre l’ensemble des acteurs des société civiles
de ces pays. A défaut, cela risque d’être de nouveau le bruit des armes.

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