1/ Où en est-on du mandat des juges de la Cour pénale internationale (CPI) ?
Il y a aujourd’hui 18 juges qui siègent à la CPI. Mais en mars 2021, les mandats de six d’entre eux arriveront à terme. Ces sièges vacants doivent être pourvus, c’est pourquoi des élections sont prévues en décembre 2020 qui permettront de décider quel·les candidat·es ont les meilleurs profils pour devenir les nouveaux juges de la CPI.
2/ À qui revient la décision de nommer les nouveaux·elles juges ? Et quelle est la durée de leur mandat ?
Étant donné que la CPI a été créée par des États, il est naturel que ce soit les États parties au Statut de Rome qui nomment et élisent les nouveaux·elles juges. La nomination et le vote auront lieu lors de l’Assemblée annuelle des États parties au Statut de la CPI qui se tiendra à New York du 7 au 17 décembre 2020. Toutefois, des discussions sont en cours en vue d’un possible changement de date et de lieu, du fait des effets de la pandémie de COVID-19 et des répercussions que peuvent avoir les sanctions américaines sur les hauts fonctionnaires de la CPI et sur celles/ceux « qui leur apportent un soutien matériel ». Mais ça, c’est une autre histoire...
Une fois élu·es par les États parties, les nouveaux·elles juges occuperont leur fonction pour une durée non renouvelable de neuf ans. La date exacte à laquelle chaque juge commencera son nouveau mandat en 2021 n’est pas encore fixée, car elle dépend de la « date de fin de mandat » à laquelle les juges quitteront leur fonction, elle-même conditionnée par le volume des affaires en cours qui leur restera à traiter.
3/ Donc, en résumé, les élections devraient se tenir en décembre 2020… mais quelles sont les étapes avant les élections ?
Tout a commencé avec la période de présentation des candidatures pendant laquelle les États parties ont la possibilité de proposer des candidat·es. Cette période est la première phase d’un processus qui s’est terminé le 14 mai 2020. Au total, 20 candidat·es du monde entier ont été désigné·es par les États parties (en réalité, 22 ont été proposé·es, mais deux candidatures ont depuis été retirées).
Au terme de la période de présentation des candidatures, la Commission consultative pour l’examen des candidats au poste de juge (ACN, Advisory Committee on Nominations of Judges en anglais, ou "Commission") a évalué les qualifications des 20 candidat·es. Dans cette optique, l’ACN a notamment mis au point un questionnaire destiné aux candidat·es, leur a demandé des justificatifs de leurs expériences et savoir-faire, et a vérifié leurs références. En gros, l’ACN voulait s’assurer de la véracité des données sur leur curriculum vitae ! Les candidat·es ont eu la possibilité de montrer leur intérêt pour le poste et ce dont ils/elles étaient capables au cours d’un entretien avec les membres de l’ACN.
4/ Ce processus semble long mais utile. Connaissons-nous les résultats de l’évaluation ?
Effectivement ! Ce processus est une étape décisive dans la nomination et l’élection des juges puisque l’ACN, créée en 2010, évalue en toute indépendance l’aptitude des candidat·es et s’assure que seul·es celles/ceux qui réunissent les qualifications les plus élevées occupent la fonction de juges à la CPI.
Et oui, nous pouvons avoir accès aux conclusions de l’ACN. Après avoir terminé ses évaluations, la Commission a compilé ses résultats dans un rapport qui a récemment été rendu public et partagé avec les acteurs concernés. Vous pouvez consulter les résultats ici.
5/ Oh ! Et quels sont les points forts de ce rapport ?
Le rapport nous éclaire sur les aptitudes (ou inaptitudes) de chaque candidat·e à la fonction de juge au sein de la CPI. L’ACN a décidé de classer les candidatures selon leurs aptitudes dans quatre catégories : les candidatures les plus qualifiées (candidat·es très performant·es et qui ont à leur actif de nombreuses expériences et connaissances pertinentes pour le poste), les candidatures qualifiées (candidat·es très performant·es mais à qui il manque un petit plus pour entrer dans la catégorie supérieure), les candidatures qui peuvent officiellement prétendre au poste (elles ont été choisies avec raison, car sur le papier les candidat·es remplissent les critères minimums, mais ne sont pas les plus performant·es pour accéder à la fonction de juges à la CPI), et enfin les candidatures non qualifiées (on peut facilement deviner ce que renferme cette catégorie).
La bonne nouvelle est que l’ACN a déterminé que la majorité des 20 candidat.es étaient qualifié.es (trois) ou hautement qualifié.es (dix), et qu’aucune ne faisait partie de la catégorie des non qualifié.es. Il convient également de noter que sur neuf femmes candidates, sept ont été jugées hautement qualifiées par la Commission !
6/ Selon quels critères les membres de la Commission ont-ils choisi les candidatures les plus qualifiées pour le poste ?
De la même manière que la CPI se doit d’être un symbole d’intégrité et d’impartialité, il en est de même pour les juges qui la composent. C’est pourquoi les États parties doivent s’appuyer sur des qualifications précises au moment de décider qui sera désigné juge.
Tout d’abord, les candidat·es qui sont proposé·es doivent « entrer » dans l’une des deux catégories, appelées « liste A » ou « liste B ». Pour répondre aux critères de la liste A, il faut pouvoir justifier d’une expérience en droit pénal et en procédure pénale comme juge, procureur·e ou avocat·e. En revanche, pour entrer dans la catégorie liste B, il faut montrer que l’on a des connaissances dans d’autres domaines du droit international qui sont pertinents pour la fonction, comme le droit international en matière de droits humains. Les candidat·es doivent également posséder une parfaite maîtrise d’une des langues de travail de la Cour (l’anglais ou le français). Ces qualifications sont les critères minimum requis. D’autres domaines d’expertise, comme les violences sexuelles et à caractère sexiste, les droits des enfants et les droits des victimes, seront un plus.
Enfin, un État partie doit toujours s’assurer que les candidat·es qu’il choisit ont une moralité irréprochable et qu’il les nommerait aux plus hautes instances judiciaires de son pays. Cela signifie que le/la candidat·e ne doit avoir été impliqué·e dans aucune faute grave qui remettrait en cause sa moralité, notamment dans des affaires de harcèlement sexuel ou d’intimidation de personnel. Les États sont tenus de toujours élire des candidat·es qui satisfont à ces critères. Si ce n’est pas le cas, la qualité du travail de la Cour en pâtira, ce qui portera atteinte à sa crédibilité, et brisera la confiance dans la Cour et dans ses décisions.
7/ Donc, en gros, les juges sont élu·es en fonction de leur mérite ?
Eh bien, en théorie oui, mais en pratique ce n’est malheureusement pas toujours le cas.
Dans certains cas, il arrive que des États préfèrent ignorer l’expérience de candidat·es et nommer/élire une personne en raison de leurs accointances politiques, de marchandage de voix, de leur amitié, ou pour tout autre motif personnel. Si tel est le cas, cela risque de nuire au mandat du/de la futur·e/ juge et aux décisions qu’il/elle prendra une fois élu·e. L’on considérera qu’ils/elles ne sont pas guidé·es par l’équité et la juste application de la loi, mais éventuellement par des intérêts personnels. C’est pourquoi le processus de présentation des candidatures au niveau national, mais aussi le reste du processus électoral, devraient systématiquement impliquer d’autres parties prenantes, dont la société civile !
La société civile, de manière très investie, tente de s’assurer que les États parties prennent uniquement en considération le mérite des candidat·es dans la nomination et l’élection des juges (la tâche n’est pas simple, n’est-ce pas ?!).
8/ Bon, espérons que les États parties seront à l’écoute. D’autre part, comment faire pour éviter de se retrouver avec une ribambelle de juges qui ont tous·tes les mêmes formations, âges, cultures, sexes, etc ?
Même si la CPI n’impose aucun quota en soi, les États parties doivent respecter ce que l’on appelle « les nombres de vote minimum requis » (MVR, minimum voting requirements en anglais), qui ont été créés pour favoriser une certaine diversité parmi les juges. Grâce à ces prérequis, le banc des juges de la CPI devrait toujours être composé : d’au moins neuf juges de la liste A et cinq de la liste B pour s’assurer que les compétences et les types d’expertise varient ; d’au moins six femmes et six hommes pour garantir la parité femmes-hommes ; et d’au moins deux ou trois juges originaires de tous les groupes régionaux pour respecter une représentation géographique équitable.
La CPI est censée être une « Cour mondiale », la diversité est donc un élément essentiel. Outre la diversité, les États doivent avoir à l’esprit que l’objectif n’est pas de placer leurs ressortissant·es sur le banc des juges, mais de nommer les personnes les plus compétentes et qualifiées.
9/ Quelle est la prochaine étape maintenant que le rapport de l’ACN a été rendu public ? Comment la société civile peut-elle jouer un rôle pour s’assurer que seul·es les candidat·es les plus qualifié·es seront élu·es ?
Maintenant que le rapport est sorti, l’Assemblée des États parties organise des tables rondes publiques – des discussions ouvertes où les États parties et d’autres acteurs concernés, notamment la société civile, auront la possibilité d’engager le dialogue avec l’ensemble des candidat·es, de leur poser des questions, de faire des commentaires, etc. C’est comme faire un entretien d’embauche en groupe et auquel le public peut assister (pas de pression, on est d’accord… ?). C’est une formidable occasion pour la société civile de poser des questions aux candidat·es sur leurs compétences et expérience (ou leurs lacunes), notamment concernant les droits des victimes et les crimes sexuels et basés sur le genre et, le cas échéant, de les interroger sur leur intégrité morale.
Mais ce n’est pas tout ! Les organisations de la société civile doivent également tenter d’engager le dialogue directement avec celles et ceux qui représentent leur pays. Elles peuvent les encourager à choisir des candidat·es uniquement sur leur mérite – notamment en votant pour des femmes qualifiées et des candidat·es qualifié·es provenant de régions sous-représentées. Enfin, ces organisations peuvent partager avec les représentant·es de leur État les réponses des candidat·es au questionnaire créé par la société civile, ou au moins les rendre plus visibles.
10/ Et donc, maintenant il ne reste plus qu’à attendre les tables rondes publiques !
En effet – mais nous ne devons pas nous reposer sur nos lauriers pour autant. Nous devons tous·es, y compris et en particulier les États parties, nous préparer à échanger avec les candidat·es.
Cela implique de revoir attentivement les informations que l’ACN a mises à notre disposition dans son rapport final et dans les questionnaires qu’elle a soumis aux candidat·es. En dehors de ces informations, des questionnaires supplémentaires préparés par des organisations de la société civile, dont la FIDH, ont été envoyés à l’ensemble des 20 candidat·es à la magistrature pour mieux évaluer leur vision, leurs qualifications et leur vision sur le droit pénal international. Les questions portaient non seulement sur l’expertise des candidat·es, mais avaient également pour vocation d’obtenir des réponses plus ouvertes concernant leur motivation, leur expertise en dehors de la sphère professionnelle, leur point de vue sur la prise en compte des questions de genre ou leur réaction face à des pressions politiques. Leurs réponses à ces questionnaires sont accessibles sur le site internet de la Coalition pour la CPI. C’est très intéressant, allez voir !
Lorsque le jour du vote sera venu, les États parties devraient pouvoir être en mesure de faire un choix éclairé.
Restez à l’écoute si vous voulez savoir ce qu’il ressortira de ces tables rondes !