LE PARISIEN MAGAZINE. Pour ou contre ? La reconnaissance faciale dans la rue

Identifier un passant dans la rue grâce aux caméras de télésurveillance ? C’est possible, avec des logiciels, mais interdit pour le moment en Europe.

Jean-Marc Bailleul et Maryse Artiguelong
Jean-Marc Bailleul et Maryse Artiguelong
Antoine Doyen

    Une caméra de surveillance scanne le visage des passants dans la rue, puis l'envoie à un logiciel analysant la position des yeux ou la largeur de la mâchoire. Développée par Facebook ou Google, cette technique de reconnaissance faciale, qui permet d'identifier quelqu'un figurant dans le fichier de personnes recherchées, ne peut être légalement utilisée dans les lieux publics. La Commission nationale de l'informatique et des libertés juge que « son caractère intrusif est croissant puisque la liberté d'aller et venir anonymement pourrait être remise en cause ».

    Le FBI s'en serait servi pour identifier, mi-avril, Mohamed Abrini, l'homme au chapeau de l'aéroport de Bruxelles, après les attentats du 22 mars. Le patron de Paris Aéroport a annoncé le 14 avril la mise en place à Roissy d'un système de reconnaissance faciale couplé à son dispositif de Passage automatisé rapide aux frontières extérieures (Parafe). Les voyageurs passent dans un sas où leur visage est comparé à la photo de leur passeport biométrique. Pour certains, il s'agit d'un compromis alliant sécurité et régulation du flux de voyageurs. Pour d'autres, c'est un moyen de tester la popularité de la reconnaissance faciale et de mettre en place d'autres systèmes plus facilement. Tel celui qu'a demandé Christian Estrosi pour l'Euro 2016, qui se déroulera du 10 juin au 10 juillet. Le maire (LR) de Nice veut équiper 18 caméras de sa ville avec le logiciel capable de relier, en direct, un visage à une identité. Cette avancée technologique, digne des romans de science-­fiction, menace-t-elle nos libertés ?

    Jean-Marc Bailleul, secrétaire général du Syndicat des cadres de la sécurité intérieure.

    Faciliter le travail des enquêteurs. Aujourd'hui, avec les caméras de surveillance dans les stades, les rues et les transports, le nombre d'images explose. Lors d'une enquête, cela représente un travail considérable. Après les attentats de novembre, des dizaines d'enquêteurs ont visionné des centaines d'heures de vidéos pour repérer les auteurs des attaques. La reconnaissance faciale pourrait permettre d'économiser ce temps et cette main-d'œuvre.

    Lutter à armes égales contre les grands délinquants. Le banditisme a toujours utilisé les nouvelles technologies, il a un temps d'avance sur nous. Ne le laissons pas en avoir deux. Et ils ne sont pas contraints, eux, de faire une réquisition pour avoir accès à une vidéo ! Nous devons coller aux évolutions pour lutter à armes presque égales contre les délinquants.

    Un système encadré. La reconnaissance faciale, ce n'est pas Big Brother, le personnage du roman 1984 (de l'Anglais George Orwell) qui surveille tout le monde en permanence. L'idée est de réduire les champs et de se focaliser sur des individus en particulier. Une législation encadrera l'utilisation du système. Les citoyens ont plus à craindre de la traçabilité de leur carte bleue quand ils paient au supermarché !

    Maryse Artiguelong, animatrice du groupe de travail « Libertés et Tic » à la Ligue des droits de l'homme.

    Des données sensibles. Un système de reconnaissance faciale est basé sur les données biométriques des individus : caractéristiques physiques, biologiques… Ces éléments, dits sensibles, ne peuvent être recueillis qu'avec le consentement libre, spécifique et éclairé de la personne. Il pourrait y avoir des dérives. Fera-t-on des tris selon la couleur de peau des gens filmés ? Ces fichiers ne contiendront-ils que les terroristes ou aussi les petits délinquants ?

    Un risque d'erreur. Des innocents pourraient être interpellés si le système de reconnaissance n'est pas fiable. Si les terroristes le savent, ils pourront se grimer. Il pourrait y avoir une erreur sur la personne, mais aussi une multiplication du nombre de suspects. Donc plus de travail pour les policiers, qui sont sans doute plus efficaces sur le terrain que derrière un ordinateur.

    Renforcer la lutte en amont. Cette surveillance généralisée porte atteinte à la vie privée et à la libre circulation, coûte cher et mobilise de nombreux agents. C'est disproportionné par rapport au résultat. Il vaudrait mieux déployer ces moyens en amont pour lutter contre le terrorisme et la criminalité : la déradicalisation des jeunes enrôlés ou la déghettoïsation de certains quartiers.