Journée internationale des migrants : « Il s’agit d’une crise exceptionnelle mais probablement durable »

17/12/2015
Communiqué
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A l’occasion de la journée internationale des migrants, la FIDH s’est entretenue avec Geneviève Jacques, présidente de la CIMADE et chargée de mission de la FIDH sur les questions migratoires.

FIDH : L’année 2015 a été marquée par des événements dramatiques : des milliers de morts en Mer Méditerranée et des millions de personnes bloquées aux frontières de l’Europe. Quels bilans tirez-vous de cette année ?

Geneviève Jacques : Cette année a marqué un pic sans précédent en matière de drames ; une tragédie exceptionnelle comme nous n’en avions pas connu depuis la deuxième guerre mondiale. Un exode extraordinaire, lui même causé par des causes extraordinaires, avec la guerre en Syrie, les exactions de Daesh, et la décomposition de la Libye.

D’une certaine manière, il existe aujourd’hui deux crises. Tout d’abord la crise qui a contraint des milliers de personnes à partir : l’aggravation de la guerre en Syrie,en Irak et en Libye. Mais également le fait que les pays d’accueil - qui ont reçu pour l’instant l’essentiel du flux des personnes déplacées de force - sont complètement saturés et que l’aide internationale pour ces populations réfugiées est totalement insuffisante, rendant les conditions de vie des réfugiés inhumaines.

Ce mouvement de population vers l’Europe est certes exceptionnel mais il ne représente, et il est important de le souligner, qu’une fraction, un petit pourcentage, de l’ordre de 5%, de l’ensemble des populations déplacées par ce qui se passe dans cette région du monde ; une région qui se trouve être aux portes de l’Europe.

Une situation exceptionnelle avec des aspects dramatiques jamais vus. Est-ce une crise de courte durée ? Non. Car les causes de ce mouvement ne vont pas s’arrêter tout de suite. Qu’il s’agisse des causes liées au contexte géopolitique dans la région du moyen-orient ou qu’il s’agisse des causes de violences plus profondes, structurelles, qui poussent les personnes à aller chercher de meilleures conditions de vie ailleurs.

Il s’agit donc d’une crise exceptionnelle mais probablement durable.

FIDH : La politique migratoire européenne a-t-elle vous selon montré ses limites ?

GJ : Oui, et l’un des facteurs qui a rendu cette année aussi dramatique, c’est précisément la réponse que les pays européens ont apportée face à cet exode. On peut parler d’une véritable crise de gouvernance, qui traduit l’absence de vision à court et moyen terme sur ces mouvements de population. Cette absence de vision a fait que les pays européens ont été incapables d’anticiper l’arrivée d’un nombre important de personnes, qu’ils ont été incapables de se mettre d’accord sur les façons de les accueillir et de les protéger, conformément aux valeurs et engagements pris par les pays européens et qu’ils sont aujourd’hui incapables de s’accorder sur autre chose que des mesures protectionnistes et répressives.

Seule l’Allemagne a su se différencier et se montrer à la hauteur de l’enjeu. Angela Merkel a eu le courage moral, car appuyée par l’opinion publique, de dire « Non, nous ne respecterons pas les accords de Dublin et les mesures de fermeture des frontières. Et nous allons accueillir les personnes en demande de protection. C’est notre devoir ». C’est le seul pays qui l’ait dit aussi clairement et qu’il l’ait mis en œuvre. Mais comme il n’y a pas eu de solidarité européenne, il existe aujourd’hui un déséquilibre manifeste entre l’Allemagne et les autres pays européens ; l’Allemagne se retrouvant débordée par des personnes qui sont arrivées en très peu de temps, ce qui rend les conditions d’accueil très difficiles.

En matière de politique européenne, il est clair que les décisions politiques sont en fait prises par les chefs d’État et de gouvernement. Tétanisés par la montée des mouvements populistes et xénophobes ou représentant parfois eux-mêmes directement cette tendance, ils ont tous bloqué la possibilité d’avancer vers une politique migratoire qui soit à la hauteur des enjeux.

Cette année 2015 a illustré de façon plus claire que jamais, que l’Europe devrait repenser en profondeur ses politiques migratoires, sur l’asile et les visas notamment, mais également sur sa façon de concevoir la gestion des mobilités humaines à notre époque.

L’Europe s’est focalisée sur des mesures sécuritaires pour empêcher les personnes d’entrer, sans savoir quoi faire lorsqu’elles entrent quand même.

FIDH : Quelles seraient vos recommandations ?

GJ : Il faudrait tout d’abord arriver à défaire un certain nombre de règles qui sont en contradiction avec les demandes de protection des personnes. Je pense notamment aux accords de Dublin. Même si ils sont de moins en moins appliqués de fait, ils restent un problème, une menace.

Deuxièmement, une politique d’asile commune doit être fondée sur les mêmes principes fondamentaux que ceux promus par la convention de Genève. C’est à dire protéger les personnes qui ne peuvent être protégées dans leur pays d’origine. Une politique couplée avec des mesures humanitaires qui soient à la hauteur des enjeux actuels.

Enfin, il est crucial que nos dirigeants et chefs d’État s’inspirent plus des travaux des experts, des universitaires qui pensent les questions de mobilité des personnes au 21ème siècle. L’idée même de fermer un continent comme l’Europe est une idée qui ne tient absolument pas la route. Dans un monde globalisé, cela est absurde. Il est urgent de penser intelligemment les politiques de mobilité, en particulier, dans des espaces voisins : l’Europe avec le sud de la Méditerranée et l’Afrique.

Il existe des ressources intellectuelles qui apportent des éléments pour aller dans ce sens or les pouvoirs en place résonnent de la même manière qu’il y a 50 ans, lorsque les migrants étaient considérés comme de la main d’oeuvre. Aujourd’hui les questions migratoires se posent différemment.

Lors de la COP21, tout le monde s’est accordé à dire que le dérèglement climatique allait engendrer des mouvements de population importants, des personnes qui quittent un pays pour vivre, tout simplement. Et cette force de vie on ne l’arrête pas avec des barrières, pas avec Frontex. Il ne s’agit pas ici d’être utopique mais de porter un regard lucide à moyen terme sur ce qu’il faudra faire.

FIDH : L’UE a évoqué dernièrement la mise en place de frontières biométriques avec Frontex comme maitre d’orchestre. Qu’en pensez-vous ?

GJ : Cela traduit bien les orientations politiques du moment. La priorité est mise sur la sécurité et le contrôle, alors que les fonds pourraient être utilisés pour intégrer correctement les dizaines ou centaines de milliers de personnes, qui deviendront de futurs européens.

L’UE a fait le choix de la sécurité et persiste aujourd’hui en usant des amalgames entre réfugiés et terroristes. Bien sur l’UE se doit d’être vigilante quant aux menaces que peuvent représenter des groupes comme Daesh mais il ne faut pas mettre en place des politiques qui touchent des millions de personnes alors que l’on souhaite viser des groupes précis.

FIDH : Êtes-vous optimiste pour 2016 ?

GJ : La seule raison d’être optimiste c’est que parallèlement à la montée des partis xénophobes, il a y a eu une prise de conscience des dangers que représentent ces idées toxiques pour nos sociétés.

Il y a aussi eu une prise de conscience que la réponse donnée à la « crise » migratoire actuelle et à l’accueil des étrangers est un marqueur de démocratie. Il y a aujourd’hui plus de personnes conscientes des enjeux politiques profonds que représentent ces mouvements de populations. Soit on veut une société fermée, soit on veut une société ouverte qui met en place de façon harmonieuse le bon vivre ensemble. A la différence de la première option, la deuxième ouvre des perspectives d’avenir.

Ce qui ne me rend pas totalement pessimiste, c’est que nous observons et connaissons de très nombreux acteurs de la société civile prêts à se mobiliser encore davantage dans ce combat. Nous sommes persuadés que les politiques ne bougeront pas si ils n’ont pas en face d’eux des sociétés civiles convaincues et fortes.

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