DECLARATION DU FORUM SUR LES DROITS HUMAINS - Québec, Canada, du 16 au 21 avril 2001

Après avoir constaté que les effets de tous les accords de libre échange conclus dans le continent sont incompatibles avec les droits humains, nous, les participants et participantes du Forum sur les droits humains, déclarons que :

Nous refusons la conclusion d’un accord créant la Zone de libre échange des Amériques (ZLÉA) et de tout autre accord fondé sur le modèle néo-libéral dans le continent.

Les citoyens et les citoyennes doivent avoir le droit de participer à la formulation, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques sociales et économiques continentales. Les objectifs centraux de ces politiques doivent viser l’établissement d’un modèle de développement fondé sur la démocratie, l’exercice et le respect des droits humains, l’absence de corruption, la protection de l’environnement, la promotion de la paix, la souveraineté économique, le bien-être social, la fin des iniquités, la libre circulation des personnes sur tout le continent et l’élimination de toute forme d’exclusion de personnes, de peuples ou de pays, comme c’est le cas pour Cuba.

L’économie, notamment le commerce et l’investissement, ne doit pas être une fin en soi, mais un instrument pour assurer la réalisation d’un tel modèle de développement. Elle doit être réglementée, tant sur le plan mondial que sur le plan continental, selon le principe fondamental et non négociable de la primauté des droits humains.

LA PRIMAUTÉ DES DROITS HUMAINS

1. En vertu du droit international, notamment la Charte des Nations Unies et la Charte de l’Organisation des États Américains, la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme et la Convention américaine des droits de l’homme, la première obligation des États est de respecter, protéger et favoriser l’exercice et la réalisation de tous les droits humains universels et indivisibles. Tous les autres acteurs sociaux et économiques doivent aussi respecter les droits humains. Cette obligation s’applique également aux institutions multilatérales et aux entreprises nationales et multinationales.

2. La Déclaration universelle des droits de l’homme, étant donné sa supériorité hiérarchique dans l’ordre juridique international, du fait qu’elle précise les droits reconnus dans la Charte des Nations Unies, prévaut sur tous les autres traités, y compris les accords commerciaux. C’est pourquoi les accords bilatéraux ou multilatéraux relatifs aux échanges commerciaux ou aux investissements doivent explicitement satisfaire au principe de la primauté des droits humains. Les États parties de ces accords doivent respecter inconditionnellement les instruments internationaux et régionaux qui établissent aussi bien les droits civils et politiques que les droits économiques, sociaux et culturels.

3. Les États doivent garantir à toute personne sous leur juridiction l’égalité des droits, sans aucune distinction fondée sur le sexe, l’ethnie, la nationalité, l’âge, la langue, les croyances religieuses, les convictions politiques, l’orientation sexuelle, la condition économique ou sociale, le handicap ou pour tout autre motif arbitraire. Les États doivent combattre l’exclusion de tout groupe ou personne, le racisme, la xénophobie et l’impunité des violations à l’encontre des droits humains. Ils veilleront en particulier à ce qu’entrent en vigueur et soient respectées des politiques garantissant les droits des femmes, des travailleurs et des travailleuses, des enfants, des personnes âgées, des personnes migrantes et de leurs familles, des personnes déplacées, des personnes handicapées, des autochtones et des Afro-américains, entre autres. Les États doivent reconnaître les droits des peuples autochtones et adopter des instruments qui en garantissent le plein exercice.

4. Les États doivent prendre des mesures pour assurer la pleine réalisation du droit de toutes les personnes à la libre détermination, à l’alimentation, à la santé, à l’accès à l’eau, à la terre et aux autres ressources dans des conditions d’équité, à un logement et un niveau de vie adéquats, à l’éducation, à la culture, au travail et aux droits relatifs au travail, y compris la reconnaissance du travail non rémunéré des femmes, la sécurité sociale et les autres droits inhérents à la dignité de la personne humaine, comme le droit à la sécurité et à l’intégrité physique et psychologique.

DÉMOCRATIE ET TRANSPARENCE

5 La négociation de tout accord de commerce et d’intégration doit satisfaire aux exigences de démocratie et de transparence. Les négociations ou accords qui ne respectent pas ces règles ne doivent pas se poursuivre.

 Les citoyennes et citoyens, ainsi que les organisations de la société civile qui les représentent, doivent avoir pleinement accès à l’information sur les négociations intergouvernementales, ainsi que les moyens et opportunités nécessaires de se prononcer sur le contenu et l’éventuelle ratification de tels accords.
 Les gouvernements doivent leur fournir les ressources nécessaires pour assurer cette participation citoyenne.
 Les parlements nationaux doivent réaliser des consultations publiques adéquates sur de tels accords et tenir compte de leurs résultats avant de se prononcer à leur égard.

LE RENFORCEMENT DU SYSTÈME RÉGIONAL DES DROITS HUMAINS

6 Les organes du système interaméricain de protection des droits humains doivent garantir que tout accord de commerce soit soumis au principe de la primauté des droits humains.

7 Le caractère exécutoire des décisions de la Cour et de la Commission interaméricaines des droits humains doit être réaffirmé. Les États doivent adopter les mesures de droit interne requises pour assurer la mise en œuvre de toutes les décisions des organes du système interaméricain des droits humains.

8. La Commission interaméricaine des droits de l’homme doit être habilitée à entreprendre des études sur les répercussions de l’intégration économique régionale sur les droits humains. Ces études seront rendues publiques. Les États doivent consulter la Cour interaméricaine des droits de l’homme quant à la compatibilité de tout projet d’accord de commerce ou d’intégration avec le principe de primauté des droits humains.

9. Les cas de violations des droits humains survenues suite à la signature ou la mise en place de tout traité de commerce ou d’intégration doivent être considérés et résolus par la Commission et la Cour interaméricaines des droits de l’homme, conformément à leurs pouvoirs prévus dans la Convention américaine des droits de l’homme.

10. Tout mécanisme et processus de résolution de conflits dans le cadre d’un accord de commerce ou d’intégration doivent explicitement intégrer les normes internationales et régionales de droits humains, ainsi que la jurisprudence de la Commission et de la Cour interaméricaines des droits de l’homme.

11. Dans son rapport annuel à l’Assemblée générale de l’OÉA, la Commission interaméricaine doit inclure de façon permanente un chapitre se référant aux mesures et actions adoptées pour assurer la conformité des dispositions de tous les accords de commerce et d’intégration avec les instruments interaméricains et universels de protection des droits humains. Pour ce faire, elle tiendra compte des apports de la société civile.

12. Les États des Amériques doivent s’engager à augmenter immédiatement et de façon significative le financement et les ressources du système interaméricain de protection des droits humains.

PERSPECTIVES DE TRAVAIL ET PLAN D’ACTION

Les participants et participantes du Forum sur les droits humains du Deuxième Sommet des peuples des Amériques s’engagent à :

1. Entreprendre et encourager, notamment au sein de l’Alliance sociale continentale (ASC), des processus d’éducation populaire sur les effets de la mise en œuvre de politiques et de mesures néo-libérales comme les traités de libre échange, afin de promouvoir des actions locales dans une perspective mondiale. Cela contribuera à renforcer l’Alliance sociale continentale et à enrichir sa stratégie. En outre, de tels processus d’éducation contribueront à éviter que, par manque d’information ou de connaissance, lesdites politiques ou mesures ne soient approuvées.

2. Travailler à faire connaître les conséquences des violations des droits humains, suite à la mise en œuvre de mesures néo-libérales comme les accords de libre échange, à identifier les responsables, à faire en sorte que des sanctions soient appliquées, que les dommages causés soient réparés et que des mesures soient adoptées pour assurer que de telles violations ne se reproduisent plus.

3. Créer un comité ad hoc pour coordonner et mener les campagnes suivantes :

a) Une campagne pour l’adhésion des organismes de droits humains à l’Alliance sociale continentale dans le but d’augmenter le nombre de ses membres et d’y renforcer la perspective de la primauté des droits humains.

b) Une campagne contre les traités de libre échange en vigueur, en raison de leurs effets négatifs sur les droits humains.
c) Une campagne pour que les États des Amériques :

 ratifient une liste déterminée dans chaque pays d’instruments régionaux et internationaux de protection des droits humains, y compris le Statut de la Cour pénale internationale ;
 - adoptent une déclaration sur les droits des peuples autochtones dont les dispositions ne seraient d’aucune façon inférieures à celles de la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail concernant les peuples indigènes et tribaux ni à celles du projet de déclaration sur les peuples autochtones actuellement discuté aux Nations Unies.

4. Travailler immédiatement à la création d’un comité d’experts indépendants au service des organisations de droits humains ,chargé d’élaborer un rapport pour la Commission interaméricaine des droits de l’homme sur les répercussions des traités de libre échange en vigueur et en cours de négociation, sur la jouissance équitable et sans discrimination des droits humains dans leur intégralité.

5. Développer un système indépendant et transparent de surveillance des effets des activités des multinationales sur les droits humains.

6. Continuer à travailler pour le renforcement des systèmes internationaux de protection des droits humains, en particulier du système interaméricain, en y recourant et en surveillant l’application de ses décisions et promouvoir la coopération des États pour assurer la capacité de réponse dudit système.

7. Promouvoir et appuyer la mise en place d’un mécanisme à la charge des États, facilitant l’accès des victimes au système interaméricain de protection des droits humains.

8. Renforcer les actions visant la protection et la garantie du travail des défenseurs de droits humains et des responsables des organisations sociales.

9. Encourager et renforcer la défense des ressources naturelles, en particulier l’eau, dans la perspective des droits humains.

10. Approfondir, au sein de l’Alliance sociale continentale (ASC), les discussions sur la proposition d’une charte sociale des Amériques, en tant que moyen pour assurer l’adhésion de tous les pays du continent à la mise en œuvre de tous les droits humains, y compris le droit au développement, ainsi que la participation de la société civile et la soumission des accords de commerce et d’intégration aux obligations découlant du système de protection des droits humains.

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