France : La Commission des Lois doit faire du pôle spécialisé au TGI un instrument efficace, crédible et dissuasif

16/03/2011
Communiqué

Lettre à l’attention de M. Michel Mercier, Ministre de la Justice

Monsieur le Ministre,

La semaine dernière, la Commission des Lois du Sénat a entrepris l’examen d’un projet de loi déposé par le gouvernement au Sénat et ‘relatif à la répartition des contentieux et l’allègement de certaines procédures juridictionnelles.’

Ce projet de loi inclut une mesure particulièrement importante aux yeux des organisations de défense des droits humains signataires de ce courrier. En effet, à l’article 16, le projet prévoit la création d’un pôle spécialisé au sein du Tribunal de Grande Instance (TGI) de Paris pour les enquêtes et poursuites impliquant des crimes contre l’humanité.

Nos organisations se félicitent de cette initiative et sont convaincues que ce pôle pourrait contribuer à la meilleure mise en œuvre par les autorités françaises de leurs obligations en vertu du droit international de poursuivre les auteurs de crimes de guerre, torture et génocide. Il est malheureusement de notoriété publique qu’un certain nombre de présumés génocidaires rwandais ou d’anciens dictateurs (tels que Jean-Claude Duvalier - Bébé Doc) ont pu vivre en France sans être inquiétés par le système judiciaire. Cette situation est inacceptable pour le pays qui se définit comme la ‘Patrie des Droits de l’Homme.’

Nous espérons que le pôle spécialisé pourra contribuer à mettre fin à cette situation en établissant les ressources, l’expertise et la spécialisation nécessaires du personnel judiciaire pour mener à bien des affaires souvent complexes.

Pour que cela soit le cas, certaines conditions essentielles devront toutefois être réunies.

Nous détaillons dans le mémorandum ci-joint un certain nombre de recommandations qui pourraient contribuer à faire du pôle un instrument véritablement efficace, crédible et dissuasif.

Tout d’abord, il est essentiel que le pôle soit compétent pour connaître de toutes les violations graves des droits humains que la France a l’obligation de poursuivre. A cet égard, nos organisations ont constaté avec inquiétude que le projet de loi actuellement à l’examen ne mentionne que les ‘crimes contre l’humanité’ et omet les crimes de guerre, la torture ou les disparitions forcées. Nous avons encouragé les membres de la Commission des Lois du Sénat à amender le projet de loi afin d’inclure dans la compétence du pôle ces autres crimes. Nous vous demandons de soutenir formellement cette modification.

Ensuite, le pôle devra disposer des ressources nécessaires et de l’assistance technique d’un certain nombre d’autres autorités étatiques (services d’immigration, ministère des Affaires Etrangères) afin de pouvoir remplir sa tâche efficacement. Le pôle devra également jouir d’un soutien politique sans faille, dans le cadre d’affaires parfois sensibles, et cela, dans le plus grand respect de l’indépendance du pouvoir judiciaire. A cet égard, nous vous encourageons, Monsieur le Ministre, à commencer dès à présent les démarches nécessaires pour la mise sur pied en pratique du pôle. Ceci exigera non seulement la détermination par votre Ministère de la structure, des effectifs et des ressources attribuées au pôle mais également des consultations avec les autres ministères et services étatiques pertinents pour s’assurer que celui-ci jouira de tout le soutien nécessaire.

Les recommandations contenues dans le mémorandum ci-joint sont en partie inspirées de l’expérience et des leçons tirées des pôles existants dans d’autres pays.

En effet, il est important de noter qu’avec la création de ce pôle spécialisé, la France s’inscrit dans un mouvement plus vaste et d’une grande importance. Un nombre grandissant de pays a entrepris ces dernières années de prendre une part plus active dans la lutte contre l’impunité pour les crimes les plus graves, en adaptant leurs législations et leurs systèmes judiciaires nationaux à la spécificité de la poursuite des tortionnaires et criminels de guerre. Ainsi, la Belgique, les Pays-Bas, le Danemark, l’Allemagne, la Suède, la Norvège, le Canada et dans une moindre mesure le Royaume-Uni et les Etats-Unis, se sont déjà dotés de pôles spécialisés dans les graves crimes internationaux. En 2003, l’Union Européenne (UE) avait à cet égard adopté une décision encourageant les Etats membres de l’UE à considérer l’opportunité de mettre en place de tels pôles. [1]

Veuillez recevoir, Monsieur le Ministre, l’expression de notre respectueuse considération,

 Francis Perrin, Vice-Président, Amnesty International
 Souhayr Belhassen, Présidente, Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme
 Richard Dicker, Directeur du Programme Justice Internationale, Human Rights Watch
 Jean-Pierre Dubois, Président, Ligue des Droits de l’Homme
 Carla Ferstman, Directrice, REDRESS

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