France : la FIDH saisit le Comité européen des droits sociaux pour enfin garantir les droits des ultramarin·es

© Radio France - Thibault Lefèvre (courtesy)

Avec le concours de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) et de Kimbé Rèd F.W.I., la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) saisit le Comité européen des droits sociaux du Conseil de l’Europe pour exiger de la France l’accès urgent à l’eau potable en Guadeloupe, des réparations pour la pollution au chlordécone et l’application de la Charte sociale européenne. Avec cette action en justice, nos organisations de défense des droits humains entendent défendre l’universalisme des droits pour l’ensemble du territoire français, mettant ainsi un terme à des inégalités historiques entre l’Outre-mer et l’hexagone.

Paris, le 21 mars 2024. L’accès à l’eau potable est un droit humain. La pollution au chlordécone est une atteinte au droit à la santé. La France doit appliquer la Charte sociale européenne partout sur son territoire. La FIDH a déposé le 18 mars 2024, avec le soutien de la LDH et de Kimbé Rèd F.W.I, association antillaise de défense des droits humains, une réclamation collective auprès du Comité européen des droits sociaux (CEDS) du Conseil de l’Europe à l’encontre de la France. Répondant à l’appel de la société civile antillaise porté par l’association Kimbé Rèd French West Indies (F.W.I), cette réclamation dénonce la violation du droit à l’eau potable et à l’assainissement en Guadeloupe, ainsi que l’empoisonnement au chlordécone des populations de Guadeloupe et de Martinique.

La FIDH et la LDH sont mobilisées depuis de nombreuses années dans les territoires français dits d’outre-mer pour la reconnaissance des droits de l’environnement en tant que droits humains à part entière. Le droit à l’eau potable fait partie de ces droits. Ils garantissent la jouissance du droit fondamental à un environnement sûr, propre et sain.

En Guadeloupe, jusqu’à 80% de l’eau produite est perdue à cause de fuites dans les réseaux, occasionnant des coupures quotidiennes pouvant durer de plusieurs jours à plus d’un mois. Lorsque l’eau est disponible, elle n’est pas potable en raison de la vétusté des canalisations (non correctement entretenues depuis 30 ans), de la défaillance de l’assainissement (80% des stations d’épuration ne sont pas aux normes) et de la pollution au chlordécone.

En Guadeloupe et Martinique, alors que 90% de la population des deux îles, soit plus d’un demi-million de personnes, sont touchées par cette pollution à travers la contamination de l’eau, des sols et de l’alimentation, la traçabilité du chlordécone à titre préventif et la désintoxication de l’être humain à titre curatif ne sont toujours pas garantis et, fin 2023, seules 45 personnes avaient été indemnisées pour le préjudice subi.

À ce jour, la France refuse d’appliquer des mesures d’urgence pour garantir l’accès à l’eau potable en Guadeloupe et d’octroyer réparation et indemnisation aux victimes du chlordécone aux Antilles, pourtant recommandées par plusieurs instances des Nations unies. En refusant d’assumer les responsabilités qui lui incombent, le gouvernement français viole plusieurs droits fondamentaux des populations ultramarines, pourtant consacrés par la Charte sociale européenne révisée et de nombreux textes internationaux ratifiés par la France, tels que les droits à la santé, à l’éducation, au logement et à la protection sociale ainsi que le droit à l’eau potable et à un environnement sûr, propre et sain, consacrés respectivement par l’Assemblée générale des Nations unies en 2010 et en 2022.

Afin de défendre un accès égalitaire et effectif à ces droits, et à tous les droits humains des personnes résidant dans les territoires français d’outre-mer, la FIDH, avec le soutien de la LDH, dénonce donc non seulement ces violations graves et répétées, mais également ce traitement discriminatoire, qui serait inimaginable dans l’hexagone. En effet, en dépit de son attachement au principe constitutionnel d’égalité et au respect du droit international des droits humains, y compris du droit à la non-discrimination et des droits sociaux qui sont inscrits dans la Charte sociale européenne, la France na pas expressément reconnu, à ce jour, l’applicabilité de la Charte et de ses protocoles à ces territoires non métropolitains.

« Il est essentiel que le Comité clarifie la pleine application de la Charte et de ses protocoles aux territoires français ultramarins, afin d’engager la responsabilité de la France pour les violations des droits sociaux commises en outre-mer », déclare Patrick Baudouin, président de la LDH.

« La France ne peut pas continuer à ignorer les problèmes récurrents des Antilles. Ils n’ont que trop duré », déclare Elena Crespi, responsable du bureau Europe de l’Ouest à la FIDH. «  Elle doit enfin reconnaître que la Charte sociale européenne doit s’appliquer à l’ensemble de ses territoires. En donnant une suite favorable à la présente réclamation collective, le CEDS inviterait la France à prendre plus sérieusement en compte les inégalités historiques entre l’hexagone et les territoires ultramarins, et à se rapprocher de la réalisation des nombreux droits fondamentaux dans ces derniers ».  

---La Charte sociale européenne du Conseil de l’Europe, pendant de la Convention européenne des droits de l’Homme, garantit le respect des droits économiques et sociaux fondamentaux tels que l’emploi, la protection contre la pauvreté, l’éducation, le logement, la santé et la non-discrimination par les États qui l’ont ratifiée ou ont ratifié sa version révisée.En 1973, la France a ratifié la Charte sociale européenne de 1961, et en 1999, la Charte révisée de 1996, ainsi que le Protocole additionnel prévoyant un système de réclamations collectives de 1995, qui prévoit sa justiciabilité. La France fait, de plus, partie des États ayant accepté l’ensemble des dispositions de la Charte.

Retrouvez ce communiqué de presse en créole (Guadeloupe)

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