11 septembre, un an après : les droits de l’Homme plus que jamais !

Un an après les terribles attentats qui ont frappé les Etats Unis, l’onde de choc a touché tous les continents, provoquant des déstabilisations régionales, une légitimation inacceptable de violations massives de droits de l’Homme, ou bien encore des restrictions injustifiées des libertés individuelles. Le manichéisme et l’opportunisme semblent avoir pris le pas sur le rationalisme et le droit ; la lutte contre " l’axe du Mal ", sur la construction d’un monde de paix et de justice.

" Soit vous êtes avec nous, soit vous êtes avec les terroristes "
Georges Bush, 20 septembre 2001

" Nous traiterons le groupe d’apostats que l’on croit être liés à ce
qu’on appelle Al Qaïda ou aux talibans comme les traiteraient les
Etats-Unis à Guantanamo. Les Etats-Unis ont affirmé que ces gens
n’ont pas le droit de se défendre (...), que les droits de l’Homme ne
s’appliquent pas dans leur cas et qu’ils doivent être traités comme
des chiens. (...) Nous faisons la même chose (...)".
Colonel Qaddafi, 31 août 2002

Un temps abasourdie par cette agression, la grande puissance américaine, blessée et humiliée a réagi avec la plus extrême des fermetés. Au niveau interne, tout d’abord, avec l’adoption en octobre 2001, du Patriot Act, qui a considérablement restreint les libertés civiles les plus élémentaires de ses citoyens, et, surtout, de ses non-ressortissants ; et avec une interprétation aussi tardive que fallacieuse des Conventions de Genève de 1949, censée fonder la détention de suspects sur la base de Guantanamo.

Plusieurs centaines d’arrestations, de détentions et d’interrogatoires sont ainsi intervenues dans des circonstances plus que douteuses, des sites internet et des morceaux de musiques ont été censurés, les scénaristes de la CIA ont revu et corrigé des films guerriers. Ce retour aux vieux réflexes " mac-carthystes " n’a visiblement choqué personne ou presque, aux Etats-Unis. Les médias eux-même, ont choisi de jouer la fibre patriotique, refusant presque tous obstinément de se poser la question : "Pourquoi ?". Seuls quelques magistrats, organisations de défense des droits de l’Homme et (trop rares) intellectuels dénoncent aujourd’hui cette dérive orwellienne de la société américaine. L’équilibre entre sécurité et liberté n’a manifestement pas été trouvé, et la balance commence à pencher dangereusement du côté du premier plateau. Les mécanismes internationaux de protection des droits fondamentaux paraissent impuissants.

Encouragés par l’exemple américain, de nombreux dirigeants à travers le monde ont profité de l’aubaine pour activer ou adopter des lois similaires, et renforcer leur arsenal répressif au prétexte de lutter contre le terrorisme. En Chine, en Russie, ou bien encore en Egypte, en Algérie, en Tunisie et en Colombie, de telles mesures ont ainsi été prises ou mises en oeuvre, qui pour réprimer les peuples, les minorités ou les opposants en les assimilant à de dangereux complices de Ben Laden, qui dans le but de museler les associations de défense des droits de l’Homme. En Géorgie, au Kazakhstan, en Malaisie, des défenseurs des droits de l’Homme ont été réprimés. Pour le Président Moubarak, l’instauration de tribunaux militaires aux Etats Unis " prouve que nous avions raison dès le départ en utilisant tous les moyens (?) (en réponse) à ces crimes qui menacent la sécurité de la société ". De telles initiatives, provenant de régimes qui bafouent au quotidien les droits de l’Homme ne sont guère surprenantes, et n’ont guère surpris. Le règne de l’amalgame est opportunément consacré. A elle seule la guerre en Tchétchénie illustre de façon flagrante l’utilisation fallacieuse de la lutte contre le terrorisme.

Plus étonnante a été l’attitude des autres régimes démocratiques, qui non contents de ne pas s’opposer à la mise en place de telles mesures, les ont partiellement ou totalement cautionnées. Pire, pour nombre d’entre elles, elles ont également adopté des dispositions identiques au sein de leurs propres systèmes législatifs. Ainsi en Grande Bretagne, en Allemagne, et même au Canada, des lois sécuritaires ont fleuri, au mépris le plus souvent du respect le plus élémentaires des droits humains. Contrôles au faciès, expulsions, surenchère, comme en France, de discours sécuritaires : cette année aura été celle de tous les dangers pour les libertés publiques.

Quant aux instances multilatérales gardiennes des normes internationales des droits de l’Homme, elles suivent en bonne logique le mouvement des Etats qui les composent. D’un côté, le Comité des Nations Unies contre le terrorisme, créé à l’automne 2001 par le Conseil de sécurité, a reçu à ce jour 207 rapports en provenance de 163 Etats. De l’autre, les six comités des Nations Unies, gardiens des conventions sur les droits de l’Homme, déplorent le retard cumulé de 1371 rapports de la part d’autant d’Etats. Quant à la Commission des droits de l’Homme de l’ONU, dont le rôle est pourtant consacré par la Charte même de l’Organisation, elle s’est comportée au printemps 2002 comme si rien ne s’était passé, malgré les appels pressants de Koffi Annan, de Mary Robinson, des mécanismes indépendants de surveillance et des ONG.

Le nouvel ordre mondial engendré par la réaction des Etats Unis à l’agression subie dépasse les prédictions les plus pessimistes. Certes, le régime honni des talibans - installé un temps par cette même superpuissance pour lutter contre l’ennemi d’hier - a été éradiqué. Mais on ne compte plus les " dégâts colatéraux " provoqués par les bombardements massifs des B52. On s’étonne à peine de la découverte d’un "crime de guerre" - la mort par étouffement de près d’un millier de talibans au cours d’un transfert de prisonniers - commis en pleine complicité avec les troupes américaines. On feint d’ignorer, enfin, les intérêts pétroliers substantiels que vont prochainement retirer les entreprises américaines et/ou pakistanaises de cette campagne militaire dans la région, avec le contrôle et l’acheminement désormais permis des gisements de la mer Caspienne. Déstabilisée, la région a même échappé cette année au déclenchement d’un conflit entre deux puissances nucléaires avérées, l’Inde et le Pakistan. Que dire alors du Proche Orient, qui subit de plein fouet les contrecoups du 11 septembre et de la lutte contre le " terrorisme international ", abandonné au diktat des surenchères. Là encore, tous les amalgames ont été faits, étouffant dans l’ ?uf le moindre espoir d’un retour à une paix, même précaire.

Les excès de l’unilatéralisme américain, dans le domaine de l’environnement, de la coopération internationale, ou bien encore du désarmement, se sont accentués depuis le 11 septembre. Les Etats-Unis déroutent - à commencer par tous ceux qui tentent de construire un monde plus juste. Un monde dans lequel les chefs d’Etats et autres commanditaires et auteurs des crimes les plus graves ne resteraient plus impunis.

Engagés sur le terrain militaire en Asie du Sud-Est, en Afghanistan, en Afrique, ou bien encore en Amérique latine, les Etats-Unis refusent tout dommage juridique " collatéral " à leurs interventions menées sous le sceau du rétablissement de la paix et de la sécurité internationale. Pour Donald Rumsfeld, " le risque que la CPI tente d’affirmer sa juridiction sur nos agents et civils américains impliqués dans le contre-terrorisme et autres opérations militaires est une éventualité que nous ne pouvons accepter ". Voilà une déclaration qui a au moins pour mérite d’être claire.

L’arsenal anti-CPI est apparu au grand jour cet été : l’American Service members Protection Act (ASPA), entré en vigueur le 2 août 2002, pose le principe de la non-coopération des Etats Unis avec la Cour, et prévoit un système de pressions et de représailles à l’encontre des Etats non-alliés qui coopéreraient avec celle-ci. L’ASPA donne même au Président américain " tous les moyens nécessaires " pour libérer un américain détenu par la Cour ! Cela ne devrait pas être utile, la résolution 1422 du Conseil de Sécurité, adoptée dès le 12 juillet sur proposition américaine, consacrant l’immunité automatique des agents des Etats non-parties à la Cour engagés dans des opérations onusiennes. Quant aux autres agents ou ressortissants américains, ils pourront être protégés par les accords bilatéraux que l’administration américaine tente d’imposer au plus grand nombre d’Etats.

L’argument avancé du nécessaire monopole de la justice américaine pour connaître des crimes internationaux commis par des américains ne tient pas : l’offensive actuellement menée vise le torpillage de la Cour pénale internationale. Comment ne pas voir, dans l’obstination des Etats-Unis à refuser à tout prix la mise en place de la CPI, une fuite en avant dans l’irresponsabilité et un encouragement aux pires régimes qui soient ?

Chantages politique, économique et militaire deviennent explicitement les outils privilégiés d’une politique du président Bush tout entière consacrée à une conception dévoyée de l’intérêt national. On sait comment les nouveaux alliés des Etats Unis dans leur lutte contre "l’axe du mal", Vladimir Poutine, Jiang Zemin ou encore Ariel Sharon, oeuvrent au quotidien, pour faire triompher les valeurs de liberté, de démocratie, et de dignité humaine...

Au bout du compte pourtant, nous sommes convaincus que l’Histoire donnera tort à ces opportunistes de l’arbitraire. L’indispensable et légitime lutte contre le terrorisme devra nécessairement passer par le respect des droits de l’Homme, de tous les droits de l’Homme.

Car, loin de tous les dogmatismes, ces normes constituent l’unique référentiel universellement acceptable d’organisation des sociétés nationales et mondiale ; le seul cadre fédérateur universellement admissible par les peuples, et opposable aux Etats tenus de les garantir, comme aux individus et aux entités privées tenus de les respecter.

Car le chaos de l’après 11 septembre a souligné l’importance de répondre à ces fléaux fondamentaux que sont l’injustice, l’inégalité, la pauvreté, le sous-développement.

Car l’exigence de démocratie et de développement se fait plus pressante que jamais.

Voilà les raisons simples, vitales, qui justifient notre mobilisation renouvelée.

Paris, le 10 septembre 2002

Sidiki KABA
Président de la FIDH

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