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Maryse Artiguelong : « Nous serons tous surveillés, voire suspectés »

La loi sur le renseignement arrive aujourd’hui au Sénat. Les quelques amendements prévus à la marge ne changent pas la philosophie de ce texte, qui use et abuse des méthodes de surveillance sans réel contrôle. Entretien avec Maryse Artiguelong, animatrice de l’Observatoire des libertés et du numérique.

Le projet de loi sur le renseignement est discuté à partir d’aujourd’hui au Sénat, en procédure accélérée. Le texte a été en partie amendé par la Commission des lois, mais n’a rien perdu de son caractère liberticide. Dans cette dernière ligne droite, les associations continuent la mobilisation. Maryse Artiguelong, animatrice de l’Observatoire des libertés et du numérique (OLN), détaille plusieurs propositions d’amendements des opposants aux textes.

L’OLN veut diminuer le champ d’action de la loi sur le renseignement. Quels points précis voudriez-vous restreindre ?

304545 Image 0Maryse Artiguelong Le texte met en avant « la protection des intérêts économiques de la France » pour justifier la surveillance. C’est un postulat de départ fourre-tout, que nous voudrions voir réduit à « la défense des intérêts économiques de la France contre l’espionnage ». Par ailleurs, la loi autorise désormais les services de renseignements à se faire délivrer, sur demande, les « documents » et « informations » détenus par les acteurs du numérique, en tête les opérateurs et les hébergeurs. Nous voulons limiter cela aux seules « données de connexion », ce qui serait déjà beaucoup pour les autorités.

Quelles modifications pourraient-elles être apportées en termes de contrôle des dispositifs de surveillance ?

Maryse Artiguelong Nous continuons à penser que la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) ne sert à pas en grand-chose en l’état et devrait avoir un véritable rôle de cogestion. En plus de cela, il faudrait absolument lui adjoindre des représentants de la Commission nationale informatique et libertés (Cnil), pour contrôler les fichiers qui seront constitués à partir des opérations de surveillance. La CNCTR est pour l’instant constituée de magistrats, de législateurs (députés, sénateurs et membres du Conseil d’État) et d’un spécialiste des réseaux. Ce n’est pas suffisant pour garantir un contrôle efficient du fichage. Nous voulons aussi que le gouvernement précise exactement, dans le texte, le rôle des très controversées « boîtes noires ». Le fonctionnement réel de ces dispositifs de surveillance informatiques est pour l’instant très obscur, comme leur nom l’indique.

Les associations ont dénoncé, dès le début, le discours du gouvernement. Notamment le prétendu « anonymat » des données collectées. Qu’en est-il actuellement ?

Maryse Artiguelong Rien n’a changé sur ce point, le gouvernement continue à dérouler sa supercherie, espérant nous faire croire qu’il collectera des informations informatiques à la volée, « de manière anonyme ». Les données de connexion sont des métadonnées qui croisent plusieurs informations, comme votre localisation et votre numéro de téléphone. Les expertises montrent que ces données en disent plus sur les personnes que le contenu de leurs échanges en eux-mêmes. Sans compter que les fournisseurs d’accès à Internet ou les opérateurs téléphoniques ont votre identité et qu’ils ne manqueront pas de la communiquer sur demande aux autorités. Dans ces conditions, parler d’anonymat est un non-sens total.

La dangerosité du texte de loi n’a, au final, soulevé qu’une indignation relative dans la société. À croire que les Français se sentent peu concernés par la « surveillance généralisée » …

Maryse Artiguelong C’est, hélas, le cas. Cette problématique semble parfois lointaine pour la population. Mais les Français doivent comprendre qu’ils pourront tous être surveillés, voire suspectés. Lors d’une collecte générale d’informations, ou à cause d’un raté. En effet, il est prouvé que les algorithmes qui seront utilisés pour « filtrer » les informations, selon différents paramètres (mots-clés, localisation, etc.), ne sont pas fiables à 100 %. Or un taux d’erreur de seulement 1 % équivaut à 600 000 personnes à l’échelle de la population française. Sachant qu’être sélectionné par l’un de ces algorithmes peut déclencher une surveillance, c’est très inquiétant. Dans ces conditions, on voit bien que les arguments de type « je ne suis pas concerné par cette loi, car je n’ai rien à me reprocher », ne sont pas valables. Si vous n’avez rien à vous reprocher, le gouvernement peut, lui, parfaitement trouver quelque chose…

Un texte liberticide examiné à la va-vite. Après le passage devant le Sénat, en procédure accélérée, l’adoption du texte devrait être effective avant l’été. Reste néanmoins à voir les résultats de la double saisine du Conseil constitutionnel (par le chef de l’État et des députés de droite), qui pourrait mener à une censure du texte en cours de route. Enfin, l’opposition à la surveillance généralisée peut aussi espérer trouver, au niveau européen, des soutiens et des recours contre ce texte de loi, dans la lignée de l’arrêt de la Cour de justice européenne, qui a signifié le caractère illégal de la rétention des données.

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