En RDC, les risques d’un putsch électoral

04/01/2019
Tribune
Congo-Kinshasa
President
Interventions Publiques
Biographie:

Président de la Ligue des électeurs en RDC, et Secrétaire général adjoint de la FIDH

@AFP Nicolas Lhermet / Hans Lucas

Dans une tribune conjointe publiée dans Jeune Afrique, Paul Nsapu, Secrétaire général adjoint de la FIDH et Président de la Ligue des électeurs, Jean-Claude Katende, Président de l’ASADHO et Dismas Kitenge, Président du Groupe Lotus, s’alarment des risques d’un "putsch électoral" en RDC et appellent la communauté internationale à agir.

Insécurité, promesses irréalistes, doutes sur la transparence du scrutin : les arguments pour inciter les Congolais.es à ne pas accomplir leur droit de vote ne manquaient pas. Et pourtant, ils et elles n’ont pas hésité à se déplacer par millions pour ne pas manquer cette chance historique qui s’offrait à eux. Pour la première fois depuis 1960, une passation de pouvoir entre un président sortant et un autre démocratiquement élu devait avoir lieu. Mais au vu des éléments dont nous disposons, et des irrégularités constatées, le peuple congolais court le risque de se voir confisquer ses élections.

Tous les espoirs étaient permis. Grâce à la formidable vivacité du peuple congolais et notamment de sa société civile, ce scrutin conservait des chances d’être une réussite. Depuis les élections de 2011, tout particulièrement, des milliers de militants d’organisations échappant aux partis politiques traditionnels ont réclamé le respect de la Constitution, n’hésitant pas à risquer leur sécurité, et souvent hélas leur vie, pour obtenir une réelle alternance politique.

Partout dans le pays, des marches et des manifestations pacifiques ont eu lieu. Partout dans le pays, la répression s’est abattue, avec une violence criminelle, comme dans le Kasaï, à Lubumbashi, à l’Est ou encore à Kinshasa, où les forces de l’ordre n’ont pas hésité à tirer à balles réelles. Bilan : des dizaines de morts, des centaines de blessés, des militants arrêtés, emprisonnés, torturés. En vain. Par la seule force de cette volonté collective, ce mouvement de fond aura réussi l’impensable : faire reculer un pouvoir aux abois, avec la promesse d’un scrutin libre et transparent, et le départ du président Kabila.

C’est d’ailleurs cette même révolte citoyenne, ce même sentiment d’appartenir à une communauté de valeurs, qui a poussé des milliers de citoyens de Béni ou de Butembo, privés de vote par le pouvoir – officiellement pour une raison d’insécurité -, à installer des bureaux de vote de fortune, et braver de longues files d’attente pour faire entendre leurs voix.

Car le pouvoir a pris peur, et dès le début, craignant certainement que cette frustration engrangée au fil des ans, ne se traduise par un cuisant échec dans les urnes, a tout fait pour saboter cet exercice démocratique. Ayant pris conscience que sa stratégie isolationniste le conduisait droit dans une impasse, il a ainsi soudainement décidé de repousser d’une semaine les élections initialement prévues le 23 décembre. Puis, il a arbitrairement décidé que les plus d’un million d’électeurs de Béni, Butembo et Yumbi n’auraient pas le droit d’y participer avant trois mois.

Des décisions qui ont davantage fait peser alors les soupçons d’une manipulation à grande échelle. Cette suspicion a par la suite été confirmée par le refus d’accréditer certains observateurs internationaux, ou des médias étrangers soucieux de rendre compte du scrutin. Juste avant le scrutin, le renvoi de l’ambasadeur de l’Union européenne, sous un prétexte fallacieux, a encore renforcé ces craintes.

Sur les réseaux sociaux, pourtant, le jour des élections, les premiers messages qui commençaient à être partagés témoignaient de la ferveur et de la fierté, de la joie aussi, partagée par tout un peuple, d’avoir pu accomplir ce devoir et ce droit citoyen. Mais c’était avant le blackout d’internet imposé par le gouvernement. Et très rapidement, nos pires appréhensions sont devenues réalité.

Ouverture tardive des bureaux de vote, absence ou retard de fourniture de bulletins de votes, dysfonctionnements des machines à voter : les premières constatations qui nous sont parvenues du terrain tendaient à montrer que tous les éléments d’une fraude massive avaient été mis en place. Toute la journée, les témoignages d’irrégularités n’ont eu de cesse d’être rapportés. Dès le début, l’absence des listes électorales affichées devant des bureaux de votes, ou encore celle de noms de candidats sur certaines machines à voter avaient été relevées. Jusqu’à la fin du scrutin, l’absence d’affichage des procès verbaux sur les portes de certains bureaux a également été constaté.

Depuis dimanche, le régime ne cesse d’envoyer des signes de plus en plus inquiétants de fermeture vis-à vis de la communauté internationale. La coupure généralisée d’Internet en est bien sûr le plus spectaculaire des exemples. Radio France Internationale, dont les émissions et les journaux d’information sont particulièrement suivis en République démocratique du Congo, a par ailleurs vu son signal coupé, et le ministère de la Communication a retiré son accréditation à la correspondante de ce média à Kinshasa.

Les risques d’un putsch électoral sont donc bien présents, et nous désolent, car la déception sera grande, au sein d’une population qui avait commencé à croire à un changement politique. Mais les dangers d’une contestation des résultats des élections sont du coup bien réels, de même que ceux d’une escalade de la violence politique. L’attitude récente des forces de sécurité laisse en effet présager un possible bain de sang en cas de mouvement de foule.

La communauté internationale doit se tenir prête à activer tous les leviers dont elle dispose pour éviter un tel scénario, en espérant que les menaces de sanctions ciblées contre les responsables des violences, et d’éventuelles poursuites judiciaires seront suffisantes pour calmer les ardeurs des pourvoyeurs de haine. Ceux là n’ont pas d’avenir, au sein d’une RDC réellement démocratique et pluraliste, que nous appelons de tous nos vœux depuis trop longtemps.

Paul Nsapu, Secrétaire général adjoint de la FIDH et Président de la Ligue des électeurs
Jean-Claude Katende, Président de l’ASADHO
Dismas Kitenge, Président du Groupe Lotus

Lire la suite