Intervention orale de la FIDH : Point 6 de l’ordre du jour

Monsieur le Président,

la FIDH réitère sa condamnation absolue de tout recours au terrorisme. Les attentats commis à l’encontre d’une population civile ne peuvent trouver quelconque justification et leurs auteurs et commanditaires doivent être poursuivis en justice et sanctionnés, dans le strict respect des normes universelles de protection des droits de l’Homme.

Néanmoins, le lancement de la « campagne internationale contre le terrorisme » qui a suivi les évènements tragiques du 11 septembre 2001 a changé la donne mondiale : la force prend le pas sur le droit. La FIDH ne cesse depuis plus de deux ans d’alerter la communauté internationale sur les risques - désormais confirmés - des moyens liberticides employés par les Etats pour atteindre cet objectif et les dérives inhérentes à des relations internationales uniquement perçues sous le prisme de la lutte contre le terrorisme.

Les ligues membres de la FIDH ne cessent en outre d’exprimer leurs préoccupations quant à l’attitude répressive des gouvernements qui, au prétexte de la lutte antiterroriste, font voter des lois sécuritaires liberticides : restrictions illégales, au regard du droit international, à la liberté d’expression, d’information ou de manifestation, détentions prolongées sans contrôle judiciaire, etc. Pour exemple, à Djibouti, plus 40 000 personnes se sont retrouvées sur le chemin de l’exode suite à l’ultimatum lancé pour des raisons sécuritaires par le gouvernement ordonnant l’expulsion forcée de tous les immigrés en situation irrégulière en septembre 2003.

Le rapport 2003 de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, un programme conjoint de la FIDH et de l’OMCT, met en évidence l’aggravation de la situation des défenseurs des droits de l’Homme dans le contexte de la lutte contre le terrorisme
La priorité donnée par les États au tout-sécuritaire se traduit par une montée de l’arbitraire et une remise en cause des droits de l’Homme. La lutte contre le terrorisme, pourtant légitime et nécessaire, est trop souvent détournée de son objectif premier pour servir les seuls intérêts de régimes peu respectueux des droits de l’Homme et porter atteinte aux défenseurs. La formule du président colombien Alvaro Uribe, le 8 septembre 2003, illustre cette situation, quand il qualifie les défenseurs des droits de l’Homme « d’écrivains et de politicards (...) au service du terrorisme, qui se cachent comme des lâches derrière le drapeau des droits de l’Homme ». La formule de David Trimble, leader du parti unioniste irlandais et détenteur - hélas - du prix Nobel de la Paix n’est guère plus satisfaisante : « Une des plus grande malédictions de ce monde est l’industrie des droits de l’Homme (...). Ils justifient les actes terroristes et finissent par se retrouver complices dans le meurtre de victimes innocentes », (29 janvier 2003).

Dans ce contexte, la défense du droit à un procès équitable, la présomption d’innocence ou l’interdiction de la torture sont considérées par nombre d’États comme non pertinentes. Le message des défenseurs des droits humains qui prônent l’universalité des droits de l Homme, luttent contre la peine de mort ou dénoncent l’adoption de lois liberticides par leurs États, devient de plus en plus difficile à faire entendre.
En Tunisie, la lutte contre le terrorisme est le prétexte à de nombreux abus en matière de droits de l’Homme. La définition du "terrorisme" dans la législation tunisienne, et tout particulièrement celle figurant à l’article 52 bis du Code pénal, autorise toutes sortes d’abus en raison de son caractère vague.

La nouvelle loi anti-terroriste du 12 décembre 2003 risque de criminaliser davantage des activités relevant de l’action politique ou associative contestataire et de mettre encore plus en péril les droits humains et les libertés fondamentales.

Le 6 juillet 2004, six jeunes « internautes » originaires de Zarzis ont été condamnés par la Cour d’appel de Tunis à 13 ans de prison ferme pour "entreprise terroriste", "vol et détention de produits explosifs". Les avocats et les observateurs internationaux présents aux audiences se sont inquiétés des nombreuses irrégularités de ce procès : falsification des lieux et des dates d’arrestation dans les PV, détention au secret des accusés pendant 17 jours et allégations particulièrement graves de tortures et de mauvais traitements subis pendant cette période. Nous y avons également constaté de nombreuses entraves aux droits de la défense : refus du juge d’instruction de communiquer les pièces à conviction aux avocats de la défense, absence inexpliquée des accusés lors de l’audience du 22 juin, refus d’entendre les témoins de la défense, etc, qui font douter de la véracité des faits pour lesquels les jeunes ont été condamnés.

Monsieur le Président,

la FIDH se félicite de la décision de la Cour Suprême des Etats-Unis d’Amérique, qui a conclu le 28 juin dernier à la compétence des cours fédérales pour juger de la légalité de la détention des ressortissants étrangers emprisonnés sur la Base de Guantanamo Bay Nabal à Cuba. Cette décision est une victoire importante pour l’état de droit et réaffirme le droit pour chaque personne, citoyen ou non, détenue par les Etats-Unis de voir la légalité de sa détention examinée par une juridiction américaine. Elle est le résultat d’une affaire engagée par le Centre for Constitutional Rights, l’organisation membre de la FIDH aux Etats-Unis, demandant une ordonnance d’habeas corpus au Tribunal de district de Columbia, et attaquant le Décret présidentiel du 13 novembre 2001 qui autorise une détention illimitée sans clause de sauvegarde des libertés individuelles.
Cette décision est conforme aux normes internationales relatives aux droits de l’Homme, ainsi qu’aux décisions de la Commission Interaméricaine des droits de l’Homme et du Groupe de travail sur la détention arbitraire de l’ONU, qui avait été saisi par la FIDH en janvier 2002. Examinant la situation des détenus de Guantanamo Bay, le Groupe de Travail a conclu en 2003 que ces derniers avaient le droit de voir la légalité de leur détention révisée par un tribunal compétent. Il a également établi que, si un tribunal compétent détermine qu’ils ne sont pas des prisonniers de guerre, ces détenus ont le droit à un procès équitable, conformément aux articles 105 et 106 de la troisième Convention de Genève, et aux Articles 9 et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Suite à la décision historique de la Cour Suprême, le secrétaire adjoint à la défense, Paul Wolfowitz, a signé, le 7 juillet dernier, un ordre créant des "tribunaux de révision du statut de combattant", formés de trois officiers "neutres", dont l’un, au moins, doit être un juge militaire. Ils seront chargés de déterminer si la détention des prisonniers de Guantanamo Bay, en qualité de « combattants ennemis », sans limite de temps et sans la protection de la Convention de Genève sur les prisonniers de guerre est justifiée. Les détenus ne pourront pas être assistés d’un avocat pour préparer leur dossier au tribunal d’examen du statut de combattant, mais d’un simple officier militaire. Ces tribunaux militaires spéciaux auront par ailleurs une compétence qui dépasse la compétence reconnue par cette enceinte dans le cadre de l’étude sur l’Administration de la justice par les tribunaux militaires et peu de garanties d’indépendance.

Par ailleurs, quelques 139 prisonniers, selon le Pentagone, auraient quitté la base de Guantanamo pour retourner dans leurs pays d’origine et y être incarcérés ou libérés. Ces procédures secrètes doivent retenir notre attention car nombre de pays destinataires (la Russie, le Soudan, etc) sont connus pour leurs pratiques particulièrement musclées en détention. Très peu de garanties sont fournies et les prisonniers pourraient se voir soumis à des conditions d’emprisonnement inhumaines et dégradantes, à la torture, voire disparaître.

Monsieur le Président, je vous remercie.

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