Intervention de Monsieur Sidiki Kaba, Président de la FIDH

Première Assemblée des Etats Parties à la Cour pénale internationale

Mesdames,
Messieurs,

J’ai l’honneur de prendre la parole au nom de la FIDH et de ses 116 ligues pour exprimer de vive voix le soutien total de notre organisation à la CPI et sa ferme détermination à la défendre.

La FIDH saisit cette nouvelle occasion qui lui est offerte pour saluer tous les acteurs - société civile, OIG et certains Etats - pour les efforts communs déployés avec obstination et pugnacité qui ont abouti à l’adoption du Statut de Rome le 17 juillet 1998 et à son entrée en vigueur le 1er juillet 2002 après une campagne exemplaire de ratification qui a atteint le chiffre peu espéré de 79 Etats parties en quatre ans.

La FIDH avait magnifié en son temps l’évènement qui est historique car, pour la première fois, l’humanité se dote d’une juridiction pénale permanente pour juger les auteurs des crimes les plus graves à savoir les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, le génocide et le crime d’agression, une fois qu’il sera défini.

Je voudrais sincèrement féliciter les délégations de cette historique Assemblée des Etats Parties pour avoir réussi la prouesse, dans le temps qui leur est imparti, d’adopter les textes difficiles aux enjeux complexes qu’ils avaient à examiner et tout particulièrement l’Accord sur la procédure d’élection des juges. Un échec de ces négociations dans le contexte actuel de vive hostilité des Etats-Unis aurait mis un sévère coup à la crédibilité de la Cour.

La Cour est en danger !

Depuis le 17 juillet 1998, date à laquelle les Etats Unis ont voté contre le Statut, ces derniers ont réussi à construire un arsenal juridique et politique complexe visant à garantir que jamais leurs nationaux seraient poursuivis ou jugés par la CPI.

Analysé dans sa globalité, cet arsenal ne saurait être distingué des moyens mis en œuvre par les Américains pour lutter contre le terrorisme.

Les démarches américaines visent à donner carte blanche aux dirigeants militaires et civils américains, impliqués dans le contre-terrorisme et autres opérations militaires sur des théâtres extérieurs, en leur octroyant une garantie - en amont - que tout " débordement " ou " dommage collatéral " sera couvert par une immunité absolue empêchant toute poursuite pénale ailleurs que devant les juridictions américaines.

Les autorités américaines entendent ainsi se donner les moyens diplomatiques, militaires et économiques de leur campagne anti-CPI. Ils ont déjà réussi à signer des accords d’impunité sur la base notamment d’une interprétation erronée de l’article 98 du Statut de Rome avec un certain nombre de pays dont le Tadjikistan, la Roumanie, l’Argentine, le Timor oriental et la Colombie. Ces accords violent l’esprit et la lettre du Statut.

L’énorme défi auquel nous sommes confrontés aujourd’hui est l’universalité, l’effectivité et l’indépendance de la Cour.

Pour relever ce défi, la FIDH lance un appel solennel et exhorte :

 les Etats qui ne l’ont pas encore fait, à s’engager dans le processus de ratification du Statut de Rome et à prendre toutes les mesures nécessaires pour harmoniser leurs législations internes. Nous pensons bien sûr aux Etats du sud et de l’est de la Méditerranée, aux pays du continent asiatique et à l’Afrique, afin que la Cour soit réellement universelle et soit active dans les continents les plus déchirés par les conflits.

 les Etats qui ont succombé aux pressions américaines, à dénoncer les accords bilatéraux récemment négociés. Ces accords, conclus dans le sens de l’interprétation américaine de l’article 98, conduiraient à un résultat absurde et déraisonnable en permettant à des Etats non parties de violer le principe fondamental du Statut de Rome selon lequel quiconque - quelle que soit sa nationalité - commet un crime de génocide, des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre sur le territoire d’un Etat partie, est soumis à la compétence de la Cour. Un Etat concluant un tel accord sacrifierait la perspective d’un monde plus juste sur l’autel d’intérêts opportunistes et à courte vue.

 les Etats qui ont su, jusqu’à ce jour, résister aux démarches américaines, à ne pas céder aux pressions et aux intimidations en répondant collectivement dans le cadre des organisations régionales en vue de faire front commun contre une CPI à deux vitesses. Cet appel s’adresse en particulier aux Etats membres de l’Union européenne.

 les Etats-Unis, à reconsidérer leur position vis-à-vis de la CPI. L’Histoire donnera tort au Président Bush. Nous appelons solennellement la démocratie américaine à rejoindre le camp de plus en plus nombreux d’Etats qui oeuvrent pour la construction d’un ordre juridique international et en faveur de la lutte contre l’impunité.

Ces défis exigent à la fois une mobilisation sans faille de la communauté internationale - qui est celle des Etats en premier - et, une vaste mobilisation citoyenne - qui est celle des femmes et des hommes - pour que l’espoir légitime des victimes d’une justice impartiale et indépendante ne soit pas brisé.

La CPI est une éclatante victoire pour l’ensemble des défenseurs des droits de l’Homme qui ont apporté leur soutien tout au long du processus d’élaboration du Statut et de mise en œuvre de la Cour. Leur mobilisation n’aura pas été vaine.

Pour la FIDH, la démonstration est faite, avec la création de la Cour, que le défi de la mondialisation de la justice est en passe d’être relevé.

La FIDH, n’en est que plus déterminée, afin que la voix des victimes soit entendue et que justice leur soit rendue. Pour elles, au premier chef, la Cour doit vivre.

Je vous remercie.

Sidiki Kaba
Président de la FIDH

Lire la suite