5 000 victimes des crimes de Bemba en République centrafricaine attendent réparation

© FIDH

(La Haye, Paris) Alors que la Cour pénale internationale (CPI) rendra prochainement son ordonnance de réparation pour les 5229 victimes participant au procès Bemba, la FIDH publie aujourd’hui les résultats d’une enquête menée en République centrafricaine (RCA). La plupart des victimes rencontrées ont tout perdu et continuent à vivre dans leur chair et leur mémoire les conséquences des crimes et traumatismes subis. Elles insistent pour que des compensations individuelles soient attribuées, accompagnées d’un travail de sensibilisation contre la stigmatisation. Si les réparations sont tardives, elles sont néanmoins une exception dans un pays ravagé par l’impunité et les exactions violentes des groupes armés.

Du 9 au 16 juin 2017, une délégation de la FIDH s’est rendue en RCA pour s’entretenir avec douze victimes de violences sexuelles et exactions par les troupes de JP Bemba, condamné le 21 juin 2016 à une peine de 18 ans de prison par la CPI. Venant de Bangui, Sibut, Moungoumba, Damara et Bossangoa, elles participent toutes à la procédure contre JP Bemba devant la CPI.

Quinze ans après les faits, le rapport souligne l’extrême indigence et détresse des victimes des crimes commis entre 2002 et 2003. Ayant parfois tout perdu (proches, soutiens, biens), beaucoup sont malades (contamination par le VIH lors des viols) et souffrent de séquelles physiques et psychologiques graves. Elles sont en outre stigmatisées et objet de moqueries, rejetées par leurs proches et communautés. Ainsi, toutes les femmes rencontrées ont été abandonnées par leur mari et doivent élever seules leurs enfants. Ces derniers étant à leur tour exclus, ayant eux-mêmes été témoins, victimes ou nés de viols. Ces stigmatisations empêchent la reconstruction des survivants et le retour à un semblant de vie normale, quinze ans après les faits.

Les tentatives de poursuites judiciaires en RCA s’étant soldées par des échecs, le jugement de la CPI est selon l’ONU la « seule exception notable » à l’impunité généralisée dans le pays, où les systèmes judiciaire et carcéral se sont effondrés. Il reste à la CPI à déterminer qui sera éligible à ces réparations, leur volume et nature, les fonds étant par nature limités.

Si pour la première fois des réparations vont être prononcées, les victimes insistent pour que celles-ci soient individualisées. De préférence en espèces pour leur donner accès à la santé, l’éducation, un emploi, ou un logement. Les projets collectifs gérés par l’État ne sont pas souhaités, les victimes rencontrées arguant de la corruption généralisée dans le pays. Elles souhaiteraient toutefois que des programmes de sensibilisation publique puissent être menés, pour lutter contre leur stigmatisation.

Enfin, si un Fonds au profit des victimes (FPV) a été mis en place par la CPI pour remédier à l’indigence des accusés, elles souhaitent que ces réparations puissent surtout être directement financées par Jean-Pierre Bemba.

Ancien chef de guerre mais aussi ex vice-président de la République démocratique du Congo, ce dernier a été condamné le 21 juin 2016 à une peine de 18 ans de prison par la CPI, en raison des exactions commises par ses hommes entre octobre 2002 et mars 2003 en RCA. Il les y avait envoyés soutenir l’ancien président centrafricain Ange-Félix Patassé contre la tentative de coup d’État de François Bozizé, devenu malgré tout président du pays en mars 2003.

Ses troupes se singularisèrent par les horreurs et crimes contre l’humanité commis. Elles eurent massivement recours aux violences sexuelles pour terroriser et humilier les populations, briser les cercles familiaux et sociaux, et détruire les communautés perçues comme complices de la rébellion.

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Contexte : Implication de la FIDH en RCA et dans l’affaire Bemba

La FIDH dispose de bureaux permanents à Bangui. Elle y collabore étroitement avec les deux ligues centrafricaines membres de la FIDH : la Ligue centrafricaine des droits de l’Homme (LCDH) et l’Observatoire centrafricain des droits de l’Homme (OCDH).

Dès 2002, la FIDH, aux côtés de la Ligue centrafricaine des droits de l’Homme (LCDH), a documenté les crimes commis entre octobre 2002 et mars 2003, a plaidé contre l’impunité de ces crimes et pour l’ouverture d’une enquête de la CPI.

Entre 2002 et 2006, la FIDH et la LCDH ont réalisé 4 missions d’enquêtes, visant à documenter les crimes de guerre et crimes contre l’humanité, en particulier les crimes de violences sexuelles commis entre 2002 et 2003.

Parallèlement, entre 2005 et 2008, la FIDH a organisé plusieurs réunions d’échanges d’information et de stratégies au siège de la CPI à la Haye entre les représentant.es de ses ligues, le Bureau du Procureur et le Greffe.

La FIDH continue son travail de documentation des crimes en RCA et de mobilisation contre l’impunité. Elle a notamment mené plusieurs missions sur les crimes commis entre l’été 2013 et février 2014, demandant l’ouverture d’une enquête de la CPI, effectivement annoncée le 24 septembre 2014.

Elle collabore avec le Bureau de la Procureure dans le cadre des enquêtes en cours et a aussi œuvré pour la mise en place de la Cour pénale spéciale (CPS). Dans ce cadre, elle a mis en place un bureau conjoint avec ses ligues à Bangui, afin de soutenir l’accès des victimes à la justice et la CPS.
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