Paris, le 18 juin 2003
La Chambre criminelle de la Cour de cassation vient de rendre sa décision dans l’affaire qui a opposé la FIDH à l’ancien général de l’armée française, Paul Aussaresses, ancien coordinateur en 1957 des services de renseignements à Alger auprès du Général Massu. La FIDH exprime sa plus vive déception quant à cette décision qui consacre l’impunité des crimes commis pendant la guerre d’Algérie.
Le 29 mai 2001, la FIDH avait déposé une plainte avec constitution de partie civile auprès du Tribunal de grande instance de Paris du chef de crimes contre l’humanité. Le 11 septembre 2001, le juge d’instruction avait rendu une ordonnance de refus d’informer pour prescription des faits poursuivis. Cette décision avait ensuite été confirmée le 12 avril 2002 par un arrêt de la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris qui constatait en outre l’applicabilité de la loi d’amnistie contre les faits reprochés.
La Cour de cassation a rejeté hier le pourvoi de la FIDH contre cet arrêt de la Cour de Paris.
Pour refuser de poursuivre du chef de crimes contre l’humanité le Général Aussaresses qui décrit dans son livre intitulé « Services Spéciaux Algérie 1955 - 1957 » (Editions Perrin) les actes de tortures et d’exécutions sommaires commis à cette époque en Algérie et dont il assume et revendique le bien fondé, la Cour de cassation utilise des arguments très restrictifs, en contradiction flagrante avec l’évolution récente du droit pénal international :
– Tout d’abord, la Cour souligne qu’au moment des faits, les actes commis par le général Aussaresses ne pouvaient relever du crime contre l’Humanité, en l’absence de toute disposition dans le code pénal français. En outre, elle explique que « la coutume internationale ne saurait pallier l’absence de texte incriminant, sous la qualification de crime contre l’Humanité, les faits dénoncés par la partie civile ».
– Ensuite, la Cour considère que la loi française de 1964 faisant référence au Statut du Tribunal Militaire International de Nuremberg et ainsi au crime contre l’humanité, ne couvre que les actes commis par les puissances de l’Axe durant la seconde guerre mondiale et non, par conséquent, les crimes commis pendant la guerre d’Algérie. Elle confirme ainsi sa décision prise dans un arrêt « Boudarel » en 1993, où elle refusait déjà la qualification de crime contre l’Humanité pour des actes de torture commis en Indochine.
– Enfin, la Cour explique que la loi française de 1994, qui définit cette fois de façon autonome le crime contre l’Humanité, ne peut avoir un effet rétroactif, et ne peut donc être utilisée pour qualifier des crimes commis avant son entrée en vigueur.
– En conclusion, la Cour considère qu’aucun crime commis avant 1994, à l’exception de ceux commis par les puissances de l’Axe, ne peut être qualifié par les tribunaux français de crime contre l’Humanité, et ce quelle que soit la coutume internationale.
– Ainsi, toujours selon la Cour, les actes de torture revendiqués par le général Aussaresses entre 1955 et 1957 ne peuvent être qualifiés de crimes contre l’Humanité et entrent donc dans le champ des crimes amnistiés par la France en 1968.
La FIDH condamne la frilosité et le conservatisme de la décision rendue par la Cour de cassation qui refuse encore obstinément d’appliquer la coutume internationale alors même que faits incriminés obligent pourtant les Etats à poursuivre et juger les auteurs de crimes contre l’Humanité. La FIDH dénonce également l’interprétation restrictive et historiquement étroite de la Cour de cassation qui continue à considérer que seuls les crimes nazis peuvent être qualifiés de crimes contre l’humanité.
« La Cour de cassation aurait pu enfin combler le vide juridique qui pour le crime contre l’humanité subsiste entre 1945 et 1994 », estime Patrick Baudouin, avocat et Président d’honneur de la FIDH. « Elle lance au contraire clairement le message inverse, semblant verrouiller toute possibilité de poursuites pour cette période. La décision rendue dans l’affaire Aussaresses est un double rendez vous manqué. Elle symbolise le tabou français sur la recherche et la répression des crimes commis en Algérie et au surplus elle illustre le conservatisme de ceux qui refusent de voir les évolutions récentes de la justice pénale internationale ».
En inscrivant sa décision dans l’immobilisme, la Cour de cassation consacre à nouveau le tabou de la guerre d’Algérie et clos à jamais l’espoir légitime des victimes françaises et algériennes dans leur droit à la vérité et à la justice pour les heures sombres de leur histoire commune.