Ouverture du procès des « disparus du Beach » : « Les conditions d’un procès loyal et équitable ne sont pas réunies »

Paris - Brazzaville : Le procès dit des « Disparus du Beach » s’est ouvert hier soir 19 juillet 2005 devant la Cour Criminelle de Brazzaville en l’absence des parties civiles qui n’avaient pas été convoquées. En raison de nombreux dysfonctionnements, la Cour a renvoyé le procès au jeudi 21 juillet à 14.30. La FIDH avait mandaté son vice-président Michel Tubiana, aux fins d’examiner les conditions de l’administration de la justice à la veille de l’ouverture de ce procès.

La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et son affilié l’Observatoire congolais des droits de l’Homme (OCDH) rappellent qu’une procédure concernant les mêmes faits a été engagée par la FIDH, et ses affiliées l’OCDH et la Ligue française des droits de l’Homme et du Citoyen (LDH) devant les juridictions françaises dès le 5 décembre 2001 en soutien à cinq victimes directes miraculeusement réchappées des massacres intervenus en mai 1999 au port fluvial dit « Beach » de Brazzaville. Plusieurs familles ayant eu à déplorer la disparition de leurs parents se sont aussi constituées parties civiles devant les juridictions françaises.
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À la suite de diverses péripéties, ayant permis la mise en liberté puis la fuite du directeur de la police congolaise M. NDENGUE, dénoncées par la FIDH, l’OCDH et la LDH, la Cour de Cassation doit se prononcer d’ici à quelques mois sur la régularité de cette procédure . [2]

Parallèlement, les autorités judiciaires de la République du Congo ont engagé une procédure ayant conduit à l’inculpation de 16 personnes et à leur renvoi devant la Cour Criminelle de Brazzaville pour génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité.

Les éléments portés à la connaissance de la FIDH et de l’OCDH ont permis de constater que :

 L’Arrêt de la Chambre d’Accusation près la Cour d’Appel de BRAZZAVILLE qui ordonne le renvoi des 16 inculpés devant la Cour criminelle de Brazzaville a été rendu le lundi 11 juillet 2005 alors que la date du procès, soit le 19 juillet 2005, avait déjà été annoncée dans la presse. Cet Arrêt a été signifié aux avocats mais pas aux parties.
 L’Arrêt de la Chambre d’Accusation a été frappé d’un pourvoi émanant tant de deux avocats de la défense que d’un des deux avocats des parties civiles.
 Le samedi 16 juillet 2005 au matin, le Procureur Général faisait porter aux avocats des parties civiles une copie incomplète du dossier pénal.
 Le lundi 18 juillet 2005 à 10 heures, le premier président de la Cour d’Appel de Brazzaville, qui doit présider l’audience de la Chambre Criminelle, a informé le représentant de la FIDH qu’en conséquence le procès serait renvoyé à une date inconnue.
 Le lundi 18 juillet 2005 à 10h30, le ministre de la Justice et le directeur de cabinet du Président de la République se rendaient au Palais de Justice pour rencontrer le président de la Cour Suprême. Cette visite n’était pas prévue.
 Le lundi 18 juillet 2005, un des conseils des parties civiles, qui n’a pu déposer son mémoire, apprenait fortuitement, car présent au Palais de Justice pour une autre affaire, que la Cour Suprême allait juger du mérite des pourvois l’après midi même. Nonobstant les protestations du Conseil des Parties civiles, l’audience se tenait et l’Arrêt a été rendu le 19 juillet 2005 au matin. Il joint les pourvois formés au fond de la procédure.
 Le lundi 18 juillet 2005 à 19 heures, aucune des parties civiles n’avait reçu de citation pour l’audience normalement prévue le 19 juillet 2005.
 À la même date et à la même heure, aucune ordonnance de prise de corps n’avait été exécutée à l’encontre des inculpés qui étaient donc toujours en liberté.
 Enfin et de l’aveu même d’un des avocats de la défense, ce dernier a été mandaté directement par l’Etat congolais à l’inverse des parties civiles qui elles n’ont bénéficié d’aucune assistance juridictionnelle.


Par ailleurs, il a pu être relevé que :

 Si le dossier fait l’objet de plusieurs réquisitoires introductifs et supplétifs (le premier datant officiellement du 8 mars 2000), et d’une ordonnance de jonction non datée, les premiers actes d’instruction datent de juillet 2004, soit 5 ans après la première plainte (du Colonel TOUANGA). Certaines personnes ont été inculpées, interrogées et renvoyées devant la Cour Criminelle en quelques mois (c’est le cas de M NDENGUE, inculpé le 14 janvier 2005, et interrogé les 27 janvier et 7 février 2005).
 Le dossier, communiqué aux conseils des parties civiles, sur lequel repose l’accusation et qui concerne 16 inculpés ainsi que 113 parties civiles, contient 246 pièces qui se répartissent de la manière suivante : 47 interrogatoires des inculpés, 37 pièces de procédure, 53 auditions de témoins, 89 auditions et 20 notes de parties civiles.
 Le juge d’instruction n’a pu se rendre sur les lieux des disparitions « pour des raisons indépendantes de sa volonté ». Plus généralement, aucun transport sur les lieux d’arrestation et/ou de détention n’a pu avoir lieu, les magistrats instructeurs n’ayant pas été autorisés à y procéder.
 Aucune des commissions rogatoires lancées par les magistrats instructeurs n’a pu être exécutée. Notamment, s’agissant des commissions rogatoires internationales, il n’apparaît pas des pièces du dossier qu’elles ont été transmises par l’autorité compétente à ses homologues étrangers.
 Si le Haut Commissariat au Réfugiés a communiqué les listes des personnes revenues par le Beach sous sa protection, ces documents n’ont pas été exploités par l’accusation. Aucune investigation n’a permis de comparer ces listes aux registres de police qui auraient été tenus lors de l’arrivée des réfugiés, registres de police qui n’ont pas d’ailleurs pas été communiqués.
 En fait, les investigations des magistrats instructeurs se sont limitées à enregistrer les dépositions des uns et des autres, sans aucune vérification.


On comprend, dès lors, que la Chambre d’Accusation dans sa décision du 11 juillet dernier ait statué en ces termes :

« Attendu que l’information ouverte depuis l’an 2000 n’a pas permis au juge d’instruction de réunir des éléments probants sur l’effectivité des faits reprochés aux inculpés ; qu’en définitive l’instruction comporte d’un côté les dénonciations des parties civiles et de l’autre côté, les dénégations des inculpés.[...]
Attendu qu’au cours de la confrontation, les inculpés ont maintenu leurs dénégations et les parties civiles, pour leur part, ont réitéré leurs déclarations quant à l’implication des inculpés dans des faits d’enlèvement ou d’arrestation au beach suivi de détention et de disparition.
Attendu que dans ces conditions et contrairement aux demandes des conseils de certains inculpés ou de ceux des parties civiles, l’audience publique apparaît comme le lieu idéal pour donner aux juges tous les éléments que pour diverses raisons liées à la nature de l’affaire, certaines parties, qu’elles soient des inculpés, parties civiles ou témoins n’ont pu mettre à la disposition du magistrat instructeur ou que celui-ci n’a pas réussi à réunir au bout de près de six années d’instruction. »

On doit, aussi, relever que, pour 13 victimes, celles-ci ont disparu dans d’autres couloirs humanitaires ouverts à l’époque des faits et non au « Beach » et qu’il n’a jamais été instruit sur ces faits que l’Arrêt de la Chambre d’Accusation n’aborde même pas.

Enfin, les parties civiles n’ont pu obtenir les garanties de sécurité qu’elles avaient demandées tant pour elles-mêmes que pour les témoins qui se rendraient au procès.

Les audiences devant se tenir tous les jours à partir de 14 heures pour éventuellement se prolonger dans la nuit, les parties civiles avaient fait valoir, d’une part, qu’en raison des manifestations de violences de droit commun qui peuvent avoir lieu, notamment dans les quartiers excentrés ou nombre d’entre elles résident, les horaires des audiences devaient être changées.

D’autre part, la protection des parties civiles et de leurs témoins n’était pas assurée face à des menaces qu’elles ressentent avec force.

Au regard de ces faits, la FIDH et l’OCDH considèrent que la procédure actuellement pendante devant la Cour Criminelle de Brazzaville n’est ni loyale ni équitable. Les parties civiles, comme les inculpés peuvent à juste titre soutenir que les faits dénoncés n’ont fait l’objet d’aucune instruction sérieuse et qu’ils n’ont pas été vérifiés.

De plus, en ce qui concerne le choix des jurés, celui-ci n’est pas laissé au hasard d’un tirage au sort. Les jurés sont soigneusement choisis par les autorités selon leurs propres critères subjectifs, ce qui fait évidemment craindre qu’ils ne feront qu’obéir aux instructions du pouvoir exécutif.

La FIDH et l’OCDH relèvent que, au-delà de l’insuffisance criante et permanente de moyens dont souffre la Justice congolaise, les autorités de ce pays ont refusé de mettre en œuvre les moyens nécessaires et, bien plus, se sont opposées à ce que les investigations les plus élémentaires aient lieu.

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