Le choix des autorités russes de faire passer un texte si restrictif est en soi extrêmement préoccupant. Il témoigne en effet d’une volonté très nette de contrôler et de museler la société civile indépendante et de limiter la présence des ONG internationales sur le territoire russe. Par ailleurs, il est à craindre que la version modifiée qui sera présentée en deuxième lecture reste très en-deçà des normes internationales en matière de liberté d’association.
Ce projet porte amendement de trois lois : la Loi fédérale n° 7 du 12 janvier 1996, portant sur les organisations à but non lucratif (Loi sur les NKO - O Nekemmercheskih Organizaciyah), la Loi fédérale n° 82 du 19 mai 1995 portant sur les associations publiques, et la Loi du 14 juillet 1992 sur les entités administratives territoriales fermées. Il concerne toutes les organisations à but non lucratif, y compris les organisations travaillant dans le domaine de la protection et de la défense des droits de l’Homme.
L’Observatoire souligne que ce projet d’amendements est contraire à la Constitution russe, aux instruments régionaux et internationaux relatifs aux droits de l’Homme qui garantissent la liberté d’association, et à la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 9 décembre 1998, et appelle par conséquent les plus hautes autorités russes à retirer ce projet.
L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, programme conjoint de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), exprime sa plus vive préoccupation à l’égard du projet d’amendements intitulé « Proposition d’amendements à certaines lois fédérales de la Fédération de Russie », adopté en première lecture par la Chambre basse du Parlement (Douma), le 23 novembre 2005. Toujours en discussion, ce texte doit être examiné en deuxième lecture le 21 décembre 2005.
Ce projet d’amendements a été présenté le 18 novembre 2005 à la Douma par le Comité parlementaire sur les Affaires des organisations religieuses et associatives, présidé par M. Popov, membre du parti Russie unie (parti au pouvoir). Le 23 novembre 2005, le Parlement a adopté ce texte en première lecture, par 370 voix pour et 18 voix contre, malgré les critiques de Mme Pamfilova, présidente du Conseil du développement de la société civile et des associations près le Président de la République, et de M. Vladimir Loukine, Commissaire aux droits de l’Homme de Russie. Trois députés se sont abstenus, et 56 n’ont pas voté.
Ce projet porte amendement de trois lois : la Loi fédérale n° 7 du 12 janvier 1996, portant sur les organisations à but non lucratif (Loi sur les NKO - O Nekemmercheskih Organizaciyah), la Loi fédérale n° 82 du 19 mai 1995 portant sur les associations publiques, et la Loi du 14 juillet 1992 sur les entités administratives territoriales fermées. Il concerne toutes les organisations à but non lucratif (associations à but social, clubs sportifs locaux...), y compris les organisations travaillant dans le domaine de la protection et de la défense des droits de l’Homme.
Enregistrement des ONG
L’amendement n°1 de la Loi sur les entités administratives territoriales fermées[1] interdit de créer et de laisser agir sur ces territoires des ONG dont les membres fondateurs sont étrangers, y compris les représentations ou sections d’ONG étrangères installées en Russie.
L’amendement 1§2 de la Loi fédérale sur les NKO et l’amendement 2§3 à l’article 19 de la Loi fédérale sur les associations publiques indiquent que les ressortissants étrangers ou apatrides ne disposant pas du statut de résident permanent ne peuvent être ni fondateurs ni membres d’une organisation.
L’amendement 2§3 ajoute à l’article 19 de la Loi sur les associations publiques[2] que les représentations d’ONG étrangères ne peuvent être créées que sous la forme d’organisations affiliées à une ONG nationale, et doivent être enregistrées (cette disposition a été retirée après l’adoption du projet en première lecture, suite à la pression internationale). Cela signifie que les ONG étrangères seraient désormais interdites d’ouvrir des sections en Fédération de Russie et que toutes celles déjà sur place deviendraient illégales, à moins de se ré-enregistrer avec un statut légal différent.
En outre, l’amendement 2§4 modifie l’article 21.11-14 de la Loi sur les associations publiques, de sorte que « la décision d’enregistrer la représentation d’une ONG étrangère ne peut être accepté que par l’organe d’enregistrement d’Etat ». Cette décision se fonde sur les documents de l’ONG étrangère en question, notamment ses statuts, et de nombreux autres documents, fournis dans la langue d’origine et accompagnés d’une traduction approuvée par huissier. Cette condition rend particulièrement difficile l’enregistrement, du fait d’une procédure longue et fastidieuse.
Selon l’amendement de l’article 13.1§6 de la Loi sur les NKO, l’enregistrement des organisations à but non lucratif devra être conditionné au paiement d’une taxe d’Etat, dont le montant n’est pas spécifié. L’Observatoire craint que cette somme ne soit trop élevée, et vise ainsi à décourager l’enregistrement de nouvelles associations, ou soit fixée de façon discrétionnaire et arbitraire.
L’amendement de l’article 23.1 de la Loi sur les NKO élargit les raisons de refus d’enregistrement. Désormais, l’enregistrement d’une organisation peut être refusé « si le nom de l’organisation à but non lucratif porte atteinte à l’éthique ou aux sentiments ethniques ou religieux des citoyens », si, concernant « un ressortissant étranger ou apatride, fondateur ou membre d’une organisation, une décision est prise sur le fait que sa présence sur le territoire de la Fédération de Russie est indésirable », ou « si le but, la fonction et les formes de l’activité du membre fondateur de l’organisation est contraire à la Constitution de la Fédération de Russie, la présente loi fédérale ou d’autres lois fédérales [...] ».
Enfin, l’amendement 4-1 portant sur la mise en oeuvre du projet d’amendements indique que les associations déjà enregistrées sous une législation antérieure devront se ré-enregistrer selon les nouvelles conditions, dans un délai d’un an, y compris les représentations d’ONG étrangères. De plus, une personne responsable d’une association créée avant ce projet de loi, qui ne dispose pas de la personnalité juridique, devra informer l’organe d’enregistrement d’Etat de ses activités dans les six mois (cette disposition a été retirée en vue de la seconde lecture). Enfin, les organes chargés de l’enregistrement jusqu’alors devront transmettre toutes leurs informations au nouvel organe d’enregistrement d’Etat.
Contrôle de l’activité des ONG
L’amendement 2§8 de l’article 38.2-4 de la Loi sur les NKO, prévoit que « l’organe d’enregistrement d’Etat chargé d’accepter ou de refuser les demandes d’enregistrement des organisations, conduit également le contrôle de leurs activités et financements, et doit pouvoir accéder à tous les documents financiers des organisations ». Jusqu’à présent, l’accès à ces documents nécessitait au préalable une demande de la Procuratura[3], de la police ou de l’Inspection des impôts. Par ailleurs, les représentants de l’organe d’enregistrement d’Etat peuvent prendre part à toutes les activités des organisations, publiques ou internes, et doivent mener, au moins une fois par an, un audit afin de vérifier la conformité des activités avec les buts déclarés dans les statuts (l’examen a été limité à une fois par an maximum, dans la mouture qui sera proposée à la deuxième lecture). Si celles-ci ne sont pas conformes, l’organe d’enregistrement émet un avertissement écrit motivé, et les organisations disposent d’un mois minimum pour se mettre en conformité avec leurs statuts. Cet avertissement écrit est susceptible d’appel. Cet amendement prévoit aussi que le contrôle des normes et standards des associations peuvent être contrôlées par les instance sanitaires, épidémiologiques, les pompiers ou tout autre service de l’Etat.
L’amendement 3§6 de l’article 32 de la Loi sur les NKO prévoit que l’organisation « doit transmettre avant le 1er mars de chaque année à l’organe fédéral dans le domaine de la justice un rapport de ses activités, de la réalisation de ses tâches et de l’utilisation de ses financements conformément aux statuts déposés, ainsi que le nom de ses membres directeurs ». L’organe fédéral en question n’est pas désigné.
Dissolution des ONG
L’amendement 2§7 de l’article 23-1§5 de la Loi sur les NKO stipule que l’omission répétée de fournir des documents financiers ou budgétaires dans le délai qui lui est imparti peut être le fondement d’une demande de l’organe d’enregistrement d’Etat (non désigné) auprès de la cour pour ordonner la cessation des activités de l’organisation, sa dissolution ou sa radiation du registre des personnes juridiques.
L’amendement 2§9 ajoute un paragraphe à l’article 44.1 de la Loi sur les NKO, indiquant que l’omission par l’association de corriger les infractions relevées dans le délai imparti peut fonder la requête du procureur général de la Fédération de Russie ou de l’organe d’enregistrement d’Etat de demander sa dissolution.
L’amendement de l’article 33 de la Loi sur les NKO énumère les causes de dissolution ou de cessation des activités d’une organisation par voie judiciaire, à savoir : si l’organisation mène une activité extrémiste (dont la définition n’est pas précisée), si elle aide à la légalisation de fonds illégalement obtenus, si elle viole les droits et libertés des citoyens, si elle commet des violations répétées et graves à la Constitution, aux lois fédérales ou à toute autre norme, ou si les activités contredisent les statuts. Leur caractère particulièrement vague laisse craindre une interprétation arbitraire de ces dispositions.
La seconde lecture de ce projet d’amendements, initialement prévue le 6 décembre 2005, a été reportée au 16, puis au 21 décembre 2005, suite aux demandes de la société civile et de la communauté internationale. Son entrée en vigueur, dont les modalités sont prévues par l’article 4-1, était initialement fixée au 1er janvier 2006. Dans la version amendée qui sera proposée à la seconde lecture, l’entrée en vigueur de la loi aura lieu 90 jours après la publication de la Loi au Journal officiel.
Le 8 décembre 2005, sous la pression nationale et internationale, plusieurs tables rondes ont été organisées par le Comité parlementaire sur les Affaires des organisations religieuses et associatives, le Comité de législation de la Douma et le Comité de propriété, réunissant des ONG russes et étrangères, la Chambre civile de la Fédération de Russie et le Conseil pour le développement de la société civile et des associations. A cette occasion, M. Popov a déclaré que l’unique but de ce projet d’amendements était de protéger la Fédération de Russie « contre l’activité politique étrangère », sans préciser la signification de ce terme.
L’Observatoire considère que ce projet s’inscrit en violation flagrante des instruments régionaux et internationaux relatifs aux droits de l’Homme garantissant la liberté d’association (Convention européenne des droits de l’Homme, Document de la réunion de Copenhague de la Conférence sur la dimension humaine de la CSCE, Pacte international relatifs aux droits civils et politiques) et des dispositions de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 9 décembre 1998, en particulier son article 5, selon lequel : « afin de promouvoir et protéger les droits de l’Homme et les libertés fondamentales, chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, aux niveaux national et international : b) de former des organisations, associations ou groupes non gouvernementaux, de s’y affilier et d’y participer ».
L’Observatoire appelle les plus hautes autorités russes à retirer ce projet, afin de garantir en toutes circonstances la liberté d’association et de réunion, conformément aux dispositions de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme et des autres instruments précités.
[1] Ces entités administratives fermées correspondent à des villes ou régions dont la visite est soumise à autorisation auprès des Services de sécurité (FSB).
[2] L’article 19 stipule que toutes les associations publiques créées par des citoyens russes peuvent être enregistrées dans le cadre de la loi fédérale en vigueur, et peuvent avoir un statut juridique ou fonctionner sans enregistrement, mais doivent en informer l’organe d’enregistrement d’Etat dès le début de leurs activités.
[3] La Procuratura comprend les enquêteurs judiciaires et les procureurs sous la responsabilité du Procureur général de la République.