Où finissent les " bateaux poubelles " ?

Alors que la catastrophe du Prestige fait la une des médias, la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH) rend public un rapport intitulé Où finissent les bateaux poubelles ?
LES DROITS DES TRAVAILLEURS DANS LES CHANTIERS DE DÉMOLITION DE NAVIRES EN ASIE DU SUD
La situation à Chittagong (Bangladesh) et à Alang (Inde)

Le démantèlement de navires est l’exemple même du potentiel et des dangers d’une économie de plus en plus mondialisée.
Les entreprises du Nord, en délocalisant leurs activités (et, en tant que producteurs de déchets, leurs matières dangereuses) vers les pays en développement à bas salaires, créent des milliers d’emplois et contribuent à la croissance économique de régions en manque d’investissements dans le secteur privé.

Dans le même temps cette délocalisation expose les travailleurs dans les pays en développement à des dangers qui seraient inacceptables dans les pays industrialisés, avec des normes en matière de droits des travailleurs nettement en deçà des normes internationales.

Les ouvriers de ces chantiers de démolition se trouvent en fait en bout de chaîne dans le système complexe et mal régulé du transport maritime international, et dont ils sont les grands perdants.

Ce rapport est le fruit de quatre missions d’enquête menées sur des chantiers de démolition des navires à Chittagong (Bangladesh) et Alang (Inde). Les chantiers asiatiques de démolition des navires ont pris de l’ampleur dans les années 1980. Ils couvrent actuellement 95% du marché de démantèlement naval. Parmi eux, le chantier d’Alang, en Inde, est le plus gros site de démolition du monde.

Les enquêtes menées mettent en évidence de graves violations des droits de l’Homme.

Ces violations concernent les conditions de travail, et en particulier des graves violations des libertés d’association (création de syndicats) et de négociation collective, des salaires en-dessous du minimum légal, et dont le montant varie en fonction du bon vouloir de l’employeur, des horaires de travail largement supérieurs au maximum légal, l’absence de jours de repos payés ou de congés payés annuels, des logements insalubres, ...

Ces graves violations sont d’autant plus révoltantes que le démantèlement des navires comporte des risques extrêmement graves pour la santé et la sécurité des travailleurs : les ouvriers sont exposés, à peu près sans protection, à des matériaux toxiques et les accidents sont légion...
"Vous connaissez les mouchoirs jetables ? Eh bien, nous sommes des travailleurs jetables. C’est pareil. Vous vous en débarrassez une fois que vous vous en êtes servi, et c’est tellement bon marché que vous pouvez en utiliser autant que vous voulez", dit un ouvrier.

"Quiconque prend l’initiative de quoi que ce soit, même s’il ne s’agit que d’une petite augmentation de salaire, est renvoyé sur le champ. Dans ces conditions, comment voulez-vous que l’on démarre quelque chose de l’ampleur d’un syndicat ?", explique un autre...

"Il y a deux mois environ, le maître a pris ma fiche de présence la veille du jour où je devais être payé. Ils me devaient 2 600 Rs. Ensuite le propriétaire a dit qu’ils avaient perdu la fiche, et que tout ce qu’il voulait bien me payer, c’était 2 200 Rs. Je ne pouvais rien faire. J’ai donc dû accepter les 2 200 Rs. J’ai été trompé".

Un ouvrier raconte l’histoire d’un collègue qui avait perdu une jambe à la suite de la chute d’une plaque d’acier. "Nous sommes allés voir le propriétaire pour demander une compensation pour ce collègue, qui ne pouvait plus travailler. Le propriétaire a dit non, et a menacé de nous renvoyer si jamais nous demandions quelque chose de nouveau. Nous avons donc réuni de l’argent parmi nous".

Dans ce rapport, la FIDH adresse des recommandations aux autorités indiennes et bangladaises, au Gujarat Maritime Board (l’autorité publique en charge de tous les ports du Gujarat) et aux propriétaires de chantiers.

La FIDH adresse également des recommandations à la communauté internationale, et en particulier aux pays occidentaux dont proviennent bien souvent les navires qui finissent leur vie dans les cimetières de bateaux d’Asie du Sud.

La FIDH les appelle notamment à prévoir un dialogue multipartite entre l’OMI, l’UNEP et l’OIT ainsi que le Comité sur le transport maritime de l’OCDE, afin de réfléchir à l’élaboration d’un texte international contraignant réglementant la démolition et le recyclage des navires, et notamment :

 les conditions de sécurité et les normes sociales et environnementales,
 l’établissement des responsabilités respectives des différents acteurs intervenant dans le processus, du constructeur au propriétaire des chantiers de démolition,
 l’établissement d’une obligation de retrait de la circulation des navires ayant dépassé un certain âge,
prévoyant des mécanismes de contrôle contraignants,

OMI : Organisation maritime internationale
UNEP : Programme des Nations unies pour l’environnement
OIT : Organisation internationale du travail
OCDE : Organisation pour la coopération et le développement économique

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