Alison Des Forges, historienne

19/02/2009
Communiqué

L’accident a eu le caractère dramatique, mais explicable, des avions qui
s’écrasent dans les pays stables. Alison Des Forges, historienne américaine et
militante des droits de l’homme, spécialiste de la région des Grands Lacs
d’Afrique et, tout particulièrement, du génocide rwandais, a disparu avec tous
les passagers de l’appareil qui la ramenait chez elle, à Buffalo, aux
Etats-Unis, le 12 février. Elle avait 66 ans. Elle rentrait d’Europe où elle
s’était de nouveau employée à tenir informés des responsables politiques sur la
situation au Rwanda et dans les Grands Lacs.

Rwanda, Burundi, République démocratique du Congo (RDC), pour tous ceux qui
l’ont connue, arpentant inlassablement les terres tourmentées de l’Afrique
centrale, où les abominations de la fin du XXe siècle ont culminé avec un
génocide au Rwanda, c’est la fin brusque de près de vingt ans d’une présence
particulière. L’historienne, formée à Yale, avait terminé en 1972 sa thèse sur
un pays alors peu connu du reste du monde, le Rwanda. Avec le temps, devenue
professeur, mariée à un autre historien, elle avait continué de revenir au
Rwanda, pour le compte cette fois de l’organisation de défense des droits de
l’homme américaine, Human Rights Watch (HRW), dont elle deviendra la principale
conseillère pour l’Afrique et l’une des figures dominantes.

Menue, avec son éternelle queue de cheval et des yeux bleus éclairés d’une
tendresse tirant vers la candeur, Alison Des Forges avait de faux airs
d’éternelle petite fille égarée dans un monde trop violent. Pendant près de
vingt ans, sans ciller, elle a disséqué les abominations d’une région, rendant
compte des souffrances à hauteur humaine, sans se laisser emporter par les
vents mauvais idéologiques levés par le crime des crimes.

Au Rwanda, au début des années 1990, elle avait tenté de tirer la sonnette
d’alarme sur les premiers massacres, ballons d’essai de la tentation
d’exterminer la population tutsi et les hutu n’épousant pas les dérives
extrémistes. Lorsque le drame commence, en avril 1994, Alison Des Forges tente
de convaincre les conseillers de Bill Clinton de la nécessité de reconnaître
qu’un génocide est en cours, et de s’y opposer. Elle échouera.

En 1999, elle était venue présenter au Rwanda le long rapport sur le
génocide publié après quatre années de recherche par HRW et la Fédération
internationale des Ligues des droits de l’homme (Aucun témoin ne doit survivre,
le génocide au Rwanda, Karthala), premier ouvrage majeur sur le sujet. A sa
manière douce, après de longues salutations en kinyarwanda dans une salle
paroissiale de Kigali, la capitale rwandaise, elle avait présenté ce travail
colossal aux rescapés avec lesquels elle avait travaillé. Avant de s’excuser de
ne pas être en mesure de leur distribuer des exemplaires de l’ouvrage, interdit
par les autorités rwandaises.

Pourquoi le nouveau pouvoir, le Front patriotique rwandais (FPR), issu de la
rébellion tutsi, s’opposait-il à la diffusion d’un ouvrage sur le génocide
qu’il avait, aimait-il à répéter, interrompu par les armes ? Sur les mille
pages de la version française, une petite vingtaine était consacrée à la
description de crimes commis par le FPR, dont l’ire, jamais, ne devait
s’éteindre.

Le sens de la justice réclamait que soient aussi décrits ces crimes, certes
sans comparaison avec ceux des "génocidaires". Tristement, Alison Des Forges a
disparu alors qu’elle venait d’être déclarée persona non grata par les
autorités rwandaises. Fin décembre, elle avait fait une dernière tentative pour
se rendre à Kigali. A l’aéroport, on ne l’avait pas laissé descendre de
l’avion.

Ces jours-ci, l’historienne américaine devait se rendre au Tribunal pénal
international pour le Rwanda (TPIR), à Arusha, en Tanzanie, où elle avait été
appelée comme témoin expert dans onze procès. Cette fois, elle devait tenter de
convaincre le procureur du TPIR de ne pas abandonner les dossiers concernant
les responsables militaires du FPR visés par des "enquêtes spéciales" dont le
résultat devrait aboutir à des poursuites. Une responsabilité devant laquelle
la juridiction internationale s’est jusqu’ici dérobée. Un manquement
incompréhensible pour Alison Des Forges.

Jean-Philippe Rémy

Article publié dans Le Monde du 18 février 2009

++Dates ++ 20 août 1942 Naissance dans l’Etat de New York

1999 Rédige un rapport sur le génocide au Rwanda, sous l’égide de Human
Rights Watch et de la Fédération internationale des droits de l’homme

12 février 2009 Mort dans un accident d’avion survenu près de Buffalo, dans
le nord de l’Etat de New York

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