Lettre ouverte aux membres du Conseil de Sécurité

La FIDH est fortement préoccupée par les propositions récentes du gouvernement des Etats-Unis

Lettre ouverte aux membres du Conseil de Sécurité

Le 9 juillet 2002

Votre Excellence,

La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), regroupant 116 organisations nationales de défense des droits de l’Homme dans plus de 90 pays, est fortement préoccupée par les propositions récentes du gouvernement des Etats-Unis qui visent à introduire, par le biais d’une résolution du Conseil de Sécurité, des dispositions tendant à exclure le personnel des opérations de maintien de la paix des Nations unies, ressortissant d’un Etat non partie à la Cour pénale internationale (CPI) de la compétence de tout tribunal international, y compris la CPI, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), ainsi que de tout tribunal national à l’exception de leurs propres juridictions.
Les démarches américaines pour obtenir une immunité totale pour ses ressortissants ont conduit au report de la résolution du Conseil de Sécurité nécessaire au renouvellement du mandat de la Mission des Nations unies en Bosnie-Herzégovine (UNMIBH).
Les inquiétudes américaines selon lesquelles la CPI serait un organe politique et partial sont infondées. En effet, le Statut de Rome prévoit de nombreuses mesures permettant d’éviter les poursuites entamées pour des raisons politiques et, selon le principe de complémentarité, la CPI ne sera compétente que si un Etat n’a pas la capacité ou la volonté de poursuivre au niveau national les auteurs présumés des crimes les plus graves.
Ainsi, les juridictions nationales conservent leurs responsabilités premières en matière de poursuites et de jugement.
Le 3 juillet 2002, lors d’une séance plénière exceptionnelle de la dixième et dernière session de la Commission préparatoire pour la CPI, 116 Etats ont exprimé leur opposition à la proposition des Etats-Unis parce qu’elle réviserait le Statut de Rome, nuirait gravement à l’efficacité et à l’indépendance de la Cour et menacerait même les objectifs des Nations unies1.
Ce même jour, le Secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, a adressé une lettre au Secrétaire d’Etat américain Colin L. Powell, indiquant que " la méthode suggérée dans la proposition [?] est contraire au droit conventionnel parce qu’elle obligerait les Etats qui ont ratifié le Statut de Rome à accepter une résolution remettant en cause le traité ".

La FIDH est préoccupée du fait que la procédure en cours au Conseil de Sécurité altère le processus de conclusion des traités et menace l’intégrité des traités déjà établis. La révision d’un traité international ne fait pas partie du mandat du Conseil de Sécurité tel que défini par la Charte des Nations unies, et constitue donc une violation du droit international. Comme le Secrétaire général Kofi Annan l’a déclaré dans sa lettre du 3 juillet : " Mon inquiétude est que le seul résultat tangible de l’adoption de la proposition par le Conseil [?] sera le discrédit dudit Conseil. Il n’est pas de notre intérêt commun de voir l’autorité du Conseil remise en cause ".
Le cadre politique et juridique de la paix et de la sécurité internationales ne doit en aucun cas être menacé par la recherche de compromis inacceptables qui conduiraient inévitablement à une justice " à la carte " pour les crimes les plus graves définis par le droit international que sont les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le génocide.
Dans une lettre envoyée le 3 juillet 2002 au Conseil de Sécurité, "la Commission Préparatoire fait appel aux Etats membres du Conseil de Sécurité pour faire en sorte que l’issue de ces événements respecte pleinement la lettre et l’esprit du Statut de Rome de la Cour pénale internationale".
La compétence de la CPI s’applique à tous de manière égale sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle, selon l’article 27 du Statut de Rome, qui affirme que même les chefs d’Etat ou de gouvernement ne seront pas exonérés de leur responsabilité pénale. En conséquence, toute exonération constitue une violation du Statut de Rome.
Le 10 juillet 2002, le Conseil de Sécurité tiendra une séance ouverte permettant à tous les Etats membres des Nations Unies de participer au débat sur l’extension du mandat de l’UNMIBH. La FIDH appelle, à cette occasion, tous les membres du Conseil de Sécurité à renouveler les positions exprimées et affirmées par leurs gouvernements lors de la session plénière du 3 juillet et à rejeter toute résolution susceptible de porter atteinte à l’intégrité du Statut de la CPI.

Je vous prie de croire, Votre Excellence, en l’expression de ma plus haute considération,

Sidiki Kaba
Président

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