Accords Union européenne/Amérique Centrale et Union européenne/Pacte Andin :

03/11/2003
Rapport

L’Union européenne vient de conclure les négociations de deux accords de coopération et de
dialogue politique avec, d’un côté, les Républiques d’Amérique centrale, (Costa Rica, El
Salvador, Guatemala, Honduras, Nicaragua et Panama - 1er octobre 2003) et d’un autre côté,
les pays membres de la Communauté andine (Bolivie, Colombie, Equateur, Perou et
Venezuela - 15 octobre 2003).

L’Union européenne vient de conclure les négociations de deux accords de coopération et de
dialogue politique avec, d’un côté, les Républiques d’Amérique centrale, (Costa Rica, El
Salvador, Guatemala, Honduras, Nicaragua et Panama - 1er octobre 2003) et d’un autre côté,
les pays membres de la Communauté andine (Bolivie, Colombie, Equateur, Perou et
Venezuela - 15 octobre 2003).
Le 21 octobre 2003, la Commission européenne a rendu publics les textes de ces deux accords
et lancé en direction de la société civile un appel à commentaires à remettre avant le 3
novembre 2003.
Malgré le délai extrêmement limité imparti à cette consultation, la FIDH a tenu à répondre à
cette sollicitation étant donné l’importance de ces accords dans des régions touchées par de
graves violations des droits de l’Homme.
Les problématiques étant fortement similaires, nos commentaires porteront sur les textes des
deux accords. Nous nous réservons en outre la possibilité de compléter ce document, pour le
cas où une autre consultation serait organisée afin de recueillir, dans de meilleures conditions,
de plus amples commentaires sur ces accords.

Table des matières.

I. Le processus général de négociation et d’adoption des accords.
A. Une regrettable et inquiétante absence de consultation de la société civile
B. Une décevante absence d’études d’impact.

II. Les carences concernant la mise en oeuvre de la Clause des droits de l’Homme.

III. Articles des accords faisant l’objet d’une préoccupation particulière.

Annexes :

 FIDH : Pistes de reflexion sur la Clause droits de l’Homme à l’occasion du 4eme Forum de l’Union
européenne sur les droits de l’Homme, décembre 2002.
 communiqué de la FIDH du 25 août 2003, Colombie : Projet de loi propose une amnistie déguisée pour
les auteurs de crimes le plus graves.
 communiqué de l’Observatoire, programme conjoint de la FIDH et de l’OMCT du 19 septembre 2003 :
Lettre ouverte à M. Alvaro Uribe Velez, président de la République de Colombie.

I. Le processus général de négociation et d’adoption des accords.

A. Une regrettable et inquiétante absence de consultation de la société civile.

1) Critique du processus de négociation.
La FIDH déplore qu’aucune consultation de la société civile n’ait été mise en place dans le
cadre de ces négociations, hormis le présent appel à commentaires.
Cette lacune suscite notre inquiétude quant à la volonté des parties prenantes de réellement
mettre en oeuvre les articles consacrés à la participation de la société civile, en particulier
l’article 431 des deux accords.
Ce dispositif traduit les engagements pris par la Commission européenne notamment dans sa
communication du 7 novembre 2002 sur la participation des ANE (acteurs non étatiques) à la
politique communautaire de développement2. Elle y reconnaît l’importance particulière du
dialogue et de la consultation, relevant notamment que « la participation des organisations de la
1UE/Pacte andin :
Participation of organised civil society in co-operation
1. The Parties recognise the role and potential contribution of organised civil society in the co operation process
and agree to promote effective dialogue with organised civil society and its effective participation.
2. Subject to the legal and administrative provisions of each Party, organised civil society may :
(a) participate in the policy-making process at country level, according to democratic principles ;
(b) be informed of and participate in consultations on development and cooperation strategies and sectoral
policies, particularly in areas concerning them, including all stages of the development process ;
(c) receive financial resources, insofar as the internal rules of each Party so allow, and capacity building support
in critical areas ;
(d) participate in the implementation of co-operation programmes in the areas that concern them.
UE/Amériques centrale :
Participation of civil society in co-operation
1. The Parties recognize the role and potential contribution of civil society in the cooperation process and agree
to promote effective dialogue with civil society.
2. Subject to the legal and administrative provisions of each Party, civil society may :
(a) be consulted during the policy making process at country level according to democratic principles ;
(b) be informed of and participate in consultations on development and co-operation strategies and sectorial
policies, particularly in areas concerning them, including all stages of the development process ;
(c) receive financial resources, insofar as the internal rules of each Party so allow, and capacity building support
in critical areas ;
(d) participate in the implementation of co-operation programmes in the areas that concern them.
2COM/2002/598
société civile ou leur participation à des programmes sectoriels de contrôle conçus pour mettre en
œuvre des priorités du dialogue politique (San José) [...] a eu des résultats très positifs ».
La FIDH insiste sur le fait que la société civile doit être consultée dans le cadre du processus
d’élaboration des décisions tant au niveau de la coopération qu’à celui du dialogue politique.
Un article similaire à l’article 43 des deux accords (Sous le Titre III : Cooperation)
devrait donc être inséré sous le Titre II consacré au dialogue politique. Ainsi, la société
civile des parties à l’accord serait consultée et nourrirait de cette façon le dialogue
politique.
Il ne faudrait pas marquer un recul s’agissant de la place réservée à la société civile alors que de
nombreuses manifestations thématiques et sectorielles avaient été organisées dans le cadre du
Sommet de Madrid de mai 2002 et que plusieurs forums distincts ont déjà rassemblé différentes
composantes de la société civile européenne et latino-américaine. Il est ainsi regrettable que la
DG Commerce de la Commission européenne n’ait pas pu organiser des réunions d’informations
sur le déroulement des négociations comme cela fut le cas pour les accords UE/Mexique,
UE/Chili ou UE/Mercosur.

2) Critique de la présente consultation
La présente consultation se trouve en flagrante contradiction avec la communication de la
Commission européenne du 11 décembre 2002 intitulée « Vers une culture renforcée de
consultation et de dialogue » faisant suite au Livre blanc sur la gouvernance européenne, où
avaient été définis plusieurs « principes généraux et normes minimales applicables aux
consultations engagées par la Commission avec les parties intéressées »
La Commission s’engage en particulier dans ce document à :
 « prévoir un délai suffisant pour l’organisation et la réception des réponses aux invitation et
des contributions écrites. Elle doit s’efforcer de prévoir un délai d’au moins 8 semaines
pour la réception des réponses aux consultations publiques écrites... ».
 « assurer une publicité adéquate à des fins de sensibilisation et adapter ses moyens de
communication aux besoins du public cible. [...] les consultations publiques ouvertes
devraient être accessibles sur Internet et annoncées sur la page du « point d’accès unique » »
Il est clair que la présente consultation, sur deux accords d’une telle importance, dans un délai
de 8 jours ouvrables et par l’unique intermédiaire d’un lien internet est loin de satisfaire à ces
« normes minimales ». La FIDH ne peut se satisfaire d’une telle consultation.
A la suite de cet évident déficit de participation, nous sommes dans l’attente du « forum with
civil society representatives on the process and future of Central American integration »,
proposé par la Commission européenne, qui devrait avoir lieu à Bruxelles le 29 janvier 2004.
Comme l’expérience mexicaine l’a montrée, il est fondamental que ce forum associe largement
les autorités des pays concernés. L’objectif doit être l’établissement d’un dialogue réel et
constructif entre société civile et pouvoirs publics.
En outre, la FIDH appelle à ce qu’une initiative similaire soit prévue s’agissant de l’accord
entre l’UE et le Pacte Andin.
B. Une décevante absence d’études d’impact
En 1999, la DG Commerce de la Commission européenne a lancé une initiative intéressante
consistant à commander à des cabinets de consultants indépendants des « études d’impact »
(Sustainable impact assesment) des aspects économiques des accords UE/pays tiers sur le
développement durable.
La FIDH avait accueilli favorablement cette idée et encouragé la Commission à recourir
systématiquement à cette méthode à condition d’approfondir l’évaluation et de réellement
consulter la société civile. Nous préconisions que les conclusions de ces études soient
réellement prises en compte par les parties contractantes afin de permettre une éventuelle
réorientation des politiques menées.
Dans le cas de l’accord UE/Chili, un « Sustainable Impact Assesment (SIA) of the trade
aspects of negotiations for an Association Agreement between the European Communities and
Chile » a été présenté en plusieurs étapes à la société civile, donnant lieu à des échanges de
vues constructifs. La FIDH a toutefois déploré que cette étude soit menée en parallèle aux
négociations et non en amont.
Il était néanmoins légitime d’attendre que cette pratique s’affine et s’améliore. Hélas, force est
de constater que nous assistons à un retour en arrière puisque qu’aucune étude de ce genre n’a
été envisagée pour les deux nouveaux accords.
La FIDH recommande donc que de telles études de l’impact des deux nouveaux accords soient
initiées, en étroite collaboration avec les représentants de la société civile concernés.

II. Les carences concernant la mise en oeuvre de la « Clause droits de
l’Homme ».

Avant de se pencher sur des questions plus institutionnelles, la FIDH tient à attirer l’attention
de la Commission sur le fait que la situation des droits de l’Homme dans la majorité des pays
concernés par les deux accords est particulièrement alarmante. Sans vouloir ni pouvoir rentrer
dans une liste exhaustive de nos principales préoccupations, figurent ci-dessous les derniers
rapports que nous avons diffusés et qui s’ajoutent à nos nombreux communiqués (Cf.
www.fidh.org) :
 Droit à la santé à El Salvador, rapport de MDM-France et de la FIDH, à paraître
en novembre 2003
 Péru : Avances y retrocesos en la lucha contra la impunidad, rapport de la
FIDH, août 2003
 Colombia : memorias del seminario ¿Hacia donde va el Estado Colombiano ?,
organisé par la FIDH, CCAJAR, ILSA et CPDH
 Colombia : memorias del seminario, Estado, derechos humanos y poderes
locales, organisé par la FIDH, CCAJAR, ILSA et CPDH
 Colombie : Administration de la Justice ou de l’Impunité, rapport de
l’observatoire, programme conjoint de la FIDH et de l’OMCT, et de ASF France,
mars 2003
 Guatemala : les défenseurs pris pour cibles : des agressions massives,
récurrentes, impunies, rapport de l’Observatoire, programme conjoint FIDH et
OMCT, mars 2002
 Nicaragua : Les défenseurs des droits de l’Homme harcelés dans le contexte
électoral, rapport de l’Observatoire, programme conjoint FIDH et OMCT,
novembre 2001
Dans ce contexte difficile, la FIDH accueille favorablement le fait que « The Cooperation
Title is based on current cooperation and broadens coverage to include new areas of
cooperation such as human rights, [...] conflict prevention, [...] » (Title III, articles 8 et 9).
La FIDH se réjouit aussi de la mention explicite aux droits de l’Homme dans les objectifs du
dialogue politique3 entre les parties contractantes (article 3§2 du titre II).
Enfin nous saluons l’insertion, conformément à la pratique généralisée depuis 1995, d’une
« clause droits de l’Homme » stipulant que ces derniers constituent un « élément essentiel » de
l’accord (article 1er des deux accords).
Toutefois, nous déplorons l’absence de tout mécanisme de suivi et de mise en oeuvre concrète
de cette clause droits de l’Homme tel le « sous-comité sur les droits de l’Homme » qui vient
d’être mis en place dans le cadre de l’accord d’association liant l’UE au Maroc (21 octobre
2003).
Les accords liant l’UE et les Etats tiers prévoient généralement la possibilité pour les parties
d’établir un groupe de travail spécial en charge du suivi d’une question spécifique dans le cadre
de la mise en oeuvre de l’accord - tel que ce fut, par exemple, le cas pour l’accord UE/Chili de
novembre 2002, qui mentionnait à l’article 7 : « The Association Council may decide to set up
any Special Committee. »
Il semble que cette possibilité ne soit pas clairement laissée aux parties prenantes des deux
accords qui nous préoccupent. Certes les articles 52.3 (Pacte andin) et 52.4 (Amérique
centrale) prévoient l’institutionnalisation d’une consultation de la société civile. Celle-ci est
toutefois limitée aux domaines économiques et sociaux et dans le cas de l’Amérique centrale,
au Comité économique et social européen et le Comité Consultatif du Système d’Intégrations
Centreaméricaine (SICA), sachant que ces derniers ne représentent pas l’ensemble de la
société civile indépendante européenne et en particulier des ONG de droits de l’Homme. A cet
égard, la FIDH a proposé des critères permettant d’identifier les ONG d’intérêt général par
opposition aux intérêts partisans (privés ou publics). Se réferer à notre rapport : l’OMC et les
droits de l’Homme, pour la primauté des droits de l’Homme, pour la création d’un statut
consultatif des ONG dans http://www.fidh.org/ecosoc/rapport/2001/fr/omc320f.pdf
La FIDH appelle donc la Commission à prévoir dans les accords concernés la création d’un
« sous-comité » sur le thème des droits de l’Homme. Dans cette perspective, et au vu du
caractère innovant d’une telle démarche, la FIDH souhaiterait, dans une démarche
constructive, vous faire part de ses propres pistes de réflexions4 concernant la mise en œuvre
d’un tel sous-comité (voir document ci-joint).
3 Article 3-2. "The Parties agree that political dialogue shall cover all aspects of mutual interest and any other
international issue. It shall prepare the way for new initiatives for pursuing common goals and establishing
common ground in areas such as regional integration, poverty reduction and social cohesion, sustainable
development, regional security and stability, conflict prevention and resolution, human rights, democracy, good
governance, migration, and the fight against corruption, counter-terrorism, drugs, and small arms and light
weapons. It shall also provide a basis for initiatives to be taken and support efforts to develop initiatives,
including co-operation, and actions throughout the Latin American region."
4 La majeure partie de ces réflexions est issue d’un document, joint en annexe, et présenté par la FIDH à
l’occasion du 4ème Forum de l’Union européenne sur les droits de l’Homme en décembre 2002.

III. Articles des accords faisant l’objet d’une préoccupation particulière.

La FIDH souhaite exprimer en particulier sa préoccupation concernant deux dispositions des
accords. Elles souligne cependant que la présente analyse ne peut être considérée comme
exhaustive.

A. « Articles 46 : Cooperation on displaced, uprooted peoples and members of former illegal
armed groups »
La FIDH est extrêmement préoccupée par le contenu particulièrement contradictoire de
l’article 46 des traités. La FIDH considère inacceptable que les parties à l’accord traitent les
populations déplacées, victimes des graves violations des droits de l’Homme dans les mêmes
termes que les membres de groupes illégaux, responsables souvent de ces mêmes violations.
Au surplus, cet article qui prévoit la reinsertion des membres des groupes illégaux, ne
mentionne pas directement la nécessité de garantir la vérité et la justice concernant les
responsables des graves violations des droits de l’Homme appartenant à ces groupes.
Ceci est particulièrement préoccupant si l’on tient compte des évolutions récentes, notamment
en Colombie, où le gouvernement vient de présenter un projet de loi qui propose des peines
dérisoires pour les auteurs des crimes les plus graves (voir ci-joint communiqué de la FIDH
du 25/08/2003).
Dans le même sens, la FIDH est extrêmement préoccupée par l’évolution de la situation au
Guatemala, où le gouvernement a promis une compensation économique aux membres des
Ex-Patrouilles d’Action Civile (PAC), responsables de graves violations des droits de
l’Homme.

B. « Article 50 : Cooperation in the field of counter-terrorism »
La FIDH réaffirme une fois de plus le devoir des Etats de combattre le terrorisme. Toutefois,
la FIDH rappelle que ce combat doit se faire dans le strict respect des droits de l’Homme et
des libertés fondamentales.
Or, dans les articles 50 des traités, aucune disposition ne fait référence au nécessaire respect
des Droits de l’Homme dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. La FIDH tient à souligner
le caractère extrêmement dangereux de coopérer dans ces termes avec des Etats comme la
Colombie, dont le président a assimilé à plusieurs reprises les défenseurs des droits de
l’Homme à des groupes terroristes (Voir communiqué de l’Observatoire, programme conjoint
de la FIDH et de l’OMCT des 2/10/03 et 19/09/03).
En soutenant la lutte antiterroriste, sans préciser que cette dernière doit impérativement être
menée dans le plus strict respect des instruments internationaux de protection de droits de
l’Homme, l’UE risque de nuire gravement à la société civile.
La FIDH ne cesse depuis deux ans d’alerter la communauté internationale sur les risquesdésormais
confirmés- des moyens liberticides employés par les Etats pour atteindre cet
objectif et les dérives inhérentes à des relations internacionales uniquement perçues sur le
prisme de l’antiterrorisme.

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