L’Elysée veut freiner la cour de La Haye

La décision de son procureur, Luis Moreno Ocampo, a en effet heurté de plein
fouet la solidarité agissante des chefs d’Etat de la région ; et suscité
l’opposition de diplomates « faiseurs de paix » peu enclins à tolérer l’immixtion
du juge, fut-il international, indépendant, dans l’échafaudage de leurs plans.
En vertu de l’article 16 du statut de la CPI, le Conseil de sécurité peut
« demander à la Cour » de n’engager aucune poursuite ni enquête pendant douze
mois renouvelables, si elles représentent une menace pour la paix ou la
sécurité internationale. L’intention des rédacteurs pourrait être
compréhensible par exemple dans le cas, exceptionnel, de la signature imminente
d’un accord de paix ; celle des Etats qui décideront de l’éventuelle
suspension, peut, elle, s’avérer suspecte.

Ainsi de l’offensive tous azimuts qu’a lancée Khartoum depuis l’été, avec le
soutien de nombre de membres de la Ligue des Etats arabes, de l’Union
africaine, de l’Organisation de la conférence islamique, et au-delà d’opinions
publiques largement instrumentalisées et légitimement révoltées par le sort
réservé, en toute impunité, aux populations irakiennes ou palestiniennes.
L’objectif est clair : la suspension des poursuites voire de l’enquête de
la CPI et in fine la mise à l’écart de cette arme de dissuasion, manifestement
trop massive pour n’être pas éliminé.

Un nouvel allié de taille pour Khartoum crée donc la surprise ces
jours-ci : la position réelle de la France sur cet indécent échiquier
suscite en effet les plus grandes interrogations.

Officiellement, et le dernier communiqué en date du ministère des Affaires
étrangères en atteste, le soutien à la CPI reste la ligne, et la coopération du
Soudan avec la CPI la priorité. Mais du côté de l’Elysée, la tonalité est tout
autre, et le Président ne cache plus l’ambition de parvenir à un accord sur le
dos de la justice internationale. Profiter de l’opportunité offerte par les
pressions du juge international sur Khartoum pour aussitôt écarter celui-ci de
la scène, on apprécie la logique implacable du raisonnement ! Et en
échange de quel geste spectaculaire ?

L’approche feint d’ignorer la constance criminelle de Al-Bachir, et sa
volonté affichée de ne pas coopérer avec la CPI. Al-Bechir ne cédera rien. On
peut croire l’intention française louable, elle est surtout terriblement
hasardeuse. Les victimes des crimes internationaux au Darfour apprécieront le
caractère spectaculaire du prix de l’impunité… Quant aux ONG qui soutiennent
l’action de la Cour en Afrique subsaharienne ou dans le monde arabe, dans des
conditions parfois très hostiles, elles ne verront dans cet opportunisme
stratégique français qu’hypocrisie voire duplicité, à l’heure où Total tente
son retour sur la scène soudanaise. En tout cas, un lâchage magistral.

Que la France ne célèbre pas sur son territoire les dix ans du statut de
Rome était peu honorable. Qu’elle torpille le dossier Darfour du procureur et,
au-delà, la crédibilité de la CPI est déshonorant, alors qu’elle s’apprête à
célébrer le soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits
de l’homme. L’heure est à l’urgente clarification, avec l’espoir qu’une seule
doctrine prévale pour la paix : que les juges internationaux puissent
faire leur travail.

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