Conflit Russo-Géorgien : 10 ans après, des victimes oubliées ?

Photo : © FIDH

Paris – La Haye – Tbilissi. Un mois après l’ouverture d’un bureau de la Cour pénale internationale (CPI) à Tbilissi, la FIDH et le HRIDC publient aujourd’hui un rapport sur les victimes du conflit russo-géorgien de l’été 2008. Dix ans après, elles continuent à subir les conséquences des crimes internationaux commis pendant le conflit. Alors qu’aucun des auteurs des crimes contre l’humanité commis n’a été poursuivi, les survivants de cette guerre continuent de souffrir au quotidien des enlèvements, détentions et extorsions de fonds dus à une ligne de démarcation mouvante et non reconnue internationalement. Alors que les autorités russes refusent désormais toute collaboration avec la CPI, les victimes de 2008 doivent-elles se résoudre à la précarité, l’insécurité et l’impunité ?

Du 26 juin au 4 juillet 2017, une mission FIDH / HRIDC s’est rendue dans une dizaine de villages géorgiens, à la suite de précédentes investigations1. 34 personnes rescapées du conflit ont été interrogées2. Les conclusions de la mission sont présentées ce matin à Tbilissi, en présence de la CPI, des autorités géorgiennes, d’associations de la société civile, et de représentants des victimes.

Le conflit de l’été 2008 avait été marqué par des attaques contre la population civile, caractérisées par des meurtres, transferts forcés de population, et des persécutions fondées sur des motifs d’ordre ethnique. Des attaques dirigées intentionnellement contre des soldats de la paix, des destructions de biens et des pillages avaient également été constatées. Selon une mission de l’Union Européenne, le conflit aurait fait 850 morts et plus de 100 000 déplacés internes.

Dix ans après, les conséquences de ce conflit et des graves crimes internationaux qui y furent commis continuent à se faire ressentir.

Pour les Géorgiens vivant à proximité de la région d’Ossétie du Sud, la ligne de démarcation (Administrative Boundary Line) entre le territoire sous le contrôle effectif des autorités d’Ossétie du Sud et le reste du territoire géorgien reste une source d’insécurité et d’angoisse permanente. Cette ligne de démarcation n’est pas suffisamment signalée et s’avère mouvante, puisque progressivement grignotée par les autorités ossètes de facto. Comme le remarquait une personne rencontrée par la mission d’enquête : « vous pouvez vous endormir en Géorgie et vous réveiller en Ossétie du Sud ». Dès lors, des éleveurs et fermiers géorgiens sont régulièrement arrêtés voire enlevés par les autorités de facto d’Ossétie du Sud et de Russie. Leur libération s’effectuant contre paiement. Rien qu’en 2016, 3273 personnes auraient ainsi été détenues pour avoir franchi les lignes de démarcation ossètes et abkhazes, dont 90 % en Ossétie du Sud. Certaines ont été lourdement condamnées.

Par ailleurs, les victimes rencontrées continuaient de vivre dans une précarité matérielle extrême. La destruction des habitations ou de moyens de subsistance (spoliation des champs et sources hydriques ; débouchés économiques fermés en territoire ossète) n’ayant pas donné lieu à des indemnisations conséquentes, beaucoup de victimes vivent aujourd’hui dans un grand dénuement, aggravé par leur âge souvent avancé.

Enfin, les perspectives de justice pour les victimes de 2008 se heurtent à l’absence de volonté de collaboration des autorités russes – qui ne mènent pas d’enquête effective sur les crimes de guerre commis à l’été 2008 et ne reconnaissent par la CPI. Toutefois, ces crimes ayant été commis sur le territoire géorgien, la CPI a pu se saisir de l’affaire, autoriser une enquête, et ouvrir un bureau dans la capitale géorgienne au début 2018.

Alors qu’à ce jour aucune inculpation n’a été prononcée, nos organisations demandent à la CPI de prioriser l’enquête sur la Géorgie ouverte il y a deux ans, et de lui allouer des ressources suffisantes afin de renforcer le travail d’enquête et de poursuite et de mettre en œuvre un stratégie adaptée de communication et de sensibilisation auprès des victimes et des communautés affectées. Nous demandons également aux autorités géorgiennes de bien vouloir procéder à des enquêtes et poursuites nationales effectives, en application du principe de complémentarité avec la CPI.

Enfin, nous demandons à ce que les victimes du conflit de 2008 soient correctement indemnisées et obtiennent des mesures de réparation adéquates.

Rappel : Le 27 janvier 2016, la CPI autorisait sa Procureure à enquêter sur la guerre ayant opposé Géorgie, Russie, et forces supplétives ossètes en été 2008. Il s’agissait de la première enquête de la CPI portant sur un conflit non africain. Les graves crimes de guerre et crimes contre l’humanité qui s’y seraient déroulés, ajoutés à l’absence d’enquête et de poursuite effectives au niveau national, avaient poussé la CPI à autoriser l’ouverture d’une enquête.

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