Affaire Suez : la Cour d’appel de Paris doit assurer l’effectivité de la loi sur le devoir de vigilance

Raphaël Lopoukhine

Une audience cruciale se tient le 5 mars 2024 devant la Cour d’appel de Paris dans l’affaire Suez. À cette occasion, la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), l’Observatorio Ciudadano, la Ligue des droits de l’Homme et Red Ambiental Ciudadana de Osorno rappellent la nécessité de garantir la pleine application de la loi sur le devoir de vigilance. Les entreprises doivent pouvoir être tenues responsables des violations des droits humains et des atteintes à l’environnement qui découlent de leurs activités.

Paris, 4 mars 2024. L’affaire Suez est l’un des trois dossiers audiencés le 5 mars 2024 devant la nouvelle chambre 5-12 de la Cour d’appel de Paris, dédiée aux contentieux fondés sur la loi sur le devoir de vigilance et aux actions en matière de responsabilité environnementale. Cette audience, qui portera également sur les affaires EDF Mexique et Total Climat, est cruciale pour l’avenir de la loi sur le devoir de vigilance.

« Après avoir été déboutées en première instance pour des questions procédurales, les associations ont fait appel pour obtenir que les victimes de la négligence de Suez au Chili obtiennent justice. Comme dans de nombreuses autres affaires, après quatre ans d’attente, toujours aucune décision n’a été rendue s’agissant des graves violations ayant eu lieu à Osorno », a déclaré José Aylwin, coordinateur du programme entreprises et droits humains de l’Observatorio Ciudadano et chargé de mission FIDH.

À l’instar de nombreux autres contentieux portés contre des entreprises sur le fondement de la loi sur le devoir de vigilance, l’affaire Suez avait été déclarée irrecevable le 1er juin 2023 par le Tribunal judiciaire de Paris. Les juges, retenant une interprétation extrêmement restrictive de cette loi, avaient estimé que les associations requérantes auraient dû assigner l’entreprise sur le même plan de vigilance que celui ayant fait l’objet de la mise en demeure, et que le plan de vigilance visé ne mentionnait pas quelle société du Groupe Suez en était l’auteure. Les associations ont fait appel de cette décision afin que les juges garantissent enfin la pleine applicabilité de la loi.

Une loi pionnière affaiblie par des décisions controversées

La loi de 2017 sur le devoir de vigilance impose aux grandes entreprises françaises d’établir, publier et mettre en œuvre un plan de vigilance contenant des mesures d’identification des risques et de prévention des atteintes graves aux droits humains et à l’environnement, qui résultent de leurs activités, de celles de leurs filiales, fournisseurs et sous-traitants, y compris à l’étranger. La législation française, pionnière en la matière, a été une source d’inspiration pour d’autres États, et a influencé la rédaction d’une directive de l’Union européenne sur ce sujet, qui est en cours de finalisation.

« Plusieurs années après l’entrée en vigueur de la loi, celle-ci est vidée de son sens par des interprétations restrictives comme celle dans l’affaire Suez, fondées sur des points de procédure controversés », a déclaré Maddalena Neglia, responsable du bureau Entreprises, droits humains et environnement de la FIDH. « Nous espérons que la Cour d’appel rendra effectif l’accès à la justice pour les communautés affectées par les abus des entreprises et que ces décisions permettront d’obtenir, enfin, une réelle application de cette loi cruciale. »

Rappel des faits

En juillet 2019, les habitant·es d’Osorno avaient été privé·es d’eau pendant dix jours et l’alerte sanitaire décrétée, du fait de la contamination du réseau d’eau potable suite à un nouvel incident d’exploitation d’Essal, société contrôlée par Suez. Ses dysfonctionnements et manquements continus avaient été pointés à de multiples reprises par les instances de contrôles chiliennes. Dans le cadre de sa campagne See You In Court, la FIDH et ses partenaires dans l’action avaient assigné Suez en justice en 2021, après une mise en demeure en 2020 et un dialogue infructueux pour tenter d’obtenir un nouveau plan de vigilance et prévenir une répétition des faits d’Osorno.

Pour plus de détails sur l’affaire et la loi, voir le questions-réponses.

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