Cour Pénale Internationale : Tous nos espoirs sont tournés vers la France

03/07/2002
Communiqué

Lettre ouverte à M. Jacques Chirac Président de la République

Monsieur le Président,

La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et la Ligue française des droits de l’Homme et du Citoyen (LDH) se félicitent de l’entrée en vigueur de la Cour pénale internationale (CPI) le 1er juillet 2002, organe indépendant destiné à réprimer les auteurs de crimes de génocide, de crimes contre l’Humanité et de crimes de guerre.

Comme vous le savez, l’instauration d’une telle juridiction était souhaitée par la FIDH et la LDH depuis longtemps, et nous nous sommes considérablement mobilisés ces dernières années à cette fin.

C’est pourquoi la FIDH et la LDH sont consternées par les actuelles démarches américaines cherchant à porter atteinte à l’intégrité de la CPI en voulant garantir, par tous les moyens, une immunité totale pour leurs nationaux. A présent, une nouvelle résolution américaine excluant de la compétence de la CPI l’ensemble des membres des opérations de maintien de la paix sera soumise au vote, ce mercredi 3 juillet 2002, devant le Conseil de Sécurité. Ces tentatives d’altération du Statut de la Cour, ratifié par 76 pays, sont inacceptables et choquantes.

A cet égard, la FIDH et la LDH se félicitent de l’opposition des Etats membres de l’Union européenne, et notamment la France, aux initiatives américaines similaires, à savoir l’établissement générique ou spécifique à certaines opérations de maintien de la paix d’une immunité des casques bleus. Cette opposition fut ferme en dépit du chantage exercé par les Etats-Unis dimanche dernier lors du Conseil de Sécurité : ils ont ainsi exprimé leur veto au renouvellement de la Misubh (mission des Nations Unies en Bosnie-Herzégovine) comme mesure de rétorsion aux positions défendues par les européens.

La FIDH et la LDH vous demandent ainsi qu’au gouvernement français de maintenir la plus grande fermeté face à cette offensive américaine destructrice, en particulier lorsque sera examiné le nouveau projet de résolution. Ce dernier, apparemment soutenu par le Royaume Uni " requiert, conformément à l’article 16 du Statut, que la CPI sursoie, pour une période de 12 mois, à toute enquête ou inculpation impliquant des officiels et personnels des Nations Unies, en exercice ou non, d’un Etat contributeur (non Partie au statut de Rome) pour les actes commis lors d’opérations établies ou autorisées par les Nations Unies et décide que pour de tels actes (...) seuls les Etats en question ont compétence pour instruire et juger ". Le deuxième paragraphe de la proposition américaine ajoute que " tous les 1er juillet de chaque année, le sursis (...) doit être renouvelé et étendu pour inclure les actes commis pendant la période postérieure de 12 mois, à moins que le Conseil de Sécurité n’en décide autrement (...) "

Cette proposition est inacceptable. Elle met en péril les principes fondamentaux du Statut de Rome et contrevient au droit international. En effet, la FIDH et la LDH soulignent que :

 la compétence de la Cour s’applique à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle. L’article 27 du Statut prévoit qu’aucune immunité ne sera reconnue et cela même pour les chefs d’Etat ou de gouvernement.
 seule la Conférence de révision qui aura lieu 7 ans après l’entrée en vigueur de la Cour, à savoir en 2009, aura mandat pour amender le Statut.
 en cas d’adoption de la résolution américaine, les Etats parties au Statut pourraient être contraints de violer leurs obligations conventionnelles. Ceci marquerait un précédent dangereux selon lequel le Conseil de Sécurité pourrait changer, par résolution, les dispositions d’un traité.

En outre, contrairement à ce que laissent entendre les États-Unis, la FIDH et la LDH souhaitent rappeler que le Statut de Rome prévoit en l’état tous les gardes fous nécessaires : en particulier, selon le principe de complémentarité, les Etats ont compétence première pour juger les auteurs de crimes visés par le Statut. La CPI n’exercera sa juridiction qu’en cas de défaillance ou d’absence de volonté politique d’un Etat d’entreprendre de telles procédures.

L’immense soutien apporté par la communauté internationale à l’établissement de la CPI reflète le sentiment qu’il ne saurait y avoir d’impunité pour les crimes les plus graves que sont le génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre. Les menaces et récentes tentatives contre la CPI exercées par les Etats Unis avec le soutien semble-t-il d’autres membres du Conseil de Sécurité font de la France le dernier rempart contre une atteinte choquante et indigne à l’espoir que les victimes du monde entier placent dans la Cour.

La FIDH et la LDH vous demandent instamment de vous opposer, y compris en faisant usage du droit de veto, à toute démarche qui aurait pour but, notamment, dans le cadre de résolutions du Conseil de sécurité, de limiter la compétence de la CPI telle qu’elle est définie dans son Statut.

Nous vous prions de croire, Monsieur le Président, en l’expression de notre haute considération.

Sidiki Kaba Président de la FIDH
Michel Tubiana Président de la LDH

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