11 septembre 2001 + 2 ans : Un triste anniversaire

Le lancement de la « campagne internationale contre le terrorisme » qui a suivi les évènements tragiques du 11 septembre 2001 a changé la donne mondiale : la force prend le pas sur le droit.

Si la lutte contre le terrorisme est légitime car elle répond au droit à la sécurité de tous les citoyens, la FIDH ne cesse depuis deux ans d’alerter la communauté internationale sur les risques - désormais confirmés - des moyens liberticides employés par les Etats pour atteindre cet objectif et les dérives inhérentes à des relations internationales uniquement perçues sous le prisme de l’antiterrorisme.

La lutte contre le terrorisme menée par les Etats doit s’inscrire obligatoirement dans le respect des instruments internationaux relatifs aux droits de l’Homme si elle ne veut pas tomber dans l’arbitraire et ainsi faire le jeu des groupes criminels qui s’affranchissent de ces règles collectives pour faire entendre leur cause radicale.

Pourtant la lutte antiterroriste est en train de mettre à mal l’ordre juridique international, notamment l’Organisation des Nations unies, pour remettre au devant de la scène des actions unilatérales d’Etats portés par leur propre intérêt sécuritaire mais également enclins à privilégier des intérêts politiques et économiques.

L’administration Bush qui s’érige en porte-parole de la démocratie incarne ce paradoxe en démontrant chaque jour le mépris dans lequel elle tient le droit international. Quelles que soient les raisons invoquées pour leur intervention en Irak, s’affranchir du mandat de l’ONU revient à saper un ordre conçu sur la paix et la sécurité internationale et à radicaliser les mouvements extrémistes.

Le traitement des prisonniers de Guantanamo - près de 700 personnes de 48 nationalités, y compris des mineurs, contraint à l’isolement dans des cellules de 2 mètres sur trois- est à cet égard éloquent. Depuis 18 mois des centaines de personnes présumées terroristes restent détenus incomunicado de façon illégale, comme l’ont reconnu les Nations unies par l’intermédiaire du Groupe de travail sur les détentions arbitraires et la Commission inter-américaine des droits de l’Homme, saisis tous deux par la FIDH. En outre, le Center for Constitutional Rights, organisation américaine membre de la FIDH a saisi la Cour Suprême des Etats Unis le 2 septembre dernier pour violation du droit à un procès équitable concernant des sujets britanniques et australiens jugés par des tribunaux militaires américains à Guantanamo.

Les procédures d’exception pour détenir et juger de présumés terroristes sont utilisées par de nombreux autres Etats : suspects privés d’une défense appropriée, secret des preuves à charge, érection de tribunaux militaires et application de la peine de mort. Au Maroc, la FIDH a pu constater depuis quelques mois, que de nombreuses arrestations de terroristes présumés s’apparentent à des enlèvements, que la torture est redevenue pratique courante. Quant aux procès, pour la pluspart, ils se déroulent dans des conditions peu respectueuses des règles élémentaires d’un procès équitable et les condamnations à mort sont nombreuses. Laisser les gouvernants agir sur le terrain de la justice sommaire est attentatoire au nécessaire respect des droits de l’Homme. On ne peut juger de présumés terroristes par des politiques et pratiques arbitraires et le renoncement aux prescriptions de l’Etat de droit.

Les ligues membres de la FIDH ne cessent en outre d’exprimer leurs préoccupations quant à l’attitude répressive des gouvernements qui au prétexte de la lutte antiterroriste font voter des lois sécuritaires liberticides : Restrictions illégales, au regard du droit international, à la liberté d’expression, d’information, de manifestation, etc.
A Djibouti, plus 40 000 personnes sont en ce moment sur le chemin de l’exode suite à l’ultimatum lancé pour des raisons sécuritaires par le gouvernement ordonnant l’expulsion forcée de tous les immigrés en situation irrégulière à partir du 15 septembre 2003.
En Malaisie, la campagne internationale contre le terrorisme a fourni une nouvelle justification quant à l’utilisation des lois les plus restrictives (notamment l’International Security Act) et a conduit à des arrestations d’individus prétendument liés à des groupes fondamentalistes.

Outre les lois liberticides, certains Etats opportunistes, se servent du prétexte fallacieux de la lutte antiterroriste pour éradiquer toute forme d’opposition et de critique au pouvoir.
En avril et mai 2003 les autorités mauritaniennes entreprennent une vague massive d’arrestation de religieux ayant critiqué le pouvoir à l’occasion de prêches. Le Premier ministre qualifie les personnes arrêtées de « terroristes islamistes à la solde de pays étrangers qui constituent une réelle menace pour le pays ». A la suite des dénonciations des conditions arbitraires d’arrestations et de détentions des religieux, le gouvernement est même allé jusqu’à dire « terrorisme et la FIDH même combat en Mauritanie », acculé dans une justification hasardeuse de sa répression. Finalement, le 25 août dernier, tous les religieux ont été libérés, sans qu’aucune raison ne soit donnée.

Sous couvert de lutte antiterroriste, le 23 février 2003, le gouvernement égyptien a fait voter en urgence par le Parlement l’extension de la loi sur l’état d’urgence pour trois années supplémentaires, maintenant ainsi des procédures d’exception, sources de nombreuses violations des droits de l’Homme. De même, sous le motif fallacieux de la lutte antiterroriste, le président russe, Vladimir Poutine, est responsable de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité à l’encontre de la population civile tchétchène - arrestations arbitraires, tortures, disparitions forcées… Dans un discours prononcé le 8 septembre le Président de Colombie a franchi un nouveau pas vers l’arbitraire en assimilant les défenseurs des droits de l’Homme à des terroristes.

La stratégie ainsi mise en place par de nombreux Etats, au lieu d’atteindre son objectif qui est de lutter contre le terrorisme, contribue à son renforcement. En effet, force est de constater que le terrorisme qui se nourrit de tous les arbitraires politiques, sociaux, économiques et culturels se développe sur l’ensemble des continents.

Il est impératif de réfléchir aux causes du terrorisme pour mieux le combattre. La poursuite par les Etats les plus riches de leurs intérêts au détriment de l’équité, de la solidarité et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, amène des populations entières à perdre tout espoir d’une vie meilleure et favorise l’émergence des idéologies les plus funestes. La paix et la sécurité universelles dépendent de l’engagement sincère de l’ensemble de la communauté des Etats à construire un ordre international plus juste et plus équilibré.

La mondialisation de l’indignation des opinions publiques à l’égard des dérives étatiques, si significative avant le début des opérations militaires en Irak, illustre une autre vision des relations internationales. De même, la naissance, contre vents et marées, de la Cour pénale internationale est également une source d’espoir de voir progressivement bannie l’impunité des auteurs des crimes les plus graves. Une telle institution permettra de réprimer les auteurs de tels crimes en raison de la gravité de ceux-ci et quels qu’en soient les auteurs, agent d’un Etat ou un membre d’un groupe terroriste. L’avènement de la CPI pose les bases de la seule alternative crédible à la loi du plus fort et à l’arbitraire multiforme.

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