Evénements à La Haye : Transition au Bureau du Procureur de la CPI

25/06/2021
Communiqué
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© ICC-CPI

1. Qui est Karim Khan, et comment est-il devenu le nouveau Procureur de la Cour pénale internationale ?

Vous avez peut-être entendu dire que la Cour pénale internationale (CPI) a récemment accueilli un nouveau Procureur. Si c’est le cas, vous avez bien entendu ! Karim Khan a été élu par l’Assemblée des États parties (AEP) au Statut de Rome le 12 février 2021 et a pris ses fonctions le 16 juin de cette année – marquant la fin du mandat de neuf ans de la Procureure Fatou Bensouda. Le processus qui a conduit à l’élection de Khan a été particulièrement complexe, ayant commencé en août 2019. Ce processus a été facilité par un Comité sur l’élection du procureur, assisté par un groupe d’experts nommés par le Bureau de l’AEP, qui a examiné 144 candidatures individuelles de candidats proposés par les États. Ce Comité avait d’abord établi une liste longue interne de 16 candidats, puis une liste courte publique de quatre candidats qualifiés. Des auditions publiques avec les quatre candidats présélectionnés ont eu lieu en juillet 2020, au cours desquelles les candidats ont répondu aux questions des États Parties et des organisations de la société civile. Les États parties n’ayant pas réussi à s’accorder sur un candidat de consensus [1] parmi les quatre candidats de la liste restreinte, il a été décidé d’allonger la liste et d’inclure les candidats de la liste longue qui étaient encore intéressés par la position de Procureur. Puisque cette décision s’écartait du processus électoral adopté par le Bureau de l’AEP en 2019, les organisations de la société civile, dont la FIDH, ont appelé les États parties à garantir un examen équitable et rigoureuse des candidatures et à organiser, a minima, des audiences publiques avec les nouveaux candidats. Finalement, les 9 candidats présélectionnés ont participé à des audiences publiques qui se sont tenues en décembre 2020. L’élection s’est tenue en février 2021 par vote secret, menant à l’élection de Karim Khan, qui a obtenu 72 voix sur les 123 États parties.

M. Khan est un avocat britannique ayant une longue expérience en tant qu’avocat de la défense dans des procès pénaux internationaux. Il a récemment occupé les fonctions de conseiller spécial et de chef de l’Equipe d’enquête des Nations Unies chargée de promouvoir la responsabilité des crimes commis par l’État Islamique (UNITAD) [2] . Il servira désormais au Bureau du Procureur (BdP) de la CPI pour un mandat non renouvelable de neuf ans.

2. Je vois, merci, c’était utile. Mais alors, comment et par qui le Procureur est-il élu ?

L’Assemblée des États parties, qui est le principal administrateur et le corps législatif de la CPI, est responsable de l’élection du Procureur, du Procureur adjoint et des juges. Bien qu’elle ne soit pas l’un des quatre organes de la Cour (qui comprend la Présidence, le Bureau du Procureur, les Chambres et le Greffe), l’AEP est un corps composé de représentants des États qui ont ratifié le Statut de Rome, le traité qui a créé la CPI. L’AEP représente la fonction d’organisation internationale de la CPI, statut qu’elle possède en plus de celui de tribunal. Compte tenu de cette qualité hybride de la CPI, il est essentiel que ce processus électoral par les États parties soit aussi transparent et fondé sur le mérite que possible, afin de garantir que le Bureau du Procureur reste impartial et entièrement indépendant.

3. Attendez, c’est quoi le Bureau du Procureur ?

Le Bureau du Procureur est un organe indépendant de la Cour pénale internationale, chargé de mener des examens préliminaires, des enquêtes et des poursuites pour les crimes relevant de la compétence de la Cour, à savoir les crimes de génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre et le crime d’agression. L’ « indépendance » du BdP signifie qu’il est le seul organe de la CPI ayant le pouvoir de sélectionner les situations nécessitant une enquête, et qu’il doit le faire sans suivre d’instruction donnée par d’autres organes de la Cour ou des acteurs extérieurs. Le Bureau du Procureur est dirigé par le Procureur et le Procureur adjoint et est soutenu par le travail de 380 membres du personnelde plus de 80 nationalités. M. Khan est le troisième Procureur de la CPI, après l’Argentin Luis Moreno Ocampo (2003-2012) et la Gambienne Fatou Bensouda (2012-2021).

4. Ok, maintenant que j’ai rattrapé mon retard, que signifie cette transition pour les décisions prises par la Procureure sortante Bensouda ?

Le BdP mène actuellement 6 examens préliminaires et 14 enquêtes formelles. Au cours de ses derniers mois en tant que Procureure, Mme. Bensouda a annoncé le début d’une enquête formelle sur les crimes présumés commis en Palestine depuis juin 2014, la conclusion de l’examen préliminaire sur les situations en Ukraine et au Nigeria, qu’elle a déclaré être mûres pour une demande formelle d’autorisation d’ouverture d’une enquête, et la demande d’autorisation d’ouverture d’une enquête sur la situation aux Philippines. M. Khan reprendra maintenant là où Bensouda s’est arrêtée et veillera à la poursuite ou à la conclusion des examens préliminaires, des enquêtes et des poursuites en cours.

5. Alors, quels sont les principaux défis dont Karim Khan héritera en tant que Procureur ?

La Procureure Bensouda laisse derrière elle un ensemble de politiques et de stratégies, notamment la politique sur les crimes sexuels et sexistes adoptée en 2014, et un BdP avec une indépendance et une portée renforcées par l’ouverture d’enquêtes dans des régions ou pays où la pression politique et l’opposition sont intenses, comme l’Afghanistan et la Palestine. M. Khan héritera d’un éventail de défis auxquels le BdP a été confronté ces dernières années, en particulier ceux concernant :
 La longueur souvent critiquée des examens préliminaires, en particulier de ceux qui ne débouchent pas nécessairement sur des enquêtes, des mises en accusation ou des réparations pour les victimes.
 L’impact des restrictions budgétaires sur les décisions d’un BdP sous-financé.
 La dépendance de la CPI vis-à-vis de la coopération et du soutien encore insuffisants des États, et le risque de menaces et d’attaques contre le BdP de la part d’États s’opposant à des enquêtes qui viseraient potentiellement leurs ressortissants, comme l’illustrent les actions adoptées dans le contexte de la campagne d’intimidation et d’attaques de la précédente Administration américaine contre la CPI et son personnel, finalement levées par l’actuelle Administration Biden.
 L’inquiétude généralisée concernant l’efficacité globale du BdP, notamment au vu du nombre limité d’actes d’accusation et de condamnations depuis la création de la Cour [3] .

M. Khan a reconnu certains de ces défis dans son discours de prestation de serment, au cours duquel il a expliqué que « l’ouverture d’examens préliminaires, la demande d’autorisation ou l’ouverture d’enquêtes est un début, mais comme nous le disons en anglais, « the proof of the pudding is in the eating » [4]. Nous devons être performants lors du procès ». De plus, M. Khan hérite maintenant de la responsabilité de prendre des décisions concernant des situations et des affaires particulièrement sensibles, et de la nécessité urgente de demander un budget opérationnel qui réponde à l’augmentation du nombre d’enquêtes et d’affaires du Bureau du Procureur. Dans son discours, M. Khan a souligné que « l’architecture du Statut de Rome est une promesse faite à l’avenir que demain ne sera pas nécessairement aussi sombre et triste qu’hier ».

Dans une lettre envoyée au Procureur Khan par la FIDH et 47 de ses organisations membres le 23 juin dernier, nous avons également souligné l’importance de revoir la composition du personnel du Bureau du Procureur pour s’assurer que les besoins linguistiques et géographiques nécessaires soient présents dans l’expertise du personnel, pour garantir un équilibre entre les genres dans les différentes équipes du Bureau, et de promouvoir le rôle du Bureau du Procureur dans la communication et l’engagement avec les victimes. Le Procureur Khan n’est pas le seul à avoir été récemment élu à la CPI, puisque six nouveaux juges ont également prêté serment le 10 mars 2021. La FIDH a publié un rapport « À qui la Cour appartient-elle ? Manuel judiciaire sur les droits des victimes à la Cour pénale internationale » le 4 juin 2021, qui fournit des recommandations clés pour les Chambres sur la meilleure façon d’exercer leur devoir de mise en œuvre effective et significative des droits des victimes à la CPI.

6. Compte tenu de ces défis, la société civile peut-elle jouer un rôle dans cette période de transition ?

La société civile a traditionnellement joué un rôle important dans la collecte d’informations pouvant contribuer au travail d’enquête du Bureau du Procureur. Les ONG ont également souvent fait office de passerelle entre les différents organes de la Cour et les survivants des crimes. Ainsi, au cours des deux dernières décennies, la société civile a acquis des connaissances inestimables sur la façon dont la justice internationale, en particulier le travail de la CPI et du Bureau du Procureur, est perçue dans les pays relevant de la juridiction de la Cour. La société civile peut donc contribuer aux réflexions sur le mandat de Mme Bensouda en tant que Procureur, notamment en donnant un aperçu des succès, des revers et des recommandations issus des dialogues centrés sur les victimes. Dans ce contexte, la FIDH a récemment soumis une lettre au Procureur Khan avec de brèves recommandations concernant les défis mentionnés ci-dessus auxquels il sera confronté tout au long de son mandat. En outre, la FIDH réalise actuellement un bilan pour examiner les progrès et les revers du Bureau du Procureur au cours des neuf dernières années. Cette recherche sera publiée sous la forme d’une série de trois notes, chacune d’entre elles se concentrant sur un domaine clé :
 1. Les enquêtes et poursuites en matière de crimes sexuels et basés sur le genre (CSBG), publiée le 18 juin 2021,
 2. Le travail effectué pendant les phases d’examen préliminaire ; et
 3. La stratégie et sa mise en œuvre concernant la sensibilisation des victimes et des communautés affectées.

Le rapport complet sera présenté à l’occasion de la 20ème Assemblée des États parties en décembre 2021. Ces documents n’examineront pas seulement le travail du Bureau de Bensouda, mais feront également des recommandations spécifiques que le nouveau Procureur, Karim Khan, pourra mettre en œuvre pour aller de l’avant.

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