La nouvelle stratégie de complémentarité et coopération du Bureau du Procureur de la CPI doit encore faire ses preuves

26/04/2024
Communiqué
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Luis ACOSTA / AFP

Alors que le Bureau du Procureur (BdP) de la Cour pénale internationale (CPI) lance sa toute première Politique générale relative à la complémentarité et à la coopération (Politique générale), la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) appelle le BdP à garantir la transparence, à examiner l’efficacité des procédures nationales et à inclure activement la société civile en tant que partenaire clé dans la mise en œuvre de la Politique générale.

La Haye, Paris, 26 avril 2024. Une politique générale relative à la complémentarité et à la coopération, première en son genre, a été lancée hier par le Procureur de la CPI, Karim Khan en Colombie, le Procureur adjoint Mame Mandiaye Niang en République centrafricaine (RCA) et le Procureur adjoint Nazhat Shameem Khan en Tunisie pour aborder la situation en Libye. La Politique générale refléte l’importance renouvelée accordée par le Bureau du Procureur au renforcement de la capacité des autorités nationales à enquêter sur les crimes relevant du Statut de Rome et à engager des poursuites à leur encontre. Depuis sa prise de fonction en 2021, le Procureur de la CPI a exprimé sa volonté de renforcer la coopération avec les États en vue d’une application plus efficace du principe de complémentarité. Sa nouvelle approche s’est traduite par la clôture d’examens préliminaires et d’enquêtes, la dé-priorisation de certaines affaires et l’adoption de plusieurs accords de coopération avec les autorités nationales. La Politique générale comprend la création de forums d’échange, l’exploitation de la technologie, le suivi des progrès et des mesures prises au niveau national au regard des crimes internationaux et le soutien direct aux procédures nationales.

En octobre 2023, le BdP a lancé une consultation publique sur le projet de politique générale soulignant la nécessité pour la CPI d’agir comme un « rouage » au sein d’un réseau d’efforts collectifs destinés à établir les responsabilités des auteurs de crimes internationaux, plutôt que de se positionner au « sommet » du système de justice pénale internationale. La FIDH a soumis des commentaires sur le projet de Politique générale et a formulé des recommandations. La FIDH se réjouit de constater que certaines de ses recommandations ont été intégrées dans la version finale de la Politique générale, notamment en mettant davantage l’accent sur les avantages mutuels qui peuvent découler d’un engagement plus profond avec la société civile. Cependant, alors que le BdP met en œuvre une série de mesures visant à renforcer le « dialogue structurel » avec la société civile, les paramètres de cet engagement approfondi restent flous. Les organisations de la société civile comblent souvent le fossé entre la CPI et les victimes des crimes relevant du Statut de Rome, en amplifiant leur voix et en facilitant leur accès à la justice. Il est ainsi essentiel d’assurer le rôle important que la société civile peut jouer dans la mise en œuvre réussie de cette Politique générale.

La FIDH soutient les efforts du BdP visant à accompagner les autorités nationales et plaide de manière constante pour rapprocher la justice des victimes, appelant les États à se conformer à leurs obligations internationales d’enquêter et de poursuivre les crimes internationaux commis sur leur territoire. Cependant, malgré les promesses fréquentes d’enquête, les autorités nationales n’agissent souvent que très peu. Cette tendance à ne pas donner suite à de tels engagements exige des efforts substantiels afin d’atteindre une complémentarité significative et la justice que les victimes méritent. Dans ce contexte, le manque de transparence et les incohérences dans l’application du principe de complémentarité, ainsi que le manque de clarté quant aux critères de sélection des pays à soutenir, soulèvent des inquiétudes de deux poids, deux mesures et au regard de l’équité. La FIDH demande donc au BdP d’expliquer les décisions à venir concernant la mise en œuvre de sa nouvelle politique générale et la priorisation et le soutien de certains pays en situation plutôt que d’autres.

Il est significatif que la Politique générale ait été lancée à partir de la Colombie, de la République centrafricaine et de la Tunisie pour aborder la situation en Libye ; trois situations où le Procureur Khan a soit déjà clôturé, soit annoncé la clôture à venir, des examens préliminaires et enquêtes, malgré les graves préoccupations soulevées par la société civile. Dans ces situations, le Procureur a décidé de soutenir et de confier les enquêtes et poursuites aux autorités nationales, conformément à sa nouvelle approche de la complémentarité et de la coopération, mais de nombreuses questions subsistent quant aux perspectives réelles de lutte contre l’impunité pour les atrocités commises.

« Les efforts visant à renforcer la justice au niveau national ne devraient pas exclure que le Procureur de la CPI continue d’enquêter avec diligence sur les atrocités présumées relevant de la compétence de la Cour », déclare Reinaldo Villalba Vargas, Vice-président de la FIDH et Président du Colectivo de Abogados José Alvear Restrepo (CAJAR). Selon lui, « Une déférence excessive à l’égard des systèmes nationaux pourrait en réalité priver les victimes d’un accès à une justice efficace et dans des délais raisonnables. La situation en Colombie en est un exemple frappant, où la compétence limitée de la Juridiction spéciale pour la paix (JEP) et l’approche du Bureau du Procureur ont laissé de nombreuses victimes désillusionnées, avec de moins en moins d’espoir que justice soit rendue pour les crimes internationaux ».

La FIDH appelle le BdP à fournir des critères clairs et à faire preuve de transparence sur les décisions concernant la priorisation du soutien à certains pays plutôt que d’autres, afin d’éviter les perceptions de deux poids deux mesures et d’améliorer la compréhension du processus de prise de décision, tout en veillant à ce que les organisations de la société civile travaillant étroitement avec les victimes restent un partenaire clé du BdP grâce à un engagement à double sens et à une approche de bénéfice mutuel.

A l’occasion du lancement de la Politique générale de complémentarité et de coopération, la FIDH publie également un Q&A composé de dix questions-réponses sur la nouvelle approche du BdP concernant ces principes et la manière dont ils ont été mis en œuvre ces dernières années. Les questions-réponses comprennent les observations critiques et les suggestions de la FIDH sur l’approche globale du BdP et les quatre piliers de la Politique générale.

Le Q&A est accessible ici.

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