La FIDH se félicite de la saisine de la CPI, appelle la Présidence de la CPI à désigner une chambre préliminaire et demande au Procureur d’ouvrir immédiatement une enquête.
Pour rappel, la FIDH avait, dès le 13 février 2003, demandé au Procureur de se saisir proprio motu de la situation en République centrafricaine sur la base d’une mission internationale d’enquête [1] de la FIDH qui avait mis en lumière l’existence de plusieurs centaines de cas de viols, d’exécutions sommaires et de pillages systématiques lors de la tentative de coup d’Etat du général Bozizé d’octobre 2002, constitutifs de crimes relevant du champ de compétence de la Cour.
Sans méconnaître l’opportunité d’une telle saisine pour le chef de l’Etat à quelques jours des élections présidentielles et législatives prévues en février 2005, la FIDH considère cependant que l’implication de la CPI dans la situation en RCA est nécessaire à l’établissement d’une justice effective, indépendante et respectueuse des victimes et au droit à un procès équitable des suspects.
En effet, la FIDH considère qu’en dépit du procès ouvert devant la Cour criminelle de Bangui contre les dirigeants de l’ancien régime, le gouvernement centrafricain n’a ni la volonté ni la capacité de rendre justice aux victimes des crimes commis en RCA, au regard des critères définis à l’article 17 du Statut de la CPI [2] :
l’appareil judiciaire en totale déliquescence ne permet pas une justice indépendante et effective en RCA ;
aucune poursuite judiciaire n’a été engagée contre de présumés responsables de crimes de guerre dans les rangs des ex-rebelles dirigés par le général Bozizé ; et enfin,
le nouveau régime n’a toujours pas adopté de loi nationale visant à l’harmonisation de la législation centrafricaine avec les dispositions du Statut de la CPI, en particulier concernant la définition des crimes et la coopération entre les juridictions nationales et la Cour.
Cette analyse est corroborée par le procès en cours des ex-dignitaires du pays qui présente les aspects d’une justice expéditive, non conforme au droit à un procès équitable reconnu par les instruments internationaux de protection des droits de l’Homme.
La FIDH rappelle en effet que, selon l’arrêt de la chambre d’accusation de la Cour d’appel de Bangui du 16 décembre 2004, « les crimes de sang, viols, assassinat, destruction des biens mobiliers et immobiliers, les pillages ... consécutifs aux évènements de 2002 reprochés à Ange Felix PATASSE, Jean Pierre MBEMBA et ses hommes, Paul BARIL, Martin KOUMTAMADJI alias Abdoulaye MISKINE et ses hommes, Lionel GAN-BEFIO, Victor NDOUBABE et ses hommes et autres [...] relèvent de la compétence de la Cour pénale internationale ».
Ainsi, la FIDH insiste pour que l’activation par le Procureur de la CPI du système de justice pénale internationale permette la poursuite de tous les individus, tant « rebelles » que « loyalistes », notamment ceux dont le degré de responsabilité pour les crimes commis semble le plus élevé.
Elle rappelle que conformément au principe de complémentarité inscrit dans le Statut de la CPI, la RCA garde la responsabilité première de poursuivre les individus responsables, y compris ceux faisant partie des ex-rebelles commandés par le général Bozizé. Ce n’est que par l’action conjuguée indépendante et impartiale des justices pénales nationales et internationale que les victimes des crimes commis en RCA pourront enfin être entendues et obtenir réparation de leur préjudice.
L’évocation d’une possible justice en RCA est également salutaire au vu des nombreux cas de violations des droits de l’Homme qui continuent d’être commises en toute impunité par les forces de l’ordre depuis l’arrivée au pouvoir du général Bozizé.
Une mission internationale d’enquête de la FIDH présente à Bangui du 11 au 19 décembre 2004 a pu constater l’existence courante d’exécutions extrajudiciaires, pratiquées avec pour le moins l’accord implicite des plus hautes autorités de l’Etat au motif de la lutte contre la criminalité et l’insécurité. Expliqués par le manque de moyen de la police et par l’inefficacité de la justice, ces assassinats officiels sont maladroitement couverts par l’argument de la légitime défense.
Dans son rapport trimestriel de novembre 2004, le Bureau de l’Organisation des Nations Unies en Centrafrique (BONUCA) avait déjà stigmatisé ce phénomène en indiquant avoir « reçu de nombreux témoignages et informations faisant état de cas de violations du droit à la vie, d’exécutions sommaires et extrajudiciaires ».
La FIDH demande au procureur de la CPI :
d’ouvrir immédiatement une enquête sur les crimes internationaux commis en RCA depuis le 1er juillet 2002 tant par les ex-forces loyalistes de Patassé que par les ex-troupes rebelles du général Bozizé ;
d’informer la présidence de la Cour de la saisine de l’Etat centrafricain afin qu’elle désigne une chambre préliminaire sur la situation en RCA, conformément aux normes 45 et 46.2 du Règlement de la Cour.
La FIDH rappelle aux autorités centrafricaines :
leur engagement de proposer au plus vite, par le biais de la réforme du Code pénal et du Code de procédure pénale, une loi harmonisant le droit interne avec le Statut de la CPI, y compris la définition des crimes de la compétence de la Cour, les principes généraux du droit pénal international, y compris l’abolition de la peine de mort et les dispositions concernant les obligations de coopération entre les différents organes de la Cour et la RCA ;
leur obligation de coopérer pleinement avec la Cour pénale internationale afin de permettre la tenue des enquêtes sur le territoire de la RCA et de garantir les droits des victimes notamment leur droit de participer aux procédures devant la CPI ;
leur obligation de permettre l’exercice d’une justice indépendante et effective dans le respect des normes internationales de protection des droits de l’Homme.
La FIDH recommande aux autorités françaises, à l’Union européenne, au PNUD et au BONUCA d’intervenir auprès du chef de l’Etat centrafricain :
pour condamner officiellement et publiquement les exécutions extrajudiciaires et entreprendre toutes démarches utiles pour faire cesser immédiatement ces pratiques ;
pour réorganiser l’Office central de répression du banditisme (l’OCRB) paraissant l’un des sièges de ces pratiques ;
pour faire diligenter sans délai des enquêtes sur toutes les morts suspectes intervenues à l’occasion d’interpellations, notamment celle de Stéphane LONKOYE, réfugié congolais en RCA, mort le 1er décembre 2004 et approfondir l’enquête sur les complicités et les commanditaires des crimes qui auraient été commis par le sous-lieutenant DOGO.