DAVOS : le défi de la responsabilité des acteurs privés

Le débat sur la mondialisation est à nouveau à l’ordre du jour alors que s’est ouvert le Forum Economique Mondial à Davos, et que les négociations à l’Organisation Mondiale du Commerce reprennent à Genève. La FIDH se félicite de l’ouverture du Forum à la société civile cette année ; le programme des débats témoigne en outre d’une conscience croissante des enjeux humains et sociaux de la mondialisation. Néanmoins, il importe de réaffirmer que l’une des questions majeures de ce Forum demeure celle de la responsabilité juridique des acteurs économiques, dont les activités ont un impact croissant sur la situation des droits de l’Homme de par le monde.

La mondialisation, en accroissant l’importance de nouveaux acteurs dans le domaine économique et social (telles les institutions financières internationales, l’Organisation Mondiale du Commerce, les sociétés transnationales ...) a consacré un rétrécissement de la marge des Etats sur qui pèse l’obligation juridique de protéger, promouvoir et garantir les droits économiques sociaux et culturels. Dans ce processus caractérisé par la démultiplication des centres de décision et des instances de régulation, la question de la responsabilité de ces nouveaux acteurs devient alors primordiale. Cela concerne tout d’abord les sociétés transnationales auxquelles la mondialisation a conféré une puissance inédite, et qui agissent pour l’instant en situation de virtuelle impunité. Les entreprises transnationales sont désormais devenues un lieu de pouvoir, auquel ne correspond pas un niveau équivalent de responsabilité juridique, sociale, politique et morale. Les exemples abondent où la promotion d’intérêts commerciaux s’est faite aux dépens des droits fondamentaux des peuples.

Il importe donc que pouvoir et responsabilité coïncident enfin, et que les activités des grands groupes transnationaux, qui affectent de par le monde des millions d’individus, fassent l’objet d’un contrôle démocratique accru.

A cet égard, la FIDH estime que l’argument souvent avancé par les entreprises selon lequel les droits de l’Homme ne sont pas du ressort de leur responsabilité, et qu’elles ne font que suivre les régulations internationales, est aujourd’hui insuffisant : certes, si la mise en œuvre du droit international des droits de l’homme incombe avant tout à l’Etat souverain, seul dépositaire d’obligations internationales en la matière, la puissance croissante des entreprises signifie qu’elles ne peuvent plus esquiver leur responsabilité quant à l’impact social, économique et politique important de leurs activités.

De plus, la FIDH considère que les " chartes éthiques " ou codes de conduite adoptés par un nombre croissant d’entreprises correspondent le plus souvent à une simple stratégie de communication, et ne sont en aucune façon aptes à garantir le respect, par ces transnationales, des droits de l’homme (dont les droits du travail et le droit à l’environnement) là où elles sont implantées. L’on constate en effet que ces codes ou chartes se situent majoritairement en deçà des normes internationales applicables en la matière, qu’ils visent à protéger un nombre limité de droits, et surtout, qu’ils ne font qu’exceptionnellement l’objet d’un contrôle extérieur, indépendant et contraignant, pourtant seul gage d’un engagement effectif de l’entreprise en faveur de la promotion du développement durable.

Le "contrat mondial" (Global Compact)

C’est en vue de responsabiliser les entreprises que l’ONU a, par la voix de son secrétaire général, Kofi Annan, proposé le Global Compact, dont le site web a été officiellement lancé vendredi 28 janvier à Davos. Ce Global Compact consiste en un "contrat" moral obligeant les entreprises signataires à "embrasser, promouvoir et faire respecter une série de valeurs fondamentales touchant les droits de l’Homme, les conditions de travail et l’environnement".
S’il y a lieu de se féliciter que les organisations internationales prennent désormais au sérieux le problème de la responsabilisation des entités privées en matière de droits de l’Homme, le Global Compact tel qu’actuellement proposé souffre de sérieuses défaillances :
· Le "Contrat" n’en est pas formellement un, puisque les entreprises n’ont pas à signer de document les obligeant à respecter les principes énoncés dans le texte. Il n’y a donc à aucun moment d’engagement formel et contraignant de la part de l’entreprise à promouvoir les droits qui y sont énoncés.
· Le Contrat se fonde sur la base du volontariat de la part des entreprises. Or de nombreux travaux ont montré que les entreprises privées n’agissent en faveur du développement durable et des droits de l’Homme que lorsqu’existent une contrainte (juridique ou sociale) et, en réalité, un risque commercial susceptible de nuire à leur activité.
· De même, aucun mécanisme de contrôle extérieur et indépendant n’est à l’heure actuelle prévu pour vérifier la bonne application des principes du Contrat par les entreprises, qui pourront donc se contenter d’une souscription symbolique à celui-ci, sans qu’aucun changement réel et conséquent n’intervienne dans leurs comportements.
· Le Contrat peut ainsi paradoxalement freiner la mise en place d’un véritable mécanisme de contrôle, dans la mesure où il pourra aisément se transformer en gage de bonne conscience pour les entreprises d’une part, et d’autre part entretenir l’illusion qu’elles sont réellement engagées dans un processus de responsabilisation, quand aucun élément objectif ne viendrait l’attester.

Le Global Compact consacre un renversement inquiétant : les droits de l’Homme sont proposés aux entreprises, comme une disposition facultative, alors qu’ils devraient s’imposer à elles, puisqu’ils sont par essence les valeurs communes de l’humanité. Par la proposition du Global Compact, l’ONU accepte, voire (en proposant son assistance technique) encourage, l’assujettissement de l’intérêt général à l’intérêt particulier. Elle signe là une grave démission de la communauté internationale.

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