La FIDH dénonce l’inertie de la Cour pénale internationale

Retour d’une mission internationale d’enquête en République centrafricaine.

Un mission internationale d’enquête de la FIDH, menée par son président Sidiki Kaba, s’est rendue à Bangui, République centrafricaine (RCA), du 10 au 17 juin 2006.

La délégation de la FIDH, accompagnée par son organisation affiliée, la Ligue centrafricaine des droits de l’Homme, a rencontré le chef de l’Etat, François Bozizé, ainsi que des représentants du gouvernement, des autorités judiciaires, des agences onusiennes et de la société civile.

« La situation des droits de l’Homme en RCA est extrêmement préoccupante. Le cycle de violences politiques et militaires ininterrompu dans ce pays depuis 2001 plonge la population civile dans la souffrance », a déclaré Sidiki Kaba au retour de la mission.

Les nombreuses offensives des rebelles du général Bozizé et les représailles des troupes loyalistes de l’ex président Ange-Félix Patassé entre octobre 2002 et mars 2003 ont fait un très grand nombre de victimes parmi la population civile. La FIDH a pu recueillir de nombreux témoignages d’exécutions sommaires, de viols, d’esclavage sexuel dont la responsabilité est imputée aux différents belligérants. Les victimes qui vivent pour la plupart avec le virus du Sida sont stigmatisées par le pouvoir et la population. Leurs recours en justice sont restés sans suite et elles n’ont bénéficié d’aucune indemnisation.

Aujourd’hui la population civile est tout aussi en danger. La situation sécuritaire est très préoccupante. Plusieurs rébellions se manifestent dans le nord et le nord est du pays. Celles-ci, semble-t-il manipulées et financées par les anciens partisans du régime de Patassé ainsi que par le pouvoir de Khartoum, enrôlent les ex « libérateurs » du général Bozizé exclus par ce dernier après sa prise de pouvoir et ont pour objectifs cumulés de renverser le pouvoir de N’djamena et de Bangui. Depuis septembre 2005, les rebelles ont attaqué plusieurs villes frontalières avec le Tchad, notamment Markounda, Kabo et Paoua, donnant lieu à des représailles de l’armée centrafricaine. La ville de Tiringoulou, au nord-est, est également le théâtre de violents affrontements entre l’armée régulière et le rebelles d’Abdoulaye Miskine. Ces diverses offensives sont perpétrées en grave violation des conventions de Genève de 1949, des exécutions sommaires, des viols, des pillages et destructions de village étant avérés. Du fait des combats, plus de 20.000 personnes se sont réfugiés au Tchad et la population civile au nord de la RCA se cache dans la brousse dès l’approche d’éléments armés. La population est en sous alimentation. L’économie du pays est en ruine. L’ « insécurité humaine » est à son comble et un risque majeur existe que le sort des populations civiles ne s’aggrave encore dans les prochaines semaines.

Les autorités judiciaires centrafricaines ont engagé des poursuites contre des membres présumés des rebellions et certains de leurs complices. De nombreux membres du parti politique de l’ex président Patassé sont ainsi visés par le Procureur de la République. A cet égard, la FIDH a insisté auprès des autorités judiciaires sur le nécessaire respect des droits de la défense et du droit à un procès équitables pour toutes les personnes arrêtés dans le cadre du conflit armé.

Par ailleurs, la FIDH a dénoncé la partialité des poursuites, considérant l’impunité des éléments des forces armés centrafricaines présumés auteurs de graves violations des droits de l’Homme depuis septembre 2005. Cette situation d’impunité est renforcée par l’absence de jugement des auteurs de crimes internationaux commis entre octobre 2002 et mars 2003 par les belligérants. La FIDH rappelle que la Cour de cassation de la RCA a, en avril 2006, affirmé son incapacité et ainsi son absence de volonté de juger les auteurs de ces crimes, principalement Ange-Félix Patassé, Jean-Pierre Bemba, Paul Barril et Abdoulaye Miskine ; et a appelé en renfort la CPI, saisie par la FIDH depuis février 2003 et par l’Etat centrafricain depuis décembre 2004.

Ainsi, à l’occasion d’un atelier organisé par la FIDH et son organisation affiliée, la ligue centrafricaine des droits de l’Homme, à Bangui le 15 juin 2006, sur le thème « la situation en République centrafricaine et la CPI », l’impunité systématique dont bénéficient les auteurs des crimes internationaux a été stigmatisée comme cause principale de la perpétration de tels crimes ; l’impératif de justice a été soulignée tant pour répondre aux demandes des victimes que pour prévenir la perpétration de nouveaux crimes. L’inertie de la CPI a été dénoncée à cette occasion, et un appel pressant a été lancé au Procureur de la CPI, considérant la gravité des crimes internationaux commis, l’incapacité de la justice centrafricaine ainsi que les risques majeurs de récurrence de ces crimes, d’ouvrir une enquête préliminaire.

Dans l’attente de la décision du Procureur, l’impunité prévaut, l’insécurité demeure et les victimes des crimes atroces deviennent au surplus des victimes de l’indifférence.

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