Attaque en règle du Vietnam contre la société civile : une plainte est déposée pour violation de l’accord de libre-échange avec l’Union européenne

Nhac NGUYEN / AFP

La Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), son organisation membre le Comité Vietnam pour la défense des droits de l’Homme (VCHR), Christian Solidarity Worldwide (CSW) et Global Witness déposent une plainte auprès de la Direction générale du commerce de la Commission européenne. Les organisations considèrent que l’actuelle répression par le régime de Hanoï contre les défenseur·es des droits humains travaillant sur le développement durable viole l’accord de libre-échange entre l’Union européenne (UE) et le Vietnam (EVFTA).

Bruxelles, Paris, 4 février 2025. Dans une plainte déposée auprès du Point d’entrée unique de la Commission européenne, la FIDH, la VCHR, CSW et Global Witness ont dénoncé la répression systématique par le gouvernement vietnamien des personnes et des organisations œuvrant au développement durable comme violant l’EVFTA entré en vigueur en août 2020.

« Le gouvernement vietnamien emprisonne celles et ceux qui expriment leurs préoccupations légitimes concernant la protection de l’environnement, les violations des droits des travailleur·ses et des droits à la terre, ainsi que l’impact socio-économique des projets d’infrastructure et d’investissement. Cette répression est inacceptable. Elle sape en outre l’efficacité du contrôle de l’application des stipulations de l’EVFTA sur le développement durable », déclare Gaëlle Dusepulchre, directrice adjointe du bureau Entreprises, Droits humains et Environnement de la FIDH.

« Nos organisations en appellent à la libération immédiate de toutes les personnes détenues arbitrairement en raison de leurs activités légitimes de plaidoyer, et à la création d’un environnement favorable à la société civile. Le Vietnam s’est engagé à respecter ces droits lorsqu’il a ratifié l’EVFTA, mais il n’a toujours pas tenu sa promesse », ajoute Penelope Faulkner, Présidente du VCHR. « Il est grand temps que l’UE demande des comptes au Vietnam pour la violation flagrante de cet accord commercial. Les défenseur·es vietnamien·nes doivent pouvoir se sentir en sécurité, libres de demander des comptes et de défendre les droits de leurs communautés ».

Une des caractéristiques marquantes des accords commerciaux de l’UE récents est l’exigence, inscrite dans le « chapitre sur le commerce et le développement durable », pour les partenaires de ratifier et mettre en œuvre les conventions internationales fondamentales en matière de droits du travail et de protection de l’environnement, et de s’engager à respecter la participation de la société civile et le droit à la liberté d’association et à l’accès à l’information.

Si des États membres de l’UE ou des représentant·es de la société civile estiment que ces engagements ne sont pas respectés, ils peuvent déposer plainte auprès de la Commission européenne, qui devra l’examiner et prendre les mesures appropriées. Ces mesures peuvent consister en la suppression de certains avantages économiques accordés au Vietnam dans le cadre de l’EVFTA, voire en la suspension de l’accord dans son ensemble.

« L’UE doit se montrer plus ferme en insistant pour que les États respectent les engagements et les obligations qu’ils ont pris dans le cadre des accords commerciaux avec l’UE — dans le cas du Vietnam, cela inclut ceux du chapitre de l’EVFTA sur le commerce et le développement durable. Une telle fermeté sert les intérêts et les valeurs de l’UE, dont les droits humains, à un moment où ceux-ci sont gravement menacés », commente Jonathan de Leyser, représentant senior pour l’UE de CSW.

Attaque en règle contre les droits des travailleur·ses, le droit à la terre et la protection de l’environnement

Au cours des dernières années, le gouvernement vietnamien a intensifié les violations des droits fondamentaux, en réprimant toute critique dans le but déclaré de réduire au silence toute forme de dissidence non-violente. La plainte montre bien combien cette répression est incompatible avec les engagements pris par le Vietnam autant au titre du droit international des droits humains que de l’EVFTA.

Depuis 2021, le gouvernement a en effet élargi l’éventail des infractions retenues pour réprimer les défenseurs des droits humains. Outre les crimes prévus par les dispositions vagues et fourre-tout du Code pénal relatives à la « sécurité nationale », les accusations politiquement motivées d’« évasion fiscale » ou de divulgation d’« informations classifiées » ont servi de prétexte pour placer en détention d’éminent·es militant·es de la lutte contre le changement climatique ou des droits des travailleur·ses. Dans le même temps, les autorités ont adopté une série de textes restreignant la création et les activités des organisations de la société civile, comme le décret 126 de 2024, et empêchant l’institution de syndicats indépendants ou d’un cadre juridique solide pour la protection des travailleur·ses.

Les quatre organisations plaignantes estiment que des dizaines de militant·es pour la protection de l’environnement et de défenseurs du droit à la terre et des droits des travailleur·ses sont actuellement détenu·es arbitrairement au Vietnam. Leur plainte fait état d’une quarantaine de cas emblématiques d’hommes et de femmes condamné·es à des peines de prison allant de trois ans et demi à vingt ans du fait de leurs activités en faveur du développement durable.

Plusieurs de ces défenseur·es paient directement le prix de leur engagement touchant l’EVFTA. En 2019, le Vietnam a ainsi arrêté le journaliste Pham Chi Dung deux jours seulement après l’envoi au Parlement européen de son message vidéo appelant au report de la ratification de l’accord en attendant de réels progrès en matière de droits humains. Avant d’être condamné à cinq ans de prison en 2022, l’avocat spécialiste de l’environnement Dang Dinh Bach militait activement, quant à lui, pour la participation de la société civile au Groupe consultatif interne du Vietnam (DAG Vietnam), un organisme de discussion et de conseil sur la mise en œuvre de l’EVFTA.

« Nous condamnons fermement l’arrestation et l’emprisonnement des défenseur·es des droits à la terre et de l’environnement au Vietnam, qui, d’évidence, semble s’inscrire dans une inquiétante politique de criminalisation du militantisme en faveur de l’environnement et des droits humains. Nous appelons les autorités vietnamiennes à mettre fin au harcèlement et à l’intimidation de ces défenseur·es et à libérer immédiatement et sans condition celles et ceux qui sont encore emprisonné·es. L’UE doit s’assurer du respect des normes les plus élevées en matière d’environnement et de droits humains dans ses relations avec ses partenaires commerciaux et prendre des mesures immédiates si ce n’est pas le cas », conclut Beate Beller, Chargée de campagne pour Global Witness.

Lire la suite