COMMUNICATION, CULTURE, MONDIALISATION ET DEMOCRATIE

4,5 milliards de postes de radio, 3,5 milliards de postes de télévision, un milliard de téléphones portables, un milliard d’internautes : ces chiffres laisseraient imaginer que l’information et la communication favoriseraient compréhension et cohabitation entre peuples et cultures de notre planète. Il faut cependant tordre le cou à ce mythe. L’accroissement de l’information et de la consommation ne constitue nullement un élément engendrant mécaniquement une meilleure compréhension et respect de l’Autre. Bien au contraire, l’Autre pénètre chez nous par le canal de nos récepteurs de télévision, avec son cortège de différences culturelles identitaires aggravant notre incompréhension par l’abolition immédiate des distances physiques.

Ainsi, en France, les votes en faveur du Front National caractérisés par un rejet des immigrés dans des régions, villes ou villages où précisément ne vit ou ne travaille aucun immigré, illustrent cette problématique : l’Autre n’est plus une fiction imaginaire lointaine mais une présence visible avec laquelle il faut cohabiter, nous interpellant dans nos propres convictions identitaires, culturelles et religieuses, que ce soit à l’échelon du territoire national ou de la planète. Ainsi donc, l’accroissement de l’information ne rapproche pas mais, au contraire, souvent aggrave l’incompréhension rendant plus visibles les inégalités et injustices. Comment alors mieux connaître, cohabiter et tisser un lien social avec cet Autre ? Comment réduire ces incompréhensions entre cultures, identités et civilisations de notre planète face à cette mondialisation qui ne rapproche pas les cultures mais souvent amplifie les différences, la notion de village global constituant un autre mythe qu’il convient de dénoncer ?

C’est dans ce contexte que surgit la question de la culture comme enjeu politique mondial certainement pas soluble à travers le réseau internet de l’information, autre mythe. La problématique de la mondialisation au plan culturel doit être posée en termes de lecture et de projet politique, le postulat étant de ne jamais dissocier projet politique démocratique et reconnaissance du pluralisme culturel. Comment ordonner la diversité culturelle au plan identitaire, religieux, linguistique, dans le cadre d’un projet d’organisation de la Société de nature démocratique, et cela afin d’éviter l’irrédentisme culturel et communautariste, le vecteur étant l’information et la communication ? Comment, sur la base du principe de démocratie, articuler la question du rapport à l’Autre qui devient, par les techniques de communication, non plus abstrait et lointain mais lisible et présent ? Cela nécessite de veiller à ce que chacun puisse exprimer au plan individuel ou collectif son identité sans pour autant que l’Autre se sente menacé et agressé et adopte alors une réaction de rejet et d’hostilité.

Comment, en conséquence, construire une identité relationnelle et non une identité refuge qui serait synonyme d’agression, et permettre de communiquer avec l’Autre pour apprendre à cohabiter culturellement ?

Un tel projet politique fondé sur le postulat de l’altérité culturelle implique divers éléments :

la reconnaissance du caractère hétérogène et multiculturel de nos sociétés et le refus d’un modèle communautariste au plan mondial,

le rejet des représentations idéologiques dominantes exclusivement blanches véhiculées par la modernité occidentale,

le respect des identités linguistiques et culturelles. Prenons garde à ce niveau au sentiment de dépossession identitaire et de perte des repères, vécu par certaines populations principalement dans les pays les plus pauvres, et qui sont envahis par une culture qui n’est pas la leur. A défaut, le besoin d’identité peut resurgir violemment comme en témoigne l’Iran de 1979 alors considéré comme le plus « moderne » des Etats arabes : la négation identitaire et culturelle constituera le terreau de la révolution fondamentaliste musulmane iranienne.

le refus de toute hiérarchie entre les cultures : admettre l’égalité des cultures, des identités, des informations pour cohabiter avec l’Autre. Cet Autre, en matière de communication, est un récepteur qui n’est ni neutre ni passif. Ce récepteur doit être traité à égalité et avec dignité par l’émetteur. A titre d’exemple, la chaîne d’information Al Jazira rompt le monopole mondial de l’information détenu par CNN et oblige à prendre en compte la réaction des récepteurs, en l’espèce l’opinion publique des pays arabes et plus généralement, à être ouvert aux produits audiovisuels du sud actuellement totalement ignorés à l’exception de quelques produits venant des pays émergents tels le Brésil, l’Inde ou l’Egypte.

Promouvoir la laïcité, le lien religion et pouvoir politique constituant un facteur d’irrédentisme et désincarnant la culture de sa spécificité, cette culture politique se confondant avec la religion.

Permettre l’émergence d’une culture mondiale, plurielle, métissée, faite de passerelles d’emprunts mutuels ayant participé à la construction des identités et issue du patrimoine culturel mondial. A ce niveau, il ne faut pas confondre culture mondiale et mondialisation des industries culturelles concentrées entre les mains d’une culture dominante, celle de l’Occident et plus particulièrement des U.S.A. Là encore, le primat du politique doit jouer pour briser le couplage entre puissance technologique et économique, d’une part, et domination culturelle, d’autre part.

L’information et la communication ne peuvent être traitées comme des marchandises indifférenciées car véhiculant des représentations idéologiques culturelles et identitaires. Les industries culturelles et leur production doivent prendre en compte ces représentations idéologiques, identitaires et culturelles au plan des récepteurs, en l’espèce les consommateurs. L’enjeu politique est évident si on rappelle que depuis 10 ans, les plus importantes entreprises de communication du monde (AOL-Time Warner, Disney, Vivendi Universal) sont devenues les multinationales les plus puissantes à l’échelle mondiale, aucun autre secteur économique n’ayant produit une telle concentration parfaitement antinomique notamment au plan de la presse avec la conception démocratique d’une Société.

revaloriser le rôle de l’Etat chargé de préserver les identités, d’instaurer le dialogue entre cultures. Le « dépérissement de l’Etat » n’est certainement plus à l’ordre du jour. Il revient en effet au contraire à l’Etat, en affirmant son indépendance, de gérer et d’ordonner l’hétérogénéité culturelle non seulement au plan interne entre ses citoyens en réduisant les dérives identitaires, communautaires ou ethniques, mais aussi au plan mondial entre nations. Il appartient à l’Etat de préserver le caractère national d’une partie de ses industries culturelles refusant le pseudo libre échangisme avec les U.S.A. qui couvre dans les faits un protectionnisme et une volonté dominatrice synonyme de négation.

L’ensemble de ces propositions ont pour objet de tenter d’organiser la cohabitation culturelle et d’instaurer un minimum de compréhension réciproque nécessaire à toute perspective de projet politique ayant pour objet d’articuler démocratie et mondialisation.

A cet effet, l’Europe, lieu d’affrontements sanglants pendant des siècles des identités culturelles, offre aujourd’hui le premier champ mondial d’expérimentation de cohabitation culturelle : comment concilier la diversité culturelle entre les peuples d’Europe que tout sépare, des langues à l’histoire en passant par la religion représente un enjeu politique incontournable pour tout projet européen. L’Europe ne saurait s’inspirer des Etats-Unis qui ont éliminé une partie des habitants d’origine, les Indiens, et ont contraint nombre de leurs habitants à abandonner toute identité culturelle et linguistique au profit de la seule culture américaine. Comment construire en Europe une identité culturelle-relationnelle en opposition avec l’identité-refuge ? Comment intégrer nos patrimoines et traditions respectifs en respectant les diversités linguistiques et en élargissant les fondements de l’Europe chrétienne aux musulmans et orthodoxes ? Comment s’ouvrir à son voisin au sein de cette Europe, créer des espaces publics communs de rencontres, de communication et de débats ?

Comment valoriser l’atout que constitue l’apport culturel et civilisationnel de nos colonisations respectives espagnoles, portugaises, britanniques, françaises, hollandaises, belges, allemandes ou italiennes ? Comment penser cette diversité culturelle en termes de laïcité ? Le chemin est long comme en témoigne le récent conflit en ex Yougoslavie et celui persistant en Tchéchénie. Toutefois, aucune construction européenne ne pourra faire l’économie d’une réflexion sur la cohabitation culturelle et identitaire. L’exemple yougoslave nous rappelle tragiquement à cette réalité et atteste de l’importance de l’enjeu politique. Le conflit en ex Yougoslavie fut un conflit culturel comme de nombreux conflits. Chacun entendait défendre et revendiquer ses valeurs identitaires culturelles, son modèle de relation sociale, sa notion de liberté, égalité, religion, langue, culture et tradition. Cet exemple yougoslave démontre que l’affrontement des peuples pour des valeurs culturelles parfois rencontre mais souvent dépasse l’affrontement en termes d’intérêts économiques.

En conclusion, il existe un déficit de penser et de projeter les rapports entre êtres humains en terme d’identité, de culture, de cohabitation et de communication au plan de la mondialisation. Or, l’un des trois piliers de la mondialisation, hormis l’économie (globalisation), l’universalisme (édification d’une communauté internationale) est celui de la culture et de la communication. La F.I.D.H. entend mener avec le mouvement altermondialiste une réflexion à ce niveau consciente de l’enjeu politique majeur que constituent la culture et la communication. On ne peut penser la mondialisation sans mettre au cœur de tout projet le pilier culturel, faute de quoi le risque de montée et d’aggravation des affrontements à caractère culturel et religieux rendrait illusoire tout projet de coopération pacifique sur la planète.

Claude KATZ
Secrétaire Général de la F.I.D.H.

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