États-Unis : la Cour suprême met à mal le droit fondamental à disposer de son corps

John Lamparski / NurPhoto via AFP

Violence et contrôle des corps humains : une jurisprudence autoritaire

New York, Paris. 24 juin 2022 - Bien qu’inévitables, certains événements n’en sont pas moins choquants. Le Center for Constitutional Rights (CCR) et la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) sont abasourdi·es par la décision rétrograde de la Cour suprême des États-Unis dans l’affaire Dobbs vs Whole Women’s Health. Il s’agit d’un dédaigneux rejet des principes universellement reconnus d’autonomie corporelle, d’auto-détermination et d’égalité ; d’un mépris des aspirations générationnelles de millions de personnes qui comptaient sur leurs droits à accéder à des soins de santé reproductive intégraux, en particulier à l’avortement ; plus largement des prémisses d’un glissement autoritaire de l’opinion.

Nos organisations craignent la mise en pratique de cet arrêt pour les personnes susceptible d’être enceintes – en particulier les personnes pauvres, les personnes afrodescendantes et racisées, les personnes transgenres – alors que les assemblées des États les plus conservateurs cherchent déjà à contrôler et à dégrader leurs conditions de vie. Elles craignent également pour les principes constitutionnels d’égalité et de dignité humaine au sens large, frontalement menacés par cette régression cruelle. Nos organisations font le deuil de ce qui vient d’être perdu et ce qui est à venir.

Le CCR – organisation membre de la FIDH – était à l’avant-garde des combats des juristes féministes avant la légalisation de l’avortement. Au début des années 1970, elle était en ligne de front pour contester les interdictions d’avorter. Les lois contre l’avortement étaient alors motivées par des conceptions paternalistes et archaïques de la grossesse et de la maternité. Ces mouvements ont documenté et démontré comment la société patriarcale a contribué à la répression et au contrôle des femmes, en particulier des femmes pauvres et racisées, tout en affirmant avec force que le droit à l’avortement est un droit fondamental fondé sur l’égalité.

Dans l’affaire Harris vs McRae, le CCR a contesté, sans succès, devant la Cour suprême, les restrictions punitives, paternalistes et à motivation religieuse imposées par l’odieux amendement Hyde sur l’utilisation de Medicaid pour les services médicaux d’avortement. Plus récemment, le CCR a soutenu l’élargissement de l’accès aux soins de santé reproductive tout en observant le droit à l’avortement être de plus en plus contraint.

La décision 7-2 de la Cour dans l’affaire Roe, bien qu’elle ait été relativement peu remise en cause immédiatement après qu’elle fût prise, a enhardi un mouvement politique théocratique et fondamentaliste. Il a pris prétexte de cette décision pour diriger ses attaques réactionnaires contre la justice raciale et pénale, la liberté et l’égalité des femmes, la répression de la libération queer et de la liberté sexuelle de manière plus générale. Ce mouvement a créé une philosophie judiciaire réactionnaire appelée « originalisme » [1]. C’est elle que l’on devine, dans l’opinion majoritaire de Samuel Alito sur l’affaire Dobbs. Six juges de la Cour suprême sont adeptes de cette idée d’extrême droite, pourtant minoritaire dans le pays.

Nos organisations n’ont jamais cru que les tribunaux assureraient une protection durable. Pour autant, la menace que les membres les plus conservateurs de cette Cour font peser sur la liberté, l’égalité et l’idée de progrès social est aussi inquiétante que profondément ancrée dans la vie politique étasunienne. Idéologiquement engagé·es dans une jurisprudence autoritaire de violence et de contrôle dans une logique de droit exclusif – héritée du XVIIIe siècle puritain, blanc, masculin et propriétaire terrien. Cette logique conçoit comme une liberté protégée par la Constitution la possession et l’utilisation débridées d’armes toujours plus mortelles. Elle encourage et considère comme étant de l’ordre des choses la privation massive du droit de vote des personnes afrodescendantes et racisées. Elle glorifie une histoire honteuse d’asservissement et d’exclusion. Elle légitime fièrement le désir grotesque des législatures étatiques de contrôler la sexualité, la personnalité et la liberté des femmes et des personnes transgenres.

Ces six idéologues sont le bras armé d’un mouvement fasciste en pleine expansion qui promeut la suspension des droits constitutionnels et humains des membres les plus vulnérables de nos sociétés. La Cour a semé des graines avec l’avis Dobbs, qui remettent en cause les conceptions fondamentales de la liberté – à la base des décisions précédentes relatives à la protection de la liberté sexuelle, du mariage pour tou·te·s et de la contraception. Sa vision réinventée du rôle de l’État dans son rapport à l’individu·e laisse présager un dangereux retour en arrière, en ce qui concerne les protections fondamentales des accusé·es, telles que l’assistance d’un·e avocat·e, l’exclusion des preuves illicites et le droit de garder le silence. Au même moment, la Cour démantèle la séparation entre l’Église et l’État.

Le CCR et la FIDH se préparent à ce que celles et ceux qui travaillent à protéger l’auto-détermination, l’autonomie corporelle et la dignité de toute personne susceptible de tomber enceinte soient criminalisées. Elles s’attendent à ce que les assemblées des États agissent rapidement pour restreindre davantage encore les droits à la santé reproductive. Les États-Unis ne sont pas les seuls à vouloir contrôler le corps des personnes ; mais les mouvements qui résistent ne sont pas seuls non plus.

Le CCR et la FIDH s’inspirent des mouvements féministes du monde entier qui ont obtenu le droit à l’avortement malgré des régimes autoritaires, conservateurs et ultra-religieux. Elles ont confiance dans le courage et la persévérance des défenseur·es des droits humains du sud des États-Unis, qui fournissent depuis longtemps des soins reproductifs essentiels, malgré les efforts sournois de celles et ceux qui cherchent à priver les communautés afrodescendantes, racisées et pauvres de cet accès. Le gouvernement et les tribunaux auront beau nier l’existence des droits, seule la volonté du peuple est légitime à les fonder.

Le peuple résiste. Nous nous tenons fièrement aux côtés des résistantes et des résistants.

Tout au long de ce combat, le CCR et la FIDH s’appuient sur leur propre histoire de protection des communautés criminalisé·es et marginalisé·es et des militant·es qui luttent contre les pratiques abusives de l’État. Ensemble avec leurs organisations membres dans le monde entier, les organisations renforceront le pouvoir des communautés, échangeront sur les stratégies de résistance. Elles continueront à démanteler la vaste architecture de la suprématie blanche et de l’oppression de genre, tout en joignant simultanément les énergies et les créativités pour construire le monde que nous méritons toutes et tous.

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