Tunisie : Qu’attend le chef de l’Etat pour jouer son rôle et notifier la levée des réserves à la CEDAW au Secrétaire général des Nations Unies ?

11/04/2013
Communiqué

La Tunisie a ratifié la Convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) en 1985, mais y avait émis des réserves à certaines dispositions, afin de justifier le maintien des discriminations dans les domaines suivants : du transfert de la nationalité ; du mariage, du divorce, de l’autorité parentale, de l’héritage et du choix du lieu de résidence. Les instances internationales ont appelé maintes fois la Tunisie à lever ces réserves, considérées comme illégales selon le droit international, car contraires à l’objet et au but de la Convention.

En août 2011, le gouvernement tunisien de transition a annoncé que les réserves seraient levées, décision consacrée par l’adoption d’un décret-loi, le 24 octobre 2011.

Alors que des déclarations de la part de représentants du gouvernement actuel se multiplient, mettant en cause cette décision en la jugeant contraire aux "valeurs tunisiennes, Sana ben Achour, ancienne présidente de l’Association tunisienne des femmes démocrates, présente la position juridique et demande : "Qu’’attend le chef de l’’Etat, Monsieur Moncef Marzouki, face au déni des chefs du gouvernement Hamadi Jebali et Ali Laâraiyedh, pour jouer pleinement son rôle, notifier le retrait des réserves et mettre en application ses promesses de faire respecter les droits humains pour tous sans discrimination ? "

Aujourd’hui, la FIDH appelle le chef de l’’Etat, Moncef Marzouki, à notifier immédiatement le retrait des réserves à la CEDAW au Secretaire général des Nations Unies.

1) Les réserves de la Tunisie aux dispositions des articles « 9 § 2 » ; « 16 § c, d, f, g, h » ; « 29 § 1 », ainsi que la déclaration concernant le « §4 de l’article 15 » de la Convention des Nations Unies contre toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes - émises lors de sa ratification en juillet 1985 ont bien été retirées par le Décret-loi 103 du 24 octobre 2011, dont voici le texte arabe faisant foi :

[(
ان رئيس الجمهورية المؤقت
باقتراح من وزيرة شؤون المرأة
بعد الاطلاع على القانون عدد 68 لسنة 1985 المؤرخ في 12 جويلية 1985 المتعلق بالمصادقة على اتفاقية القضاء على جميع اشكال التمييز ضد المرأة
وعلى المرسوم عدد 14 لسنة 2011 المؤرخ في 23 مارس 2011 المتعلق بالتنظيم المؤقت للسلط العمومية
وعلى اتفاقية القضاء على جميع اشكال التمييز ضد المرأة المعتمدة من قبل الجمعية العامة للأمم المتحدة في 18 ديسمبر 1980
وعلى مداولة مجلس الوزراء
يصدر المرسوم الآتي نصه :

الفصل الأول : "تم الترخيص في المصادقة على سحب بيان الحكومة التونسية بشأن الفقرة الرابعة من المادة الخامسة عشر والتحفظات الصادرة عنها بشأن اتفاقية القضاء على جميع اشكال التمييز ضد المرأة والمتعلقة بالفقرة الثانية من المادة التاسعة والفقرات "ج"، "د"، "و"، "ز"، "ح"، من المادة السادسة عشر والفقرة الأولى من المادة التاسعة والعشرين والملحقة بالقانون عدد 68 لسنة 1985 المؤرخ في 12 جويلية 1985 المتعلق بالمصادقة على اتفاقية القضاء على جميع اشكال التمييز ضد المرأة

الفصل 2 : تقوم حكومة الجمهورية التونسية بايداع وثيقة سحب البيان والتحفظات المبينة بالفصل الأول أعلاه الملحقة بهذا المرسوم لدى الأمين العام للأمم المتحدة

الفصل 3 : ينشر هذا المرسوم بالرائد الرسمي للجمهورية التونسية
تونس في 24 أكتوبر 2011)]

2) Le texte du retrait a bien été publié au journal officiel de la République tunisienne au n° 82 du 28 octobre 2011, p. 246-247.

3) Le Décret-loi autorisant la ratification du retrait des réserves a un caractère législatif comme cela a été fixé par le texte de référence sur l’organisation provisoire des pouvoirs publics (« la petite constitution »), le Décret-loi n° 14 du 23 mars 2011 qui dispose en son article 4 « Les textes à caractère législatif sont promulgués sous forme de décrets-lois. Le président de la République par intérim promulgue les décrets-lois après délibération en conseil des ministres et veille à leur publication au Journal Officiel de la République tunisienne. »

4) L’autorisation de ratifier le retrait est un acte législatif sous forme de décret-loi conformément à l’article 5 du même texte de référence précisant que « sont pris sous forme de Décrets-lois les textes relatifs « à l’autorisation de ratification des traités. »

5) L’autorité qui autorise la ratification des traités est en droit interne celle-là même qui autorise la ratification du retrait des réserves ; règles de compétence obligent !

6) Le texte met à la charge du gouvernement de notifier le retrait des réserves et de la déclaration relative à l’article 15 § 4. Peu importe le gouvernement dont il s’agit, il y a succession. Il s’agit ici d’une compétence liée et non d’une compétence discrétionnaire. Le gouvernement ne peut refuser de notifier le retrait de la réserve sans commettre une illégalité en outrepassant ses compétences.

7) Contrairement à ce qui se dit, ce retrait des réserves à la CEDAW n’a pas besoin d’être approuvé ou entériné par l’ANC. Au plan du droit tunisien il s’agit d’une mesure, entrée en vigueur du fait de sa publication au Journal officiel de la République tunisienne. Elle a ainsi tous les effets de droit attachés à l’acte juridique exécutoire et opposable dont les citoyens et les citoyennes pourraient se prévaloir devant les tribunaux.

8) Toutefois, au plan du droit international public et des relations entre les acteurs de la société internationale - les Etats et les Organisations internationales-, la procédure est imparfaite. A ce jour aucune notification n’est parvenue au Secrétaire général de l’organisation des Nations Unies en sa qualité de dépositaire de la Convention.

9) Au plan international les réserves, objections, retrait d’une réserve et retrait d’une objection doivent être formulées expressément par écrit.

10) Au plan du droit international et suivant les pratiques habituellement suivies au sein des organisations internationales dépositaires de traités, les personnes considérées comme représentant un État ou une organisation internationale pour retirer une réserve formulée au nom d’un État ou d’une organisation internationale en vertu de leurs fonctions et sans avoir à produire de pleins pouvoirs, sont : a) Les chefs d’État, les chefs de gouvernement et les ministres des affaires étrangères ; b) Les représentants accrédités par les États auprès d’une organisation internationale ou de l’un de ses organes, pour le retrait d’une réserve à un traité adopté au sein de cette organisation ou de cet organe ; c) Les chefs de missions permanentes auprès d’une organisation internationale, pour le retrait d’une réserve à un traité conclu entre les États accréditant et cette organisation.

11) En droit international, il est de nul effet d’invoquer l’incompétence ou le défaut de procédures internes comme viciant le retrait des réserves. Le droit international est indifférent au fait qu’une réserve ait été retirée en « violation » d’une disposition du droit interne d’un Etat concernant la compétence et la procédure, ce qui du reste n’est pas le cas tunisien.

12) Enfin il faut souligner que la Tunisie, d’une manière informelle mais qui engage sa crédibilité au plan international, a diffusé sa décision de retirer ses réserves à la CEDAW.

13) Il est dit au rapport national soumis par la Tunisie conformément au paragraphe 5 de l’annexe à la résolution 16/21 du Conseil des droits de l’Homme, ce qui suit :
«  …17. Donnant suite aux recommandations faites le 22 octobre 2010 par le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, la Tunisie a franchi une nouvelle étape en décidant de retirer ses réserves à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes en vertu du décret 2011-103 du 24 octobre 2011 et de l’ordonnance 2011-4260 du 28 novembre 2011 » (A/HRC/WG.6/13/TUN/1, 30 mars 2012).

[(تبعاً للتوصيات الصادرة بتاريخ 22 تشرين الأول/أكتوبر 2010 عن لجنة القضاء على جميع أشكال التمييز ضد المرأة(1)، قطعت تونس مرحلة جديدة، باتخاذ قرار سحب التحفظات حول اتفاقية إلغاء كل أشكال التمييز ضد المرأة بمقتضى المرسوم عدد 103 لسنة 2011 المؤرخ في 24 تشرين الأول/أكتوبر2011 والأمر عدد 4260 لسنة 2011 المؤرخ في 28 تشرين الثاني/نوفمبر 2011.
(A/HRC/WG.6/13/TUN/1, 30 mars 2012).)]

14) Au Rapport du Groupe de travail sur l’Examen périodique universel (A/HRC/21/5, 9 juillet 2012), plusieurs Etats ont félicité la Tunisie pour le retrait des réserves. On peut y lire notamment ceci :

« 29. Le Togo … a félicité la Tunisie d’avoir ratifié plusieurs conventions internationales et retiré des réserves à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes….
48. L’Australie a salué les efforts déployés par la Tunisie pour garantir la participation, sur un pied d’égalité, des hommes et des femmes à la vie politique. Elle s’est en outre félicitée de la ratification des principaux instruments relatifs aux droits de l’homme, du retrait des réserves à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes…
54. Le Brésil a félicité la Tunisie des succès remarquables qu’elle avait remportés depuis l’année passée, dont … le retrait des réserves à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes..
. »

EN CONCLUSION
Qu’attend le chef de l’Etat, Monsieur Moncef Marzouki, face au déni des chefs du gouvernement Hamadi Jebali et Ali Laâraiyedh, pour jouer pleinement son rôle, notifier le retrait des réserves et mettre en application ses promesses de faire respecter les droits humains pour tous sans discrimination ?

Sana ben Achour
Ancienne présidente de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD)
Le 7 avril 2013

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